DEFENSE-
ENQUETES ET REPORTAGES- JUSTICE MILITAIRE- GENERAUX MAJORS
(c) Salima Tlemçani/El Watan, lundi 15 octobre 2018
Cinq
généraux-majors, Lahbib Chentouf, ex-chef de la 1re
Région militaire ; Saïd Bey, ex-chef de la 2e RM ; Cherif Abderrazak,
ex-chef de la 4e RM ; Menad Nouba, ex-commandant de
la Gendarmerie nationale ; Boudjemaa Boudouaouar, ex-directeur des finances au ministère de
la Défense nationale, et un colonel, ont été déférés hier devant le tribunal
militaire de Blida, pour plusieurs chefs d’inculpation, avant d’être placés
sous mandat de dépôt.
Jamais
dans l’histoire de la justice militaire autant de hauts gradés ont été
poursuivis puis mis en détention. Le chef de l’état-major de l’Anp a frappé fort. Son «opération mains propres» décidée à
la suite de l’affaire de Kamel Chikhi, principal
accusé dans l’affaire des 701 kg de cocaïne, a eu raison des plus influents
chefs de Région militaire, d’un des plus anciens directeurs des finances et
responsable de la commission des marchés au ministère de la Défense, ainsi que
de l’ex-patron de la Gendarmerie nationale. Tous ont été déférés hier devant le
tribunal militaire de Blida, qui les a placés en détention pour, entre autres,
«trafic d’influence» et «corruption».
C’est la
première fois, depuis le procès du défunt général Belloucif,
au début des années 1990, que de hauts gradés de la muette, qui étaient à des
postes stratégiques, sont poursuivis pour de telles inculpations. Cette issue
était prévisible depuis leur limogeage, en août dernier, dans le cadre d’un
important mouvement dans les rangs de l’armée, avec des changements à la tête
des six Régions militaires, des chefs des forces et des directions clés de
l’administration au département que gère le vice-ministre de la Défense.
Violemment
pris à partie par l’ex-patron de la police, Abdelghani
Hamel, qui avait lancé cette phrase lourde de sens : «Celui qui veut
enquêter sur la corruption doit être lui-même propre», et a fait état de
«graves violations de la procédure» dans l’enquête sur l’affaire des
701 kg de cocaïne dissimulés dans une cargaison de viande congelée
importée du Brésil, par le magnat de l’immobilier, Kamel Chikhi.
Le chef de l’état-major de l’Anp, Ahmed Gaïd Salah, a d’abord mis fin aux fonctions du commandant
de la Gendarmerie nationale, le général-major Menad
Nouba, quelques jours seulement après le limogeage de l’ex-patron de la police.
Les
accusations de ce dernier ont, certes, fait tache d’huile, mais les
enregistrements vidéo des caméras de surveillance installées par Kamel Chikhi dans ses bureaux et ceux de ses communications
téléphoniques ont levé le voile sur une véritable toile d’araignée tissée par
l’importateur de viande, reconverti en puissant promoteur immobilier autour de
nombreux responsables militaires et civils qui lui rendaient service pour
régler ses problèmes de paperasse en contrepartie de cadeaux, voyages,
pèlerinages, biens immobiliers. Le premier à être mis en cause est le directeur
financier, le général-major Boudjemaa Boudouaouar, dont la proximité avec Kamel, dit «le
Boucher», est sur toutes les lèvres.
Il a fait
sa connaissance par l’intermédiaire de son collègue, le général-major Mokdad Benziane, ex-directeur du personnel au ministère de la
Défense, lui-même limogé pour avoir introduit Kamel Chikhi,
un ami très proche, dans les rouages de la muette. D’un coup, Boudouaouar s’est offert une villa coloniale dans un
quartier résidentiel à El Biar, (Alger), avant de la
raser pour en construire une autre à coups de milliards, et achète deux
appartements haut standing dans une des résidences promotionnelles de Kamel Chikhi. Aussi bien le général-major Mokdad que le
général-major Boudouaouar étaient considérés comme
faisant partie des hommes de confiance du chef de l’état-major.
Si Mokdad
a été épargné, l’ex-directeur des finances n’a pas échappé au courroux de son
premier responsable, lui qui était au cœur même du dispositif de tous les gros
contrats d’armement depuis plus de dix ans. L’enquête va mettre en cause le
commandant de la gendarmerie, le général Menad Nouba,
accusé par l’ex-patron de la police d’avoir violé la procédure, mais aussi le
chef de la 2e Région militaire (Oran), le général-major Saïd Bey, et le colonel
chargé de la sécurité de l’armée au niveau de l’Ouest, auxquels il est reproché
leur manque de vigilance dans une affaire de sécurité de l’Etat.
Les mêmes
investigations auraient évoqué le fils de l’ex-chef de la 4e RM, le
général-major Abderrazak Cherif, ses relations dans
les milieux d’affaires et particulièrement avec Kamel Chikhi,
qu’il aurait introduit dans le circuit des marchés d’approvisionnement en
viande des casernes à Ouargla. Il en est de même pour l’ex-chef de la 1re RM,
le général-major Lahbib Chentouf, dont le fils aurait
été identifié parmi les personnalités qui fréquentaient les bureaux de Kamel Chikhi.
Au-delà
des faits pour lesquels ils ont été déférés devant le tribunal militaire de
Blida, cette affaire reste troublante. En effet, il faut dire que deux parmi
les trois chefs de RM incarcérés n’étaient pas dans le cercle proche du chef de
l’état-major. Il s’agit du général-major Lahbib
Chentouf, que l’ont dit très proche de la famille Bouteflika, et du
général-major Saïd Bey, qui était sur la sellette depuis longtemps. Les trois
autres, le général-major Boudouaouar, le
général-major Menad Nouba et le général-major Abderrazak Cherif, étaient depuis longtemps les protégés du
patron de l’Anp.
Que
s’est-il passé ? Certains y voient un deal entre lui et El Mouradia pour partager la pomme en deux, surtout qu’à ce
jour, seule l’institution militaire a mené une enquête sur le
dysfonctionnement, pour ne pas dire paralysie totale, des services de sécurité
(police, gendarmerie et armée) à propos des activités suspicieuses de Kamel Chikhi.
Il faut
reconnaître que la mise sous mandat de dépôt des cinq généraux-majors et d’un
colonel a fait l’effet d’un séisme, notamment dans le milieu militaire. Affaire
à suivre…