VIE POLITIQUE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
ESSAI AMMAR BELHIMER- « LES VOIES DE LA PAIX.... »
Les voies de la paix. Rahma,
concorde et réconciliation dans le monde. Essai de Ammar Belhimer.
Editions Anep, Alger 2018, 900 dinars, 300 pages.
La réconciliation, pourquoi et comment ?
Quelles que soient les périodes ou les conflits auxquels elles succèdent, elles
visent partout à asseoir un dialogue entre protagonistes....pour panser les
blessures, réparer les dégâts matériels, physiques et psychologiques.....et
pour retrouver le chemin du développement, de la démocratie et des libertés.
Ceci dit, ces démarches ne sont pas uniques.
On relève donc une diversité de voies cherchant à concilier les parties ou
forces en présence pour les amener à la paix. Elles ne sont pas toutes à
succès. Elles ne sont pas toutes acceptées par tous. Tout dépendant aussi du
degré et de la nature de la violence exercée ou /et subie, que ce soit
dans une dictature ou face à une rebellion ou une
guerre civile.
C’est ce qu’essaye de montrer (et de
démontrer ?) l’auteur qui s’est , peut-on dire , « frotté » au
problème presque directement, en tant que journaliste, en tant
qu’universitaire, en tant qu’ observateur de la société , en tant qu’essayiste
et ....en tant que proche (durant les années 90) de certains hommes politiques
alors en phase avec les événements tragiques en Algérie.
Mais, avant de se pencher sur la
« douloureuse » expérience algérienne, il va, d’abord,
décrypter les politiques de réconciliation connues à travers le monde : en
Espagne (« ni vainqueurs ni vaincus »), au Chili
(« réhabilitation et prévention »), en Allemagne (« au-delà du
Mur »), en Afrique du sud (« justice et réconciliation »), au
Rwanda (après le
« génocide »), en Bosnie (avec un Etat « faible et
divisé, condition de la paix », en Tunisie (avec la rencontre de
« légitimité ») .
On a ,aussi, une
présentation du contexte international , avec les « avatars du wahabisme » et les thérapies de choc menées en Asie
centrale (qui « éradique ») et à Singapour (qui a « un arsenal
législatif impitoyable » ).
Viennent ensuite les conséquences en Occident et en Europe
avec ,entre autres « l’après-11 septembre 2001 », le « djihadisme en procès » et « les dérives
antimusulmanes »....... et le « modèle pour l’Europe » se
faisant avec l’ « interdiction du foulard », « pas de
crucifix en classe », « le voile dans l’espace public »,
l’ « objectivité et le pluralisme à l’école » , « le voile,
la laïcité er la libre entreprise ».
Nous voilà au cœur du livre : « La
voie algérienne ». Une crise qui a duré près de dix années (1992-1999),
qui a fait entre 150 000 à
200 000 morts, des dégâts matériels
incommensurables (18 000 « disparus » selon la Laddh, des centaines de milliers d’infirmes et d’orphelins,
plus de 500 000 exilés, 1,5 à 2 millions de personnes déplacées, 20 milliards
de dollars de pertes financières alors que les caisses de l’Etat étaient
quasi-vides...) et des traumatismes psychologiques aux effets dévastateurs
aujourd’hui encore......malgré les
moyens mis en œuvre par la politique de
« réconciliation nationale ». On a beaucoup écrit et presque tout dit
sur le pourquoi et le comment de la
« décennie rouge » (devenue au fil du temps une
« décennie noire », puis avec
des textes la « tragédie nationale ») ; avec des thèses
puisées dans celles farfelues de l’Ecole psychiatrique d’Alger (1918- 1932),
celles étonnantes d’une jurisprudence italienne (2007), des stéréotypes (bien)
tenaces en Allemagne , en France et en Angleterre, évoquant une « guerre d’indépendance inachevée »
quand il s’agit de personnes, Algériens
d’origine...d’origine seulement . Des thèses qui reprennent le stéréotype
orientaliste faisant de l’Algérien une tête brûlée macho pour lequel la vie
humaine a peu de valeur.....Tous (les Occidentaux) oublieux que les dérivés du
wahhabisme (et non du nationalisme algérien)
« que sont l’intégrisme et son expression armée sont les produits
des ses laboratoires et que leurs
premières victimes, à une échelle continue et massive, sont les musulmans
eux-mêmes »
La voie algérienne ? En fait, une
« longue marche », le résultat d’ébauches et d’approches datant de la
crise de 1962 (Fln/Ffs), puis d’août 90 avec la loi
90-19 portant amnistie, puis le 29 juin
2010 avec l’accord (Charte de Berriane) entre les deux communautés religieuses
dans la région de Berriane.....puis, après la « longue tragédie » et
des textes devant favoriser la lutte contre le terrorisme et la subversion
(nouveau poste de ministre des Droits de l’Homme en juin 1991/décret législatif
en septembre 1992) , des « constructions juridiques particulières »,
entrecoupées par des initiatives internes (tractations et consultations)
, des initiatives externes (Sant’Egidio 1 et 2) , un panel de l’Onu et bien des
pressions externes . On a donc, au final, des
mesures de clémence/rahma (en février 1995),
un texte sur le rétablissement de la concorde civile (juillet 1999)....et,
enfin, une Charte pour la paix et la réconcilation nationale , adoptée en septembre 2005 par référendum
populaire et mise en œuvre le 27 février 2006. « L’Algérie peut être fière
de son expérience » nous dit l’auteur (entretien, « Le Soir
d’Algérie », 10 juin 2018). Encore faut-il – chez nous comme chez les
autres ; chez nous , peut-être plus que chez les
autres....les voisins ? - qu’on
(décideurs politiques , leaders d’opinion et aussi
citoyens) arrête d’instrumentaliser l’Islam et
d’associer, à tort et à travers, les notions d’Islam et de pouvoir.
