POPULATION- REGION -
EPREUVE- TOUAREGS- UMAS ĀLES
Autrefois, l’épreuve
pour devenir un homme chez les Touareg de l’ Ahaggar
Umas āles (Sois un homme)
(c) JEAN-LOUIS BERNEZAT, MARIE-JO ET MOHAMED ROUANI,
ABDALLAH ATANOUF AG KHABTI, / El Watan magazine, 18
OCTOBRE 2018
Chez les Touareg, la tameñġu, le fait de mettre la tăġūlmust,
le voile de front et de bouche, se faisait au moment où l’adolescent devenait
pubère, ce qui le mettait dans l’obligation de pratiquer le jeûne durant le
Ramadhan. Mais ce n’était qu’à dix-huit ans qu’un garçon était considéré comme adulte. Cependant, pour cela, il
avait encore un examen de passage à réussir, comme s’en souvenaient encore, il
y a peu de temps, quelques personnes très âgées qui n’y avaient pas été
soumises, trop jeunes encore, quand elle fut supprimée.
Cette épreuve, qui n’a pas de nom, consistait pour le jeune homme à
porter sur son dos le harnachement complet de son chameau (selle1,
rênes, cravache, isetfā2, cordes, ăhaïf3,
tamenast4, ainsi qu’une tasufra (petite
outre de voyage) pleine d’eau, une couverture, une tichekwat5 avec
de quoi faire du feu avec un enefed6, un couteau, un peu de
nourriture simple comme de la tébek7, et bien sûr son épée (takba), sa lance (allar) et son
bouclier (aer).
Chargé de
tous ces impedimenta, il devait retrouver son chameau de selle lâché la veille
au milieu de nombreux autres chameaux également entravés. Il devait alors
montrer qu’il était capable de déceler la trace de son chameau, de s’en saisir,
de le harnacher et de revenir à son campement avant les premières lueurs du
jour suivant.
Si le
jeune homme avait de la chance, il pouvait découvrir rapidement les traces de
son chameau, les suivre, retrouver la bête et retourner au campement assis sur
sa selle sans perdre de temps. Une personne, plus que centenaire maintenant,
racontait qu’un candidat qui se croyait malin cacha ses bagages dès qu’il fut
hors de vue du «jury» afin de rattraper sa monture rapidement.
Sa
supercherie découverte l’obligea à repasser l’épreuve ! Il faut savoir qu’un
chameau entravé, dans une région qu’il ne connaît pas, peut faire vingt-cinq
kilomètres en une nuit afin de retourner chez lui. «Mon propre chameau, ainsi que trois autres, échappèrent une nuit
à la vigilance de leur gardien alors que nous nous rendions de l’Haggar au Niger. Ils furent effectivement retrouvés à
vingt-cinq kilomètres au nord de notre bivouac» (Bernezat).
Cette
épreuve avait pour but de prouver que le jeune homme avait suffisamment de
force physique et de connaissances pour rattraper un rezzou (éen) déjà en route et y participer. Un jeune Targui se
préparait tout naturellement à cette épreuve dès sa plus tendre enfance,
puisqu’il vivait au milieu des chameaux, heureux d’être hissé sur une selle, de
faire se lever ces bêtes et de marcher fièrement devant elles en les conduisant
par leur taant (rênes).
Au cours
de ses années d’adolescence, il découvrait comment s’occuper de ces grands
camélidés : les attraper, les entraver, les conduire lentement au pâturage ou à
l’eau, se méfier des coups de pieds, même des mieux dressés, ne pas les
brutaliser, ne pas les effrayer, etc. Pour les chameaux de monte, il apprenait
à placer correctement la selle afin de ne pas les blesser, à pratiquer les
différentes allures, dont bien sûr la tabederat ou
galop, spécialement difficile en tout-terrain, et aussi à monter sur son
chameau sans le faire baraquer (Fig. 17,18).
Il avait
aussi appris à charger et décharger les chameaux de bât (Fig. 16) et, très
important, à reconnaître peu à peu les traces, au moins celles des pieds
antérieurs, des principaux chameaux de sa famille afin de pouvoir les retrouver
lorsqu’ils étaient en liberté, parfois très loin des campements.
Il n’est
pas facile actuellement de savoir exactement quand a disparu cette coutume. On
peut supposer qu’elle a dû se terminer au tout début des années 1930, peut-être
même vers la fin des années 1920, les rezzous ayant pratiquement disparu à
cette époque. Jean-Louis Bernezat, Marie-Jo et
Mohamed Rouani, Abdallah Atanouf
Ag Khabti
Les conseils
d’une mère à son fils
Il est à
noter que les razzieurs n’emportaient ni thé ni sucre, puisque ces denrées,
tant appréciées aujourd’hui, ne se répandirent en Ăhaggar
qu’en 1941 (Gast : 1968). Trois excellents conseils
d’une mère à son fils qui va se joindre pour la première fois à un rezzou
: «Tu emporteras une outre en peau de
chèvre, beaucoup plus facile à humidifier et à remplir que celle en peau de
bouc. Cela te permettra de la remplir rapidement au point d’eau et de partir au
plus vite car tu pourrais être poursuivie par les razziés.
Le soir, au
bivouac, tu ne te mettras pas à côté du tas de bois, car on te demandera
constamment d’alimenter le feu et tu ne pourras pas te reposer. Quand il y aura
de la viande, tu prendras un morceau sans os, car la viande est plus
nourrissante que l’os qui ne se mange pas et qui fait perdre du temps à le
ronger !» Il est à noter que la
puberté de la jeune fille donne lieu à une fête (Pandolfi
: 1994).
La tameñu consiste à coiffer la jeune fille d’un voile indigoté appelé ălecho quand
il est neuf et ékerhei quand il a vieilli. Ce voile
est retenu sous le menton par une aiguille (stenfus)
qui est cassée au cours de la même cérémonie par un jeune homme, vierge comme
la jeune fille.
Le jeune
homme, dont on ne divulgue pas le nom, est soigneusement choisi par la parenté
féminine de la jeune fille, peut-être en vue de le marier ultérieurement avec
elle ou simplement à cause des bonnes relations qu’entretiennent entre elles
les deux familles. Il lui est impossible de ne pas accepter l’honneur qui lui est
fait.
L’aiguille
cassée, il lui reste à faire un beau cadeau à la jeune fille comme doivent le
faire tous les hommes ayant assisté à la scène. Cette coutume se poursuit
actuellement en Ăhaggar chez les Touareg qui
vivent encore en campement ou dans de petits villages. Elle semble avoir
disparu chez les Touareg citadins.