FINANCES- ETUDES ET ANALYSES-
MILLIARDAIRES ALGERIENS- ANALYSE A. MEBTOUL/L’EXPRESSION
Autopsie pour les milliardaires d'Algérie
(c) Pr
Abderrahmane MEBTOUL/ L’Expression, lundi 5 juillet 2018
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LES GROSSES FORTUNES ET LE MARCHÉ ÉCONOMIQUE
Les plus
grosses fortunes en Algérie ne sont pas forcément dans la sphère réelle, mais
au niveau de la sphère informelle notamment marchande
L'objet de cette contribution est de répondre à la question: y
a-t-il de véritables entrepreneurs en Algérie producteurs de richesses? Il ne
faut pas confondre capital argent avec accumulation du capital qui détermine la
richesse d'une nation.
Une personne ou un groupe qui possède beaucoup d'argent n'est
pas forcément un entrepreneur qui, lui, investit dans la reproduction de la
valeur au sens noble du terme, contribuant à la valeur ajoutée interne du pays.
Aussi, se pose cette question cruciale, avec les différents scandales
financiers à répétition qui créent un sentiment de frustration et de
démotivation au niveau de l'immense majorité de la population algérienne à qui
on demande des sacrifices, les véritables milliardaires algériens sont-ils au
niveau de la sphère réelle?
Les récents scandales, notamment de la cocaïne et autres (immobiliers) montrent
que les plus grosses fortunes en Algérie ne sont pas forcément dans la sphère
réelle, mais au niveau de la sphère informelle notamment marchande, avec une
intermédiation informelle, à des taux d'usure. Devant différencier pour les
calculs afin de ne pas induire en erreur l'opinion publique, la part de la
sphère informelle dans le PIB, au niveau de la structure de l'emploi, de la
part de devises échangées sur le marché parallèle et sa part au niveau de la
masse monétaire en circulation donnant des taux différents. Selon Deborah
Harold, enseignante américaine de sciences politiques à l'université de
Philadelphie et spécialiste de l'Algérie, se basant sur des données de la
Banque d'Algérie, l'économie informelle représenterait plus de 50% du produit
intérieur brut, plus de quatre fois le chiffre d'affaires de toutes les grandes
entreprises du FCE réunies. Cette sphère contrôle au niveau de la sphère réelle
65% des segments des produits de première nécessité: fruits/légumes, marché du
poisson, marché de la viande blanche, rouge et à travers des importations
informelles le textile/cuir, avec une concentration du capital au profit de
quelques monopoleurs informels. Cette sphère liée à la logique rentière tisse des
liens dialectiques avec des segments du pouvoir expliquant qu'il est plus
facile d'importer que de produire localement. Mais il ne faut pas se tromper de
stratégie. Nous avons de nombreux entrepreneurs dynamiques, informels, acquis à
la logique de l'économie de marché qu'il sagit d'introduire dans la sphère
réelle non par mesures administratives autoritaires, mais par de nouveaux
mécanismes économiques de régulation. D'une manière générale, il ne faut pas
oublier le dynamisme de certains patrons de la presse privée, tant arabophone
que francophone, certains sites dirigés par des Algériens initiés aux nouvelles
technologies, qui ont permis le développement des espaces de liberté, restant
l'audiovisuel en attente, enjeu de pouvoir, expliquant la tentative vaine du
verrouillage médiatique à l'ère de l'Internet, de la promulgation de la loi,
les quelques chaînes de télévisions privées fonctionnant en off shore. Il faut
le reconnaître, le contrôle des médias est un enjeu stratégique pour les
entrepreneurs privés algériens. Il existe une règle générale valable pour tous
les pays. Lorsqu'on a beaucoup d'argent comme nous l'ont enseigné les
fondateurs de l'économie, (l'économie est avant tout politique), on est tenté
de faire directement ou indirectement (en plaçant des réseaux) de la politique.
