FINANCES- ENQUETES ET REPORTAGES- ARGENT SALE-
BLANCHIMENT- EL WATAN (III/III)
Kamel Rahmaoui. Dr en sciences juridiques et maître de
conférences
«Les entraves faites aux poursuites judiciaires
constituent des obstacles à la bataille engagée contre le blanchiment d’argent»
A(c)
El WATAN ? NADJIA BOUARICHA, LUNDI 1 OCTOBRE 2018
Kamel Rahmaoui.
Dr en sciences juridiques et maître de conférences / Photo : DR
Kamel Rahmaoui est docteur en sciences
juridiques et maître de conférences (faculté de droit et sciences politiques
université Chadli Benjedid El Tarf).
Il est auteur de plusieurs publications, en Algérie et à l’étranger,
traitant notamment des questions de la gouvernance, la sécurité juridique, la
dépénalisation de l’acte de gestion, la corruption, ainsi que du rapport trafic
des biens culturels/ blanchiment d argent/ financement du terrorisme.
Des sommes d’argent colossales provenant
d’activités mafieuses diverses se font blanchir via des procédés et circuits de
plus en plus sophistiqués. Qu’est-ce qu’on entend exactement par blanchiment
d’argent sale et quelles en sont les méthodes utilisées ?
L’argent
provenant d’activités illégales (corruption, trafics d armes, de drogue, d’être
humains), c’est de l’argent sale. Il est réintégré dans le circuit légal afin
de dissimuler son origine. Les moyens utilisés sont donc multiples et ne cessent
de se développer compte tenu de la lutte qui est menée, partout dans le monde,
contre cette forme de criminalité en col blanc. Le smurfing
consiste à placer des sommes acquises illégalement dans plusieurs comptes
bancaires, l achat de biens luxueux, de biens culturels.
Aussi, les
sociétés écrans, l’amalgamation des fonds sales dans des entités propres ainsi
que les complicités bancaires constituent une infime partie des méthodes
utilisées en matière de blanchiment de capitaux. Il est clair que les Etats ou
territoires connus pour être des paradis fiscaux jouent un rôle primordial, à
côté, bien entendu, des pays dont la législation reconnaît les comptes
bancaires anonymes.
Pouvez-vous nous dire quel est le rôle exact de
ces paradis fiscaux et comptes anonymes en matière de blanchiment
d’argent ?
Les
paradis fiscaux offrent des situations juridiques et financières multiples
destinées aussi bien aux entreprises qu’aux particuliers. Ces différentes
situations permettent le secret bancaire, dissimulent les capitaux ainsi que
leurs détenteurs. Elles permettent même de créer des sociétés écrans et de
soustraire les criminels aux obligations douanières et fiscales. A ce jour,
auraient été recensées une cinquantaine de paradis fiscaux. Les comptes
anonymes, hors les paradis fiscaux, offrent, quant à eux, une totale discrétion
en matière de transfert de capitaux.
Ces pays ou territoires
dont vous parlez, sont-ils identifiés ?
A partir
de l’année 2000, des organismes internationaux, comme le GAFI et l’OCDE, ont
commencé à s’intéresser à la criminalité et à la grande délinquance financière.
Les paradis fiscaux sont situés notamment en Europe, au Pacifique, en Amérique
centrale et aux Caraïbes. Ils abritent environ 3% de la richesse mondiale.
D’après le FMI, le blanchiment d’argent pèse 2 à 5% du PNB mondial, soit 500 à
1500 milliards de dollars. Dans certains pays, les comptes anonymes se comptent
en milliards.
Si le phénomène a atteint ce seuil alarmant, que
fait-on donc pour le contrecarrer ?
Les
conventions internationales qui lient les pays signataires jouent un grand rôle
en matière de lutte anti-blanchiment d’argent. La plus ancienne et la plus
importante étant, à mon avis, la convention de Vienne qui date des années 1980
car elle a incriminé, pour la première fois, les capitaux provenant du trafic
des psychotropes. La convention de Palerme, c’est-à-dire la convention des
Nations unies relative à la lutte contre la criminalité transnationale
organisée, incrimine, elle aussi, de telles pratiques mais à travers une annexe
particulière.
Où se situe notre pays dans cette bataille
contre le blanchiment de l’argent sale ?
Ma réponse
risque de vous surprendre, car beaucoup d’efforts ont été déployés. Vous n’ êtes pas sans savoir que l’Algérie a été reconnue par le
GAFI comme pays réellement engagé dans la lutte contre le blanchiment d’argent.
Sur le plan institutionnel, le pays s’est doté depuis avril 2002 d’une Cellule
de traitement du renseignement financier (CTRF) qui a pour mission essentielle
le traitement des dossiers relatifs aux mouvements de capitaux douteux qui lui
sont transmis par différentes institutions.
Sur le
plan pénal, notre pays sanctionne sévèrement les délits de blanchiment d’ argent (Art 389 bis du code pénal), sans oublier la loi
n° 15 06 du 15 février 2015 relative au blanchiment d’argent et la lutte contre
le terrorisme. Il y a également le décret exécutif n° 13 138 du 16
septembre 2013 relatif à la procédure d’identification, localisation et gel des
fonds et autres biens dans le cadre du financement du terrorisme. Aussi,
l’Algérie a adhéré au groupe Egmont créé en 1995 et qui constitue un forum
d’échange pour l’ensemble des cellules du renseignement financier. Notre
adhésion (139e pays membre) à cet important organisme en juillet 2013 avait d
ailleurs surpris pas mal de pays. Et pas que ; l’Algérie est l’un des
membres fondateurs du Groupe d’Action Financière pour le Moyen Orient Afrique
du Nord (Gafimoan).
Dans les faits, peut-on ou bien veut-on lutter
réellement contre ce dangereux fléau ?
Ecoutez,
les résultats obtenus jusqu’à présent sont très significatifs. En témoigne le
retrait de notre pays de la liste noire du GAFI et ce n’est sûrement pas un
cadeau. Plusieurs pays non coopératifs y ont été maintenus. Cependant, force
est de constater que la souveraineté nationale, les difficultés d’obtenir des
renseignements relatifs aux paradis fiscaux, l’hétérogénéité des systèmes
judiciaires ainsi que les entraves faites aux poursuites judiciaires
constituent des obstacles sérieux à la bataille engagée contre le blanchiment
d’argent.