L’Auteur : Longue
carrière de journaliste. Docteur en droit, professeur à l’Université d’Alger,
essayiste et journaliste-chroniqueur. Auteur des plusieurs études
, tout particulièrement en droit économique ; et de trois ouvrages
dont « La dette extérieure de l’Algérie.... » (1998), « Les
Printemps du désert » (2016) et « Les Dix commandements de Wall
Street » ( 2017)
Extraits : « Une
vraie réconciliation passe par la mise à nu de l’horreur, des mauvais
traitements, de la douleur, de la déchéance, de la vérité. Parfois, elle peut
même aggraver les choses. C’est une entreprise risquée, mais qui vaut la peine,
car c’est en affrontant la véritable situation qu’on peut espérer parvenir à
une vraie guérison »(p 20) , « Monseigneur Teissier, l’archevêque
d’Alger, commentera : « Oui, il faut le dire, les amis de Sant’Egidio sont ceux qui nous ont tués » (p
141), « La conciliation renvoie à une signification juridique très
précise, désignant une procédure utilisée par des parties en conflit,
désireuses d’arriver à un règlement amiable sans avoir à passer par une
procédure judiciaire » (p 144), »
Avis : La
patte et la plume du journaliste, la rigueur de l’enseignant (de la
« vieille école », il faut le préciser !).....mais ouvrage un
peu trop « académique » , surtout la seconde
partie. « Clair et éclairant » (Fouad Soufi, historien)
Citations : « Longtemps,
la réconciliation nationale passait par l’amnistie et celle-ci équivalait à une
amnésie sociale interdisant de raviver les malheurs du passé. L’inconvénient
premier de la démarche est l’accumulation de rancœur refoulée chez les victimes
et le renoncement de la société à tirer les leçons du passé pour en éviter le
retour :parce que la page était tournée sans avoir été lue, rien
n’empêchait de réécrire les mêmes horreurs » (p 11) , « Un semblant
de réconciliation ne peut qu’aboutir à un semblant de guérison » (p 20) ,
« Dans toutes les institutions, il y a le « dit » et le
« non-dit » , ce qu’elles affirment et ce qu’elles taisent. Les
sociétés étant hiérarchiques, ce qui est « dit » est, en règle
générale, favorable aux strates supérieures ;ce qu’elles « ne disent
pas », est l’état de subordination des strates inférieures » (p
189), « Tout a un prix, même le malheur des gens. Sacré capitalisme
qui nous pousse à nous émouvoir des crimes de ses propres rejetons et
avatars ! Cela ne dédouane pas pour autant totalement le monde
musulman » (p 203), « Ce n’est qu’en se réconciliant avec eux-mêmes
que les musulmans d’aujourd’hui pourront se réconcilier avec les autres
« (p 207), « Le monde musulman paraît obéir à une logique
universelle : le repli sur le local en politique dans un monde pourtant
économiquement globalisé » (p 215), »Si la démocratie , comme le
marché, a besoin d’un Etat de droit, le contraire n’est pas toujours vrai.Un Etat de droit peut revêtir un caractère autoritaire
, poursuivre des objectifs de marché, hors de toute préoccupation démocratique,
avec pour seul dessein une scrupuleuse observation des règles qu’il édicte dans
l’intérêt des puissances étrangères « (p 215),