ENVIRONNEMENT- CLIMAT- CHANGEMENTS CLIMATIQUES- ENTRETIEN Z.
NOUACEUR
(c) www.tsa-algerie.com, 12 Août
2018
Les épisodes d’intense
chaleur, de pluviométrie exceptionnelle, d’inondations subites et de périodes
de sécheresses plus longues et plus intenses que ce à
quoi sont habitués les Algériens sont des effets du réchauffement climatique
qui est aujourd’hui un fait indéniable, n’en déplaise au climato-sceptiques.
Enseignant chercheur à
l’Université de Rouen, Zineddine Nouaceur
est membre d’un laboratoire de recherche du CNRS spécialisé dans le domaine du
climat et des risques environnementaux. Il est co-fondateur du réseau Eau et
Climat au Maghreb. Il a rédigé ou participé à la rédaction de plusieurs
ouvrages traitant du climat et ses changements en Algérie et en Afrique du
Nord. Il livre dans cet entretien son point de vue d’expert sur les risques que
fait courir le réchauffement climatique à l’Algérie.
Nous savons aujourd’hui que le
réchauffement climatique est une réalité indéniable et que ses effets
commencent à se faire ressentir. À quel point l’Algérie est touchée et où se
situe-t-elle parmi les pays les plus touchés ou les plus exposés ?
Toute l’Afrique du Nord
(Maroc, Algérie et Tunisie) constitue aujourd’hui un « hot-spot » du
changement climatique. Selon les experts du GIEC (groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat), une hausse des températures de
2 à 3°C est attendue dans la région du Maghreb dans les prochaines années
(projection pour l’année 2050). Sur un siècle, la hausse pourrait atteindre 3 à
5°C.
Pour les précipitations,
les modèles de prévision sur un demi-siècle donnent des résultats qui font état
d’une baisse d’un quart du cumul pluviométrique annuel. Donc, dans les années à
venir, il fera plus chaud et plus sec en Algérie. Cette situation risque ainsi
d’exacerber le stress hydrique observée aujourd’hui dans tout le pays et ne
manquera pas de créer des tensions entre tous les utilisateurs des ressources
hydriques (concurrence entre les différents secteurs économiques et la demande
domestique en eau potable) d’autant plus que la hausse des températures aura
pour conséquences une plus forte évaporation.
Si l’on rajoute à ce
constat la hausse de la population qui devrait atteindre dans les prochaines
années en 2040 un peu plus de 57 millions de personnes, soit une augmentation
de 38,18% par apport à la population de 2017 (41,72 millions), la situation
risque d’être très difficile pour le partage des ressources. Elle sera aussi
difficile pour les milieux naturels déjà fragilisés par les changements
climatiques qui subiront une plus grande pression anthropique conséquence de la
hausse de population.
Sur la base de plusieurs
critères de vulnérabilité (agriculture et ressources alimentaires, eau, santé,
services aux écosystèmes, habitats et infrastructures) et de résilience
(gouvernance et services sociaux), une étude de chercheurs américains publiée
en 2015 a classé 181 pays selon un index global d’adaptation aux changements
climatiques. L’Algérie y est classée au rang 109 avec un indice de 44,5 et se
place dans la catégorie des pays à faible vulnérabilité (41e place avec un
indice de vulnérabilité de 0,37) et un niveau de résilience très bas (166 rang
avec un indice 0,26). Ainsi malgré la vulnérabilité assez faible, la réponse ou
les réponses en termes d’action et de lutte contre les effets des changements
climatiques sont insuffisantes compte tenu des moyens du pays.
Y a-t-il actuellement des
manifestations concrètes du réchauffement climatique en Algérie ? Quelles
sont-elles ?
Oui aujourd’hui les effets
du changement climatique sont présents à travers deux paramètres majeurs :
la plus grande fréquence des périodes de canicules qui est une conséquence
directe de l’augmentation des températures nocturnes (températures minimales)
et l’intensification du cycle hydrologique qui se traduit par des épisodes de
pluies intenses. Ces pluies génèrent souvent des crues subites et des
inondations (phénomènes en une nette recrudescence ces dernières années
particulièrement en zones urbaines).
Quelles régions sont les plus
touchées ?
Il est difficile de
répondre à une telle question, mais compte tenu de la configuration climatique
du pays, l’Ouest souffrira plus des sécheresses puisqu’aujourd’hui cette partie
de l’Algérie est désavantagée en terme pluviométrique par rapport aux régions
« Est ». Le sud du pays (Sahara) souffrira plus de la
chaleur (confirmée par les chercheurs du projet AMMA – African
Monsoon and Multidisciplinary
Analyses). De même que toutes les villes algériennes seront des zones non
adaptées aux changements climatiques actuelles et doivent rapidement s’adapter.
Faiblesse des îlots de fraicheurs (zones végétalisées
et jardins), augmentation sensible des zones bitumées, utilisations de
matériaux de construction non adaptés (béton). Encombrement des centre-villes et augmentation de
la pollution par les particules et autres polluants ce qui favorise le maintien
de l’îlot de chaleur urbain (véritable dôme de chaleur).
À quoi devons-nous nous
attendre en Algérie dans le court, moyen et long termes
? Des transformations importantes du climat sont-elles à prévoir ? Quels dégâts
aura ce changement climatique sur l’agriculture, l’industrie, la démographie et
la vie sociale des Algériens ?
L’avenir est incertain en
Algérie. À court terme, les transformations climatiques seront importantes
puisque nous assistons aujourd’hui à une accélération du réchauffement
climatique sans grandes mesures d’atténuation appliquées. Les défis aujourd’hui
sont énormes compte tenu de l’augmentation de la population et de la demande
future en ressources alimentaires et hydriques.
À plus long terme, il est
difficile de se projeter, mais les changements politiques et sociétaux peuvent
être rapides et des mesures plus adaptées peuvent être mises en place
(l’Algérie est classée dans le secteur des pays à faible vulnérabilité et à
faible résilience). Si l’on considère les moyens dont dispose le pays, la
mobilisation en faveur des actions pour l’atténuation et l’adaptation sera
rapide et efficace.
Dans le domaine de
l’agriculture, ce secteur doit s’adapter aux changements climatiques en
privilégiant des méthodes de culture qui ne gaspillent pas la ressource
hydrique. De même qu’il est souhaitable de favoriser les espèces moins
exigeantes en eau.
Dans l’industrie,
l’utilisation d’une eau traitée doit être privilégié
de même qu’il faut veiller à la bonne qualité chimique des rejets avant de les
introduire dans le milieu naturel (ces mesures assurent la pérennité du cycle
de l’eau). Il faut faire ce que l’on appelle une économie circulaire dans le
petit cycle de l’eau.
Pour la population et la
société algériennes, il faut veiller dès le jeune âge à réintroduire la notion
de respect et de partage du milieu de vie (l’environnement est ce qui nous
entoure, environnement naturel, habitat et infrastructure). Aujourd’hui ce
respect existe, mais il est confiné dans chaque habitat ou maison, il est
individuel et privé, le lieu public (anciennement appelé « Beylek » doit être revalorisé dans le sens d’un lieu
commun partagé par tous et sauvegardé pour les générations futures).
Cette démarche est nécessaire et elle doit être générationnelle et
introduite dans le schéma éducatif du ministère de l’Éducation nationale. La
part des programmes qui évoquent les grandes problématiques environnementales
doit être renforcée et prolongée sur les 3 cycles de l’enseignement (primaire,
collège et lycée).