COMMUNICATION- JOURNALISME- MJA- ARTICLE BOUDOUKHA ALI BEY
(c) Ali Bey Boudoukh/
Repris par Huffpost du 5 octobre 2018
Les idéaux
du MJA ne pouvaient-ils pas se réaliser en militant avec l’instrument majeur
qu’était (et qui demeure) la loi du 3 avril 1990 sur l’information, pour la
presse publique et privée?
Notre ami Boudoukha
Ali Bey (BAB), parti prématurément le 9 novembre 2011, était un acteur du
Mouvement des journalistes Algériens (MJA) lancé bien avant les évènements
d’octobre 1988. Cette contestation en était l’un des prémices. En octobre 2008,
sous son pseudonyme de Malik Soukhna, il racontait
l’histoire de ce mouvement qui a annoncé octobre 88 mais ne lui survivra
pas. Une lecture instructive.
« Ce fut une belle épopée que
celle du Mouvement des Journalistes Algériens, né au début de l’année 1988,
pour porter haut la voix de la liberté de la presse et de la défense des
intérêts socio-professionnels des journalistes.
En ce temps là -il y a 20 ans- la
presse n’était pas plurielle. Tous les journalistes étaient salariés de l’État.
Une seule grille des salaires et quelques 400 non logés. Ils étaient un peu
plus d’un millier de journalistes et assimilés à travailler dans la presse de
l’État (APS – Radio et télévision -El Moudjahid - Echaab-
Horizons -El Massa -Parcours Maghrébin…et Algérie-Actualités) et du parti
(Révolution Africaine - L’Unité…). Ces rédactions étouffaient sous le
poids des injonctions, de l’unicité plate de l’information. Un journaliste
pouvait être témoin direct d’un événement sans pouvoir le rapporter : il
fallait attendre une dépêche de l’agence officielle APS, pour en faire état.
Un seul support d’information se
démarquait du lot : l’hebdomadaire Algérie-Actualités. Il s’illustrait par la
liberté de ton de son collectif regroupant divers courant de pensée allant de
la gauche à la droite. Cet espace de liberté relative était autorisé par le
régime, avec un double objectif. Interne : il donnait aux lecteurs francophones
et bilingues une bouffée hebdomadaire d’oxygène, dont ils se contentaient.
N’était-on pas sous un régime de parti unique ? Extérieur : il donnait un gage
d’ouverture du régime.
Mais cette ouverture avait des limites
qu’ont connues à leurs dépens (1987-88) le nouvelliste Zyad
et la journaliste Malika Abdelaziz. A l’un, on reprochait un texte (une fable)
ou l’on croyait déceler une atteinte à la considération du chef de l’État ; à
l’autre, un article présumé diffamatoire à l’égard de son gendre, un wali. Les
deux furent licenciés. Ces licenciements, notamment celui de Malika Abdelaziz,
ont été le point de départ d’un vaste mouvement de solidarité inter-rédactions.
Cela ne s’était jamais produit depuis l’indépendance au sein de cette
corporation éclatée.
Une famille fictive de la presse
Les rédactions étaient de fait cloisonnées. Les journalistes
ne se connaissaient pas. Il y avait une famille fictive de la presse. L’UJIE,
Union des journalistes, interprètes et écrivains algériens (UJIE, dépendant du
parti FLN) ne regroupaient que les militants disciplinés. Une sorte de club où
l’on reproduisait in extenso le discours officiel. L’UJIE tournait pour
elle-même, en marge des préoccupations des rédactions qui étaient enfermées
dans un monde « orwellien ».
C’est alors que les journalistes de ces
rédactions ont commencé à s’agréger autour de la protestation née à
Algérie-Actualités, tenu et contrôlé par le trio Kamel Belkacem
(DG) -Hamza Tidjini - Rachid Khiari.
La protestation se greffe autour d’un noyau de journalistes d’El Moudjahid :
Abdenour Dzanouni, Amar Belhimer, Mohamed Benchicou, Redha Bekkat, Ahmed Ancer…Elle s’étend
rapidement aux autres rédactions : Dahbia Yacef (APS), Abderahmane Mahmoudi (Algérie-Actualités), Kheirddine
Ameyar, Aziouz Mokhtari (Révolution Africaine), El Kadi Ihsane, Nadia Dridi, Leila Mechentel (Horizons), Amar Bakhouche
(ENTV), Nouredine Inoughi,
Malika Zouba, Latifa Madani, Mohamed Chellouche, Youcef Tahar (Radio),
Mohamed Bouazdia (El Massa), Omar Ouartilani,
H’mida Layachi, Fouzia Ababsa, Slimane Laouari,
Abdelkrim Ghezali…Et la liste n’est pas exhaustive.
