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Argent sale- Blanchiment- El Watan (I/III)

Date de création: 31-10-2018 11:40
Dernière mise à jour: 31-10-2018 11:40
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FINANCES- ENQUETES ET REPORTAGES- ARGENT SALE- BLANCHIMENT- EL WATAN (I/III)

 

Blanchiment d’argent sale en Suisse : La mise à nu de plusieurs personnalités algériennes

 

(c) El WATAN/ NAÏMA BENOUARET , LUNDI 1 OCTOBRE 2018

 Plaque tournante du blanchiment d’argent, où plusieurs personnalités algériennes ont élu domicile, la Suisse est en passe de revoir sa politique en matière de blocage, confiscation et restitution des avoirs mal acquis, mettant ainsi potentats et corrompus dans tous leurs états.

Des chevronnés du recyclage en col blanc, pris de panique depuis l’éclatement des Panama Papers et que les futures nouvelles dispositions helvétiques risquent d’ébranler plus profondément, l’Algérie est parmi les pays celui qui en compte un grand nombre, la plupart étant des personnalités politiquement exposées (PEP) que les textes suisses, encadrant la politique helvétique en matière de blocage, confiscation et de restitution des avoirs de potentats (Asset-Recovery), définissent comme étant «les personnes qui sont ou ont été chargées de fonctions publiques dirigeantes à l’étranger, telles que les chefs d’Etat ou de gouvernement, les politiciens de haut rang au niveau national, les hauts fonctionnaires de l’administration, de la justice, de l’armée et des partis au niveau national ou encore les organes suprêmes d’entreprises étatiques d’importance nationale».

Stratégie où sont également concernées «les personnes physiques qui, de manière reconnaissable, sont proches des PPE pour des raisons familiales, personnelles ou d’affaires». Outre les Bedjaoui, Chakib Khelil, Abdeslam Bouchouareb et consorts, qui en font partie, les deux derniers à avoir fait l’actualité judiciaire suisse, au printemps 2017 et en été 2018, étant deux hommes d’affaires. Le nom du premier est lié à l’affaire de l’autoroute Est-Ouest.

Ses déboires judiciaires en terre de la sécurité et de la sûreté absolues ont commencé le 28 novembre 2012 lorsque, destinataire d’une dénonciation du Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS), l’équivalent de la Cellule de traitement du renseignement financier (CTRF) en Algérie, le ministère public de la confédération (MPC Berne) avait ouvert à son encontre une procédure pénale du chef de «blanchiment d’argent».

Dans une banque suisse, il serait le bénéficiaire économique d’un compte secret en faveur duquel ont été créditées, en avril 2009 et janvier 2010, les sommes de 8 875 000 euros et 21 977 000 dirhams des Emirats arabes unis (AED), fait ressortir un arrêt du tribunal pénal fédéral (TPF Bellinzone, Canton de Tessin). Avant que le MPC ait ordonné le classement, en mars 2016, de ladite procédure pénale pour diverses raisons, notamment du fait qu’ «une éventuelle origine illicite des fonds n’a pas pu être mise en évidence», il sera rattrapé par deux autres dénonciations, en avril et mai 2015, du MROS, organe relevant de l’Office fédéral de la police (Fedpol). En conséquence, il sera, une seconde fois, au cœur d’une nouvelle procédure en mai 2015, toujours pour «blanchiment d’argent» via un compte bancaire ouvert dans une autre banque.

Le MPC ayant d’ailleurs ordonné le blocage des valeurs patrimoniales y étant déposées. Ce à quoi il s’était opposé avec la saisine, juillet 2016, de la cour des plaintes du TPF, brandissant une prétendue violation du principe selon lequel la double poursuite était interdite selon la loi suisse. Ses arguments : les deux procédures seraient «fondées sur les mêmes prétendus soupçons, sur la même infraction de blanchiment d’argent et la même origine criminelle, soit une affaire de corruption en Algérie concernant l’autoroute Est-Ouest».

Mais c’était peine perdue : l’ouverture d’une seconde procédure distincte était bel et bien conforme à la loi, les fonds suspects mis en cause, justifient les juges confédéraux, étant issus d une société titulaire d’un compte domicilié dans une banque dont il était l’ayant droit économique. Pis, ces fonds dérivaient d’un compte ouvert dans une banque émiratie au nom d’une société dont l’ ayant droit économique était une autre personne, également mise en cause, mi- février 2015, dans la première procédure mais du chef de «corruption d’agents publics étrangers», toujours dans l’affaire de l’autoroute Est-Ouest.

A ce sujet, les magistrats du MPC relèveront que «les procédures d’entraide avec les Emirats arabes unis n’ont pas abouti».

A ce titre, la provenance des fonds ne pouvait pas être établie. D’où la décision de classement de ladite 1re procédure. Par contre, dans le cadre de la 2e procédure (26 mai 2015), la provenance des avoirs déposés sur le compte dont il est propriétaire était différente.

Les deux virements, 1 296 000 et 900 000 USD y ayant atterri début avril 2007, étaient ordonnés par deux sociétés panaméennes. Et, «la réception de ces fonds concernerait l’exécution d’un contrat conclu en 2005 avec une société canadienne d’ingénierie de droit algérien pour des travaux qu’elle entreprenait en Algérie notamment», toujours selon les magistrats du MPC. Se référant au fait qu’il s’agissait d’«autres relations bancaires, approvisionnées par d’autres entités et intervenants et concernant des pays différents», la cour des plaintes du TPF, par décision du 27 mars 2017, avait rejeté le recours du requérant qui, depuis bien des années, se serait réfugié dans un quartier huppé d’une grande ville suisse où réside et travaillerait son fils (une des agences Air Algérie).

