TRAVAIL – ETUDES ET ANALYSES -
SALAIRES- ETUDE BOUDERBA NOUREDINE
(c) BOUDERBA Nouredine/ www.algeriepart.com/mardi
21 août 2018
En 1994 l’Algérie était en
cessation de paiement, les caisses étaient vides et les revenus du pays en
devises ne lui permettaient même pas de faire face aux services de la dette, en
2014 et pour reprendre les termes du gouvernement et des experts ” Tous les
indicateurs économiques de l’Algérie sont pratiquement positifs avec une
position extérieure extrêmement confortable, comparativement aux économies de
la sous-région maghrébine et Moyen-Orient et Afrique du Nord (Mena). Un
endettement quasi nulle et des réserves de change de l’ordre de 194 milliards
de dollars” soit l’équivalent de 38 mois d’importations.
De 1994 à 2014 la part des
salaires dans l’affectation des richesses a connu trois périodes
caractéristiques :
1-La période 1994-à 1999 avec la
chute des prix de pétrole et l’institution de l’article 87 bis pour “contenir
les salaires” pour reprendre l’expression chère au FMI.
2- -La période 1999 à 2006 durant
laquelle malgré le renchérissement des prix du pétrole, l’augmentation des
revenus du pays et la reprise de la croissance, les salaires ont continué à
être tirés vers le bas par le 87 bis. Cette situation a été rendue possible par
la faiblesse du pouvoir de négociation des travailleurs particulièrement dans
le secteur économique (les syndicats indépendants étant marginalisés du
dialogue social au niveau national et n’existent que dans le secteur
administratif) et l’absence de volonté des pouvoirs publics qui ont préféré
plutôt satisfaire le patronat.
Et enfin une période 2006 2014
avec un début de redressement mais insuffisant et surtout injuste et inégal
entre les différents secteurs. Les laissés pour compte sont les travailleurs du
secteur privé et ceux des corps communs de la fonction publique. Au même moment
on a assisté à une explosion indécente des salaires des cadres supérieurs de
l’état, et d’une bonne partie des cadres dirigeants du secteur économique qui
ont l’avantage de voir leurs rémunérations indexées sur le SNMG. En sus du
rapport indécent entre les hauts et les bas salaires, une augmentation du SNMG
de l’ordre de 3 000 DA se répercute par une augmentation du salaire annuel des
premiers de l’ordre 800 000 DA contre 36 000 DA pour les basses catégories
et souvent rien pour la maitrise et les cadres moyens.
A ce sujet les chiffres avancés
par le patronat et les experts sont erronés et aucun ne pourra prouver le
contraire pour justifier la non abrogation du 87 bis et le “gel” du SNMG.
A titre d’exemple en novembre
2013 et sous le titre effrayant d’un journal :”Abrogation de l’article 87 bis
du code du travail : les mises en garde d’un économiste” un expert nous
apprend je cite que “… le ratio global masse salariale sur le PIB est
passé de 22,10% en 1991 à 26,99% en 2011 et tendrait vers plus de 40% en
2013, les plus grandes augmentations Salariales ayant eu lieu en 2012 ce qui
est vraiment inquiétant : attention donc à la dérive salariale”
( Fin de citation).
A une semaine d’intervalle dans
un autre article il affirme que dans le cas où la tendance 2010/2011, serait
semblable entre 2012/2013, la masse salariale globale dépasserait les 88
milliards de dollars fin 2013. » Enorme !
Le même expert revient à deux
reprises, les 30 aout et 15 septembre 2014, à la vielle de la tripartite
avec les mêmes arguments mais aussi quelques contradictions avec ce qui précède
pour nous dire que ” La masse salariale est de 54,98 milliards de dollars fin
2013. » et « le ratio masse salariale sur le PIB de 30,93% en 2013 et
avec l’abrogation de l’article 87 bis risque d’aller vers 40% du PIB contre
19/20% entre 1999/2000″ (fin de citation).
D’abord le ratio
MS/PIB-2013 (40% puis 30.93%) a été calculé une première fois avec une
extrapolation automatique du taux d’augmentation des salaires intervenue en
2010-2011 sur la période 2012- 2013 sans tenir compte du fait que
l’exceptionnelle augmentation de la masse salariale des années 2011 et 2012 est
due en partie aux rappels des exercices précédents. Ensuite le même ratio
a été calculé une seconde fois sur la base d’un PIB-2013 de 177 Mrds de $ alors
que selon les chiffres du ministère des finances et de l’ONS il est de l’ordre
de 225 Mrds de § (210,2 Mrds de $ selon la banque mondiale et 206 Mrds $ selon
le FMI). Le même constat est fait pour le PIB-2012 ou au lieu de 204,3 Mrds de
$ le montant pris en considération est 177 Mrds $. A partir de là toute
analyse basée sur les ratios est fausse.