Aussi, pour ce secteur particulier existe un danger, pour des cas où
l'actionnaire principal est un privé, en cas de non-autonomie de la rédaction,
que ces médias s'adonnent à de la propagande, à l'instar de certains autres publics,
au lieu de fournir une information objective d'où l'importance d'un code de
déontologie. Cela n'est pas propre à la presse et concerne également les
chaînes de TV privées, avec les contraintes de la publicité. D'une manière
générale, le secteur privé algérien qu'il soit autonome vis-à-vis des sphères
du pouvoir ou dépendant, (pour l'octroi de marchés), a une attitude
contradictoire vis-à-vis de la politique du gouvernement concernant les grands
dossiers. Comme la privatisation (totale ou partielle des entreprises publiques
existantes) qu'il s'agit de ne pas confondre avec la démonopolisation (unités
nouvelles crées par le secteur privé) avec parfois des alliances contre nature
avec des syndicats corporatistes, (intérêts communs de rente), les dossiers de
l'adhésion à l'organisation mondiale du commerce, des Accords de libre échange
avec l'Europe et de la règle des 49 /51% (l'Etat algérien supportant tous les
surcoûts via la rente) régissant le privé international, instaurée en 2009 sans
une délimitation claire de ce qui est stratégique et de ce qui ne l'est pas,
ayant donné parfois au détriment du Trésor, des situations de rente à certaines
relations de clientèle.
Entraves au secteur productif
Le secteur
privé algérien s'est développé largement à l'ombre du secteur d'Etat selon le
fameux slogan «secteur privé facteur complémentaire du secteur d'Etat». Ce qui
le freine c'est l'environnement et la sphère informelle dominante en Algérie.
Le milieu des affaires est peu propice aux initiatives créatrices de valeur
ajoutée à l'instar de la politique salariale qui favorise des emplois-rentes au
lieu du savoir et du travail. Cela explique que les entrepreneurs cités, face à
une concurrence étrangère (nombreux privés dans l'import) à laquelle ils
n'étaient pas préparés, ont des filières d'importation afin d'équilibrer leurs
comptes globaux. Que l'on visite bon nombre d'anciennes zones industrielles
(Est- Centre - Ouest ou la zone de Ghardaïa) et l'on constatera que bon nombre
d'anciennes usines se sont transformées en aire de stockage expliquant
d'ailleurs le dépérissement du tissu productif où l'industrie représente à
peine 5% du produit intérieur brut. La raison essentielle est représentée par
les contraintes de l'environnement: bureaucratie pour plus de 50%, un système
financier administré, (plus de 90% des crédits octroyés sont le fait de banques
publiques), un système socio-éducatif inadapté et enfin l'épineux problème du
foncier. A cela s'ajoute du fait de l'ancienne approche culturelle, une
méfiance vis-à-vis du privé tant local qu'international du fait que les tenants
de la rente ont peur de perdre des parcelles du pouvoir. Cela explique
d'ailleurs ces alliances entre la sphère bureaucratique et certaines sphères
privées spéculatives mues par des gains de court terme via la rente. Or le
véritable dynamisme de l'entreprise, qu'elle soit publique ou privée, suppose
une autonomie de décision face aux contraintes tant internes qu'internationales
évoluant au sein de la mondialisation caractérisée, l'incertitude, la
turbulence et l'urgence de prendre des décisions en temps réel. Par ailleurs,
selon les données quantitatives de l'Office national des statistiques (ONS) il
y a «prédominance» du secteur commercial et le caractère «tertiaire de
l'économie nationale plus de 83% du tissu économique global, étant fortement
dominé par les personnes physiques à plus de 95% alors que les personnes
morales (entreprises) représentent seulement 5%. Ce résultat est révélateur
d'une économie basée essentiellement sur des micro- entités peu initiées au
management stratégique. Les quelques cas analysés précédemment, qui sont
d'ailleurs confrontés à de nombreuses contraintes, ne peuvent permettre à eux
seuls une dynamisation globale de la production hors hydrocarbures, nécessitant
des milliers d'entrepreneurs dynamiques. Car si le secteur privé réalise 80% de
la valeur ajoutée hors hydrocarbures du pays, et plus de 60% de l'emploi, il ne
représente d'ailleurs que 2 à 3% du total des exportations contre 97/98% pour
Sonatrach, sa part dans l'investissement global est négligeable, D'une manière
générale que représente le secteur privé algérien face au chiffre d'affaires de
Sonatrach qui contribue directement et indirectement via la dépense
publique/via les hydrocarbures à plus de 80% du produit intérieur brut? A cela
s'ajoute le manque d'unification des organisations patronales privées où, sans
être exhaustif nous avons la Confédération générale des entreprises algériennes
(Cgea) la Confédération générale du patronat (CGP-Btph), la Confédération des
industriels et producteurs algériens (Cipa), la Confédération nationale du
patronat algérien (Cnpa, la Confédération algérienne du patronat (CAP), le
Conseil supérieur du patronat algérien (Cspa), l'Association des femmes chefs
d'entreprises (Savoir et vouloir entreprendre-Seve), le Club des entrepreneurs
et des industriels de la Mitidja (Ceimi). Quant au Forum des chefs d'entreprise
(FCE), il regroupe environ 499 entreprises qui peuvent corollairement
appartenir à des associations syndicales, couvrant 18 des 22 secteurs
économiques et représentant un chiffre d'affaires de 14 milliards de dollars,
employant environ 105.000 salariés, le FCE étant considéré comme un think tank
(laboratoire d'idées) et non comme une organisation syndicale, ayant annoncé depuis
quelques mois qu'il se transformerait en syndicat.