Durant le premier semestre 1988, les
protestataires occupent les locaux de l’UJIE, sis à Hussein Dey dont la
permanence était assurée alors par l’écrivain Ahmed Hamdi,
aujourd’hui doyen de l’Institut des sciences politiques. Des prises de
bec homériques opposèrent les protestataires à ce gardien du temple de la
pensée unique. Ces locaux furent fermés pour empêcher ce qui était devenu le
Mouvement des Journalistes Algériens de s’y réunir et de débattre de ses
problèmes. Le MJA se replia sur un autre local dont disposait l’UJIE, sis
boulevard Mohamed Khemisti à Alger. Là aussi,
occupation des lieux.
Le local Sid Ali Benmechiche
Ce local, qui fut baptisée
symboliquement par les journalistes du MJA “local Sid Ali Benmechiche”
(jeune journaliste de l’APS, mort par balles lors de la fusillade du 10 octobre
1988 à Bab El Oued), a été le lieu d’assemblées
générales ouvertes avec des prises de paroles et des joutes oratoires
interminables et mémorables. Des heures et des heures de débat, au terme
desquelles les participants sortaient exténués, et généralement satisfaits des
résolutions qu’ils venaient de prendre. Ils étaient toujours suivis par deux
inspecteurs des Renseignements généraux, l’un s’appelait Houari. Ils
assistaient assidûment aux assemblées générales. D’autres visages méconnus de
la presse s’étaient également glissés dans la masse.
Après la fermeture du local du
Boulevard Khemisti, d’autres assemblées générales se
tinrent à la salle El Mouggar, grâce à l’aimable
concours de son directeur Sid Ahmed Agoumi. Toutes
avaient pour objet de débattre de l’exercice de la liberté de la presse et
l’amélioration des conditions socio-professionnelles
des journalistes. L’exercice de la liberté de la presse supposait un
bouleversement politique, inimaginable en ce temps là. Alors, le MJA réclamait
des comités de rédaction au sein des organes de presse et dénonçait la censure.
Parfois publiquement, comme ce fut le cas à la Chaîne 3 de la radio, lorsque la
conférence de presse (4 septembre 1989) du Premier ministre démis Kasdi Merbah fut censurée sur
instruction “d’en haut”. Le collectif rédactionnel publia un communiqué qui fut
repris par les agences de presse.
Ces idéaux ont été portés à bout de bras par des journalistes
qui y croyaient, qui donnaient de leur temps et de leur énergie. Les émeutes du
5 octobre 1988 ont contribué à souder davantage les rangs du MJA. Le 16 octobre
1988, il publie la première réaction non-institutionnelle aux ”événements” du
05 au 16 octobre 1988, où il “condamne fermement l’usage de la torture, de la
délation et le recours à la violence physique et morale à l’égard des
citoyens”.
Quelques mois plus tard, l’ouverture
démocratique espérée se traduit par la constitution du 23 février 1989. Peut
être trop vite. Il est fait peu de cas du congrès du FLN qui en novembre avait
tout juste prévu “la création de courants au sein du FLN”. Presque
personne ne se soucia de cette étape grillée.
Une épopée de courte durée et sans archives
Le MJA s’enfonça dans la brèche. En son
sein, plusieurs militants refusaient qu’il se structure et s’organise. A leurs
yeux, l’organisation horizontale était le meilleur garant de sa pérennité. Le
courant adverse pris le dessus et se lança dans l’organisation d’un congrès
constitutif. Un peu de précipitation, quelques calculs d’appareils, de vagues
considérations idéologiques agitées par le courant vainqueur ont conduit à la non participation de nombreux journalistes arabophones
à l’élection des délégués au congrès. L’invitation du nouveau chef de
gouvernement Mouloud Hamrouche à l’ouverture du
congrès constitutif fin 1989, à la salle Atlas, fut désapprouvée par une partie
des militants du MJA qui y voyaient une forme d’allégeance.
L’atmosphère générale avait changé. Une
“délégation générale” fut élue par les présents. On ne sait plus ce qu’il en
advint. Pas plus que des archives de cette formidable et courte épopée. Les
idéaux du MJA ne pouvaient-ils pas se réaliser en militant avec l’instrument
majeur qu’était (et qui demeure) la loi du 3 avril 1990 sur l’information, pour
la presse publique et privée? En tous cas, le MJA n’avait pas pour vocation de
fabriquer des patrons de presse, ni des actionnaires rentiers et encore moins
des journalistes sans convention collectives, ni comités de rédaction, ni
comité d’éthique.