Le patronat et ses experts
prennent souvent l’année 2000 comme année de référence alors qu’en 2000 les
salaires venaient à peine de terminer leur courbe descendante engendrée par
l’application de l’article 87 bis et de ce fait étaient à leur niveau le plus
bas. Lorsque ces mêmes experts reviennent en 1991 ils nous servent des ratios
qui ne correspondent pas à la réalité (le ratio masse salariale/PIB était égal
à 29.6 % en 1991 et non 22.10%).
En réalité et contrairement à ce
qui est affirmé l’examen des données de l’ONS, du ministère des finances et du
FMI montre que le ratio de la masse salariale sur le PIB, c’est à dire la part
des salaires dans l’affectation du revenu national a évolué comme suit :
Il était de l’ordre 31,8% en 1992
et 31,6% en 1994 année de l’institution du fameux 87 bis alors qu’en 2013 ce
ratio est retombé à 24,3% après avoir été de 26,4% (rappel compris) en 2011 et
26,1% (rappels compris) en 2012.
Autrement dit la part des
salaires dans l’affectation du revenu national qui était de l’ordre de 31,6 %
en 1994 soit à la vielle de l’application de 87 bis n’est plus que de 24.3 % en
2013 (et non 30.93%). Il faut préciser que ces ratios sont de 36 % au Maroc, 37
% en Tunisie et dépassent les 40 % dans les pays développés.
Au moment où la part des salaires
dans le PIB est passée comme on l’a vu de 34,7% en 1993 à 26.4% en 2011 la part
de l’accumulation du capital à travers l’Excédent Net d’Exploitation et les
amortissements des actifs de l’entreprise (Consommations de Fonds Fixes) est
passée de 49.6% à 59.6 % pour la même période c’est-à-dire que l’affectation de
la richesse nationale a connu une évolution injuste au détriment des
travailleurs.
Mais c’est au niveau du salaire
net moyen que ’on pourra mesurer et comparer l’évolution réelle des salaires
avec celle des richesses créées. En effet et contrairement à ce qui est avancé
par les experts et le patronat les salaires ont évolué beaucoup moins
rapidement que le PIB entre 2002 et 2012. Durant ces 10 ans le PIB a augmenté
de 250 % (passant de 4 523 Mrds de DA en monnaie locale courante à 15 843
Mrds de DA) tandis que le « PIB par habitant » s’est accru de 188,30%
(passant de 144 Mrds de DA en monnaie locale courante à 416 Mrds de DA). Durant
cette même période le taux d’augmentation du SNMG n’a été que de 125% passant
de 8 000 Da à 18 000 DA et celui du salaire mensuel net moyen uniquement
de 68,89% passant de 19 028 DA (chiffre du ministère du travail et de la
sécurité sociale) à 31 755 DA (chiffre de l’ONS). Ceci
veut dire que les salaires réels ont augmenté 04 fois moins vite que le PIB
durant cette période. Il faut souligner à ce niveau que durant
cette période le salaire moyen dans le secteur public a évolué de 128,52%
contre 68,06% pour le secteur privé.
Par rapport au SNMG il faut
savoir que si le Pib de l’année 2012 représente 15,11
fois le PIB de 1992 et le PIB per capita de 2012
représente 10,55 fois celui de 1992
le SNMG de 2012 ne représente que 7,2 fois celui de 1992.
Selon les experts du FCE, en 2011
la masse salariale représente 4,3 fois celle de 2000, alors que le PIB de la
même année représente 3,5 fois celui de 2000, argument repris même par l’UGTA.
En réalité et sans remettre en cause cette comparaison sur la période 2000-
2011 il faut là aussi souligner que l’année 2000 ne peut être une référence et
qu’il faut revenir à la période qui a précédé l’année d’abrogation du 87 bis.
Le PIB de l’année 2011 représente 13,5 fois celui de 1992 alors que la masse
salariale de 2011 ne représente que 11,2 fois celle de 1992. Soit un déficit de
2,3 points.
En 2013 ce déficit s’est accentué
à 3,8 points puisque la MS de 2013 représente 12.7 celle de 1992 tandis que le
rapport des PIB des mêmes années était de 16.5.
Accepter la redéfinition du 87
bis au lieu de son abrogation c’est accepter de perpétuer l’injustice vécue par
les travailleurs pour paraphraser l’ancien chef du gouvernement Mr Ouyahia.
La politique salariale depuis
2005 : Une arnaque pour les travailleurs.