C’est dire que le TPFet le MPC, vu le nombre de dossiers Algérie, déjà traités, en cours ou en voie de l’être, les journalistes enquêteurs de l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) ayant promis de nouvelles révélations, auront du pain sur la planche et devraient penser à se doter d’un pôle exclusivement dédié à nos compatriotes blanchisseurs. Car bien avant ce dossier de l’autoroute Est-Ouest, la cour des plaintes avait eu affaire à Chakib Khelil.

C’était en janvier 2014, lorsque l’ancien ministre de l’ Energie s’était opposé à la procédure d’entraide complémentaire sollicitée par les juges algériens, ainsi qu’à la remise de moyens de preuve en lien avec l’affaire Sonatrach-Saipem (documentation bancaire sur les 5 comptes dont seraient propriétaires son épouse, lui et leurs deux fils). En janvier 2015, son recours sera rejeté par la cour des plaintes. Et la procédure d’entraide algéro-suisse sera archivée par le MPC fin mars 2016, vu que la dernière transmission des moyens de preuves à l’Algérie remontait au 31 mars 2015. Et bien que les enquêteurs de l’autre côté de la Méditerranée soient parvenus à établir que le rôle d’intermédiaire joué par Farid Bedjaoui dans le schéma corruptif qui sous-tend l’enquête algérienne Sonatrach 2 aurait été imposé à la société Saipem par Chakib Khelil, ce dernier, à en croire Ahmed Ouyahia, aurait été acquitté par la justice algérienne, même si aucun procès n’a eu lieu jusqu’à présent !

Affaire du lait en poudre

Des cas de blanchiment d’argent dans le passé, mais revenus au devant de l’actualité contemporaine, c’est une fois encore à l’étranger qu’ils seront ébruités. D’abord par les enquêteurs de l’ICIJ (Panama Papers 2016), puis en septembre 2018 par la même cour des plaintes du TPF suisse. Cette fois-ci c’est le lait en poudre qui fera l’actualité. L’affaire porte sur une grande fraude sur des subventions et surfacturations et remonte à une dizaine d’années, avec comme acteur principal Z.B., un industriel (septuagénaire) exerçant dans la filière lait et frère d’un ancien ministre, sous le défunt président Chadli Benjdid. Le subterfuge auquel il eut recours entre 2007 et 2009, achats sur le marché international par des sociétés offshore, dont il serait propriétaire au Panama, de cette matière première pour sa revente, deux fois plus cher, à sa laiterie basée en Algérie, lui aurait rapporté quelque 1,2 million de dollars/mois, au titre de retour de subventions.

Ce n’est que plus d’une année après les révélations des Panamas Papers que la justice algérienne a décidé d’agir. En effet, une enquête sera ouverte pour «blanchiment d’argent dans le cadre d’une organisation criminelle» et la coopération des Suisses, officiellement demandée en juillet 2017, fait ressortir un arrêt du TPF rendu public en août dernier. Aussitôt, les institutions financières locales, genevoises notamment, apprend-on sur son site web l’ICIJ (10 septembre), ont été invitées à fournir des copies des avoirs financiers et des comptes bancaires, ainsi que d’autres documents et informations financières concernant l’industriel et ses proches (fils et beau frère).

Ce à quoi ils s’étaient opposés auprès des juges du TPF. Le recours sera rejeté au motif que «le principe de proportionnalité n’avait pas été violé» et que «les soupçons des enquêteurs algériens étaient suffisamment étayés pour justifier leur demande». Assistés par leur avocat, le célèbre Marc Hassberger, qui plaida dans le retentissant procès intenté en 2009 par Hannibal Kadhafi contre l’ Etat suisse, les trois auteurs présumés de la fraude feront, à nouveau, appel auprès du tribunal fédéral de Lausanne, lequel décidera, à son tour, de les débouter. Pis, une partie du magot mis à l’abri dans l’une des banques de la place financière de Genève sera séquestré, est il indiqué dans les deux arrêts des tribunaux fédéraux de l’été passé.

La question que d’aucuns se posent est : L’enquête algérienne, toujours en cours, pourrait elle aboutir ou lui réserverait-on le même sort que les autres affaires de corruption et de délinquance financière internationales ? Il est toujours permis d’espérer. «La répression de la corruption s’exercera sans répit… Personne, quels que soient son rang et son statut, n’échappera à la justice qui accomplit sa mission avec sérieux et fermeté», s’engageait, mi-septembre dernier, depuis Tindouf où il était en visite de travail, le ministre de la Justice.

Le message de Tayeb Louh, intervenant curieusement quelques jours après les nouveaux rebondissements dans la vieille affaire de lait en poudre, serait-il une manière de garantir à ses homologues suisses que, cette fois-ci, les efforts et les moyens de preuves fournis dans le cadre de l’entraide judiciaire ne seront pas vains ?

Ou bien le destinerait-il à d’autres seigneurs de la finance offshore à l’encontre desquels, nous a-t-on appris, des enquêtes auraient été ouvertes dans la confidentialité la plus absolue ? D’autant que, tel que le soulignait à l’un des journalistes de l’ICIJ, Ross Delston, avocat et spécialiste de la lutte contre le blanchiment de capitaux, basé à Washington : «Les enquêteurs, la justice ou le gouvernement peuvent choisir de ne pas divulguer des informations sur les enquêtes ou procédures en cours par peur que les personnes concernées prennent leur envol et que l’argent puisse disparaître en quelques nanosecondes.»