ENVIRONNEMENT – BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
ROMAN CHABANE OUAHIOUNE- « L’AIGLE DU ROCHER.... »
L’Aigle du rocher. Une histoire d’un aigle
du Djurdjura. Roman de Chabane Ouahioune. Enag Editions, Alger 2010, 490 dinars, 261 pages
Connu pour son immense humanité, l’auteur qui
s’est retiré « sur ses terres » assez tôt nous livre, là, un roman
assez original ; un roman qui relève de l’observation quasi-scientifique
de la Kabylie centrale....mais à partir non de l’étude des hommes et de la société mais à
travers la « vie » d’un Aigle du Djurdjura, « Ghist », un solitaire maître des cîmes
(un célibataire, « Aazri »,
car il vivait seul). Une approche littéraire assez originale mais
très instructive, car la société et la nature kabyles, vues de
« ciel » ,nous apparaissent bien plus réelles.
Un roman ?....Un conte aussi qui nous transporte (plutôt ce qui reste de
nos âmes et de nos yeux d’enfant) dans une autre réalité, celle que l’ on a rêvé de vivre ou de mieux connaître.
En fait,
l’histoire est racontée par un grand-père à son petit-fils, Loulou, jeune écolier mais aussi apprenti berger quand
cela s’impose. La guerre de libération nationale n’est pas encore totale mais
les coups de feu et des bombardements
commencent, de temps en temps, à apparaître
dérangeant une région se
consacrant alors uniquement à sa (sur-)vie
et encore quelque peu éloignée de la pollution de la
« modernité »
L’Aigle du rocher en question (iguidir b’vvcruf)
en question a une envergure gigantesque. Peut-être le plus grand et on peut le reconnaître
aux deux plumes lui manquant à l’aile droite .
C’est le roi incontesté de la montagne, à la force et au pouvoir reconnus par
tous les animaux de la région.
Il est le seul à avoir accès à des lieux
inaccessibles aux hommes ordinaires, pics vertigineux des montagnes et
grottes du majestueux Djurdjura. Il est,
aussi, craint mais surtout respecté par les hommes car, comme la buse, « mesdherith », tabou. Intouchable !
Il dispense le bonheur et la force à ceux qui le respectent ou simplement ont
la chance de le voir au petit matin. D’ailleurs, après une blessure par arme à
feu, capturé par un paysan, il sera vite adopté et aimé par la famille. Hélas, la famille éloignée de
sa terre, il reprendra son aventure mais il aura connu la communauté des hommes,
leurs qualités et leurs défauts.
D’en « haut » ,
il nous fait découvrir la beauté des paysages kabyles qu’il ne quittera
temporairement qu’à contre-cœur. Presque tous les
autres animaux, toutes les agglomérations, tous les champs, tous les arbres ,
les buissons et les ronces épineuses, toutes les sources et les rivières, toute la vie animale, le froid, la faim, la
soif, les luttes quotidiennes entre groupes ou individus pour un
« territoire » ou pour simplement un cadavre ou une proie...Il ira
plus loin jusqu’aux Bibans et aux Portes de fer et il compare.
L’Auteur : Né en
1922 à Tassaft Ouaguemoun (Tizi Ouzou) .
Enseignant, avocat.....écrivain et journaliste –chroniqueur. Un essai, plusieurs romans à son actif, entre 1979 et 2001, une
pièce de théâtre en 2000, des récits en
1986 et 1992 ( « Itinéraires brûlants », Enal Editions et « Randonnées avec Ait Menguellet », Innayas
Editions) . Décédé le 4 avril 2016
à Tassaft Ouaguemoun.
Extraits : « A notre époque, la question est de se demander
si les enfnats de la Berbèrie
seront à la hauteur des enjeux de la modernité et des grands bouleversements du
monde. S’adapteront-ils ou perdront-ils leur héritage et leur âme ? Pour
l’heure, nous ne savons même pas de quoi sera fait demain. » (p 54),
« Aucune bête ne cherche à s’attaquer à un autre, les pires ennemis
respectent la trêve de la soif qui menace de les tuer tous. Seul le chacal, ce
mécréant sans foi ni loi, profite tant qu’il en a la force de la triste
occasion, pour tuer quelque bête affaiblie et incapable de fuir » (p 80), « Face
au danger commun, les animaux s’unissent. Les pires ennemis se respectent, ou
s’ignorent. Ils savent que l’union est nécessaire pour le salut commun »
(p 177), « Jusqu’à nos temps modernes qui ont vu l’apparition d’engins
efficaces et d’avions, les Kabyles ont pu vivre indépendants sur leurs
territoires, tels des aigles farouches et invincibles sur leurs aires. Par la
suite, ils ont préféré bâtir sur des pitons, des villages fortifiés » (p
258)
Avis : Un
hymne à la nature.....et vu d’en haut, l’humain est si petit, et l’animal si
grand .En espérant voir certaines parties de l’ouvrage repris dans les ouvrages
scolaires du primaire et du secondaire.
Citations : « Quand
un aigle est repu, il se repose et ne cherche pas à chasser.Quand
un homme est riche, au lieu de se sentir comblé, de remercier la providence et
de mener une vie normale, il cherche à s’enrichir encore davantage, le plus
souvent au détriment de ses semblables » (p 65), « Aux hommes comme
aux animaux, les mésaventures , lorsqu’on ne les oublie pas, donnent
l’expérience profitable. Les malheurs peuvent instruire plus que les événements
heureux et permettent de tirer des enseignements pour l’avenir » (p 101),
« La vie est ainsi faite. Elle incite à la violence. Comme les hommes, les
bêtes se jalousent et ne pensent qu’à leurs propres intérêts et n’admettent pas
la concurrence de voisins.L’égoïsme se retrouve
également chez les animaux. Chacun se croit supérieur aux autres, plus malin,
plus intelligent, plus fort.Et instinctivement, l’un
ou l’autre ressent le besoin de s’imposer , d’éprouver
sa force, de démontrer ses capacités pour se faire craindre et respecter par
les autres. Les hommes sont pareils. Mais ces derniers sont surtout déterminés
par le besoin de la richesse matérielle. Ce qui fait d’eux souvent des êtres
cupides » (p 149), « C’est connu, les situations de batailles ou de
troubles sont toujours mises à profit pour régler de vieux comptes. Les mêlées
sont propices pour donner ou recevoir un coup vengeur » (p 186), « La
terre tout entière souffre des procédés humains alors que le comportement
animal procède de la régulation et des équilibres naturels indispensables à la
pérennisation de la vie » (p 189), « Les animaux ne cherchent
qu’à contenter deux besoins, se nourrir et défendre leurs petits. Même un lion,
une fois repu, ne cherche pas autre chose. Il se repose pour digérer et dort.
Les hommes , outre ces deux nécessités qu’ils ont
en commun avec les bêtes , en ont une troisième qui les taraude et qui les
pousse à des excès, la guerre. C’est le désir de se procurer de l’argent ou des
ressources qui leur en font gagner. Le désir de gagner de l’argent peut leur
faire oublier toute moralité, toute fraternité et toute pitié. L’argent
construit le monde, assure l’existence des hommes, mais leur enlève trop
souvent l’humanisme... » (p 261)