Lors de la tripartite tenue le 03
et 04 mars 2005 aussi bien le chef du gouvernement de l’époque Mr Ouyahia que
le patronat, suivis en cela par les experts avaient indiqué que « que la
question n´est pas si simple dans le sens où une telle mesure pourrait induire
des incidences financières sur le budget de l´Etat. Les effets induits seraient
une dépense salariale supplémentaire de l´ordre de 500 milliards de dinars,
soit un doublement de la masse salariale de la fonction publique. ». Pour
le secteur économique ce chiffre était de 40 milliards de DA.
L’examen des chiffres de l’ONS
montre que l’augmentation de la masse salariale dans le secteur administratif
entre 2005 et 2013 a été de l’ordre de 2 015 milliards de DA passant de
634 Mrds Da à 2649 Mrds DA soit 04 fois l’incidence déclarée qu’aurait engendré
l’abrogation du 87 bis en 2005. Pour le secteur économique et sur la même
période la MS a augmenté de 869 milliards DA passant de 652 Mrds DA à 1521 Mrds
DA soit 24 fois l’impact déclaré en 2005.
En 2006 aussi bien le patronat à
travers ses organisations et les études commandées par le FCE que le
gouvernement étaient arrivés à la conclusion que les salaires étaient anormalement
bas et qu’il fallait les augmenter sensiblement afin de fouetter la demande et
assurer la relance par la consommation.
Un expert, même s’il nous dit le
contraire aujourd’hui, a même déclaré que les salaires ne doivent pas être
indexés sur la productivité hors hydrocarbures mais tenir compte de l’érosion
de son pouvoir d’achat afin de lui assurer un salaire décent ajoutant
« qu’une augmentation « de 30 à 35 % était économiquement
justifiée ». Il ajouta même que l’Algérie n’était pas tenue d’appliquer les
recommandations du FMI qui disaient le contraire.
Au lieu d’assurer une
augmentation des salaires cohérente en abrogeant le 87 bis et en augmentant les
minimas à travers le SNMG les pouvoirs publics sous la pressions du
patronat et avec l’assentiment de l’UGTA ont préféré ouvrir des chantiers de
revalorisations des salaires obéissant à la logique des rapports de force et
sans aucun pouvoir de contrôle et/ou d’harmonisation pour l’état
L’abrogation du 87 bis et une
augmentation du SNMG se seraient traduites par une augmentation générale des
salaires en particulier ceux des travailleurs des secteurs privés dont le
salaire net moyen est le plus bas du bassin méditerranéen.
Ainsi grâce à cette politique,
renforcée par le crédit à la consommation, le patronat a pu fouetter la demande
de consommation et renforcer ses carnets de commande sans avoir à consentir des
augmentations de salaire à ses propres travailleurs.
C’est cette politique qui
explique les disparités actuelles et les difficultés pour certains secteurs
d’absorber les augmentations qui seront induites par l’abrogation du 87 bis.
Encore une fois pour l’année 2015
on ne compte ni supprimer carrément le 87 bis ni augmenter le SNMG mais on se
prépare à ré-instituer le crédit à la consommation qui n’aura pour conséquences
que l’augmentation des importations puisque même pour « la production
nationale » le taux d’intégration moyen ne dépasse pas 15 % et un
appauvrissement à moyen terme des travailleurs qui auront demain à rembourser
le crédit d’aujourd’hui avec un pouvoir d’achat plus réduit. Le seul
bénéficiaire sera encore une fois le patronat.
La
politique fiscale une autre injustice pour les travailleurs et retraités.
La fiscalité outre sa fonction de
financer le budget de l’état est un instrument de redistribution par lequel
l’état limite les inégalités à travers une politique de solidarité nationale et
de justice sociale. En Algérie on a pris le chemin inverse puisque et ce n’est
un secret pour personne l’impôt sur le revenu composé dans sa quasi-totalité
par la contribution des salariés a, depuis 03 ans, dépassé l’impôt sur les
sociétés.
Selon les déclarations
officielles faites en 2013 aussi bien par les représentants du gouvernement que
ceux de l’UGTA, la tripartite initialement prévue pour fin 2013 puis reportée à
février 2014 devait se pencher sur l’impôt sur le revenu et prendre des
décisions dans le sens de l’amélioration du pouvoir d’achat des travailleurs.