Pour une nouvelle gouvernance
Il existe
actuellement une atmosphère de psychose faisant fuir les capitaux ou la
majorité se refugie dans des activités de gain de court terme,alors que
l'investissement durable repose sur la confiance. Les missions des
entrepreneurs publics, de bon nombre d'institutions stratégiques de l'Etat et
du secteur privé ont besoin dêtre démystifiés, souvent assimilés faussement à
des voleurs, alors que cela concerne une minorité. Le secteur privé national
productif public et privé a besoin de plus d'autonomie et d'espaces de liberté,
ne signifiant pas le capitalisme sauvage. Les milliers d'entrepreneurs et
d'intellectuels algériens qui réussissent à l'étranger sont un exemple édifiant.
Retenons d'abord ce qui reste (cette fuite des cerveaux qui constitue une
véritable hémorragie), tout en encourageant la diaspora qui peut être un pont
entre l'étranger notamment et la terre natale et également avec des
investisseurs étrangers afin de favoriser le transfert managérial et
technologique grâce à des copartenariats et des colocalisations. Il faut
s'attaquer à l'essentiel qui est une gouvernance mitigée, liée à une profonde
moralisation de ceux qui gèrent la cité. Sans vision stratégique, comment
adapter l'Algérie à la mondialisation par plus d'espaces de libertés, en levant
les contraintes d'environnement afin de permettre l'épanouissement de
l'entreprise créatrice de richesses, en combattant non par des textes, mais
réellement cette corruption socialisée qui menace les fondements de l'Etat
algérien, poussant la majorité à se tourner vers les valeurs spéculatives, il
ne faut pas s'attendre à un véritable développement de l'Algérie. Il y a lieu
de souligner que la base de la réussite des réformes doit reposer sur une
transparence totale et une large adhésion sociale. Dans les pays développés le
niveau élevé d'éducation favorise la transmission de l'information, étant dans
une économie de marché structurée. Comme nous l'avons montré dans plusieurs
contributions nationales et internationales récentes en posant la problématique
du futur rôle de l'État dans ses relations avec le marché, il s'agit de faire
naître le marché dans un contexte de non-marché, à travers cette mutation
systémique bouleversant la cohérence des anciens réseaux, pour créer une
dynamique nouvelle à travers de nouveaux réseaux acquis aux réformes(de
nouvelles forces sociales) dans le cadre d'une nouvelle cohérence synchronisée
avec les mutations de l'économie mondiale. Cette dynamique sociale est seule à
même d'éviter ce manque ce cohérence et de visibilité dans la politique
socio-économique dont les changements perpétuels de cadres juridiques (fonction
des rapports de force au niveau du pouvoir) en sont l'illustration où plusieurs
centres de décisions politiques, atomisant les décisions et rendant
volontairement opaques les décisions, traduisent le non-consensus. En cas de
non-vision stratégique axée sur la concurrence, le processus de libéralisation
qui doit être maîtrisée s'avérera un échec patent avec le risque de passage
d'un nouveau monopole privé spéculateur, favorisé par le monopole source
d'inefficience. Car dans la pratique des affaires n'existent pas de sentiments,
tout privé, algérien, chinois, européen ou américain est guidé par la seule
logique du profit (tout autre discours est de la démagogie), appartenant à
l'Etat régulateur représentant l'Etat-nation de lutter contre les
malversations, les surfacturations, d'avoir une vision claire de