Mais ce point fut occulté aussi bien en février 2014 que lors de la récente
tripartite du 18 septembre. Pourtant depuis 2009 toutes les tripartites ont été
généreuses au sujet des multiples exonérations en matière d’IBS. En mars
2013, à la question de savoir si le gouvernement allait réviser l’IRG (Impôt
sur le revenu global), M. Djoudi, ministre des finances, avait répondu :
« on demande aux pouvoirs publics de dépenser plus, de percevoir moins de
recettes et d’assurer les équilibres internes et externes et c’est
contraignant ! » avant d’ajouter « … avec des exonérations
fiscales annuelles de 450 milliards DA, le taux de l’IRG ne peut pas être à son
tour réduit ». (Expression 19 mars 2013). Cette déclaration résume à elle
seule l’injustice de la politique fiscale suivie par les pouvoirs publics.Mais
pourquoi demander une réduction de l’IRG que les spécialistes trouvent à un
niveau normal. Un autre expert, questionné par la radio en 2013, avait répondu
« c’est normal dans tous les pays du monde l’impôt sur le revenu est
supérieur à l’impôt sur les sociétés.» Si cette affirmation est juste pour les
pays développés au vu de l’importance des salaires distribués dont la part dans
le revenu national se situe entre 40 % et 60 % (dans certains pays elle dépasse
même 75 %) ce n’est pas le cas pour les pays à revenu intermédiaire à l’exemple
de nos voisins du Maroc et de la Tunisie avec lesquels nos experts nous
invitent à chaque fois nous comparer pour justifier leurs postions
anti-travailleurs.
Au Maroc les recettes de l’impôt sur le revenu sont estimées à
32,9 milliards de dirhams (loi des finances 2013) et représentent 3.6 % du PIB
tandis que les recettes relatives à l’Impôt sur les sociétés se chiffrent à
42,5 milliards de dirhams et représentent 4,7% du PIB. Comme on le voit l’impôt
sur le revenu représente à peine les trois quart (¾) de l’impôt sur les
sociétés. L’impôt sur les salaires est inférieur à ce ratio puisque dans
l’impôt sur le revenu on trouve celui des salariés et des indépendants.
En Tunisie l’impôt sur le
revenu et l’impôt sur les sociétés sont sensiblement égaux et représentent respectivement
4.1% et 3.8 % du PIB. A noter que l’impôt sur le revenu est composé de l’impôt
sur le revenu des salaires et celui des indépendants (sources Finances
publiques : bilan et perspectives édité par Institut Tunisien de la
Compétitivité et des Etudes Quantitatives). C’est-à-dire que l’impôt sur
le revenu des salariés est égal à celui de l’IS en Tunisie et représente moins
que 75 % de l’IS au Maroc.
Qu’en
est-il en Algérie ?
Entre 2008 et 2013
l’évolution d’IRG a été comme suit : 117 Mrds DA (1.1 % du PIB) en 2008,
183 Mrds DA (1.8 % du PIB) en 2009, 245 Mrds DA (2 % du PIB) en 2010, 383 Mrds
DA (2.6 % du PIB) en 2011, 553 Mrds DA (3.5 % du PIB) en 2012 et 489 Mrds DA
(2.8 % du PIB) en 2013.Durant la même période l’impôt sur les bénéfices des sociétés
a connu l’évolution suivante : 135 Mrds DA (1.2 % du PIB) en 2008, 228
Mrds DA (2.3 % du PIB) en 2009, 254 Mrds DA (2.1 % du PIB) en 2010, 246 Mrds DA
(1.7 % du PIB) en 2011, 248 Mrds DA (1.6 % du PIB) en 2012 et 258 Mrds DA (1.5
% du PIB) en 2013.Comme on le voit l’IRG des salariés qui
représentait 64 % de l’IBS en 2008 en représente 190 % en 2013.Et
ce n’est pas tout, en réalité la part des entreprises Algériennes dans l’IBS
est beaucoup plus insignifiante que ne le laissent paraitre les chiffres. A cet
effet le rapport de la cour des comptes de 2011 nous apprend que « « La
contribution des entreprises nationales à l’lBS (pour l’année 2010) n’est que
de 44,885 Mrds DA, soit 11 %, les 83% restant, soit plus de 210 Mrds DA, sont
réalisés avec des entreprises étrangères par voie de retenues à la source.Autrement
dit la part de l’IBS dans le PIB payée par les entreprises nationales n’est que
de l’ordre de 0.37 % contre 2.8 % pour l’IRG.Et l’argument qui veut expliquer
que la part de l’IRG a augmenté à cause de « l’explosion des
salaires » ne tient pas la route puisque comme on l’a vu plus haut la part
des salaires dans l’affectation du revenu national n’est
plus que de 24.3 % en 2013 contre 36 % au Maroc et 37 % en Tunisie. Si
l’augmentation des salaires peut expliquer l’augmentation de l’IRG
correspondante dans l’absolu elle ne peut expliquer l’importance de
l’augmentation de ce dernier comparativement à l’IBS.
En conclusion on ne peut parler de juste répartition des richesses nationales
sans l’abrogation pure et simple du 87-bis et un rééquilibrage de la politique
fiscale en faveur des salariés et des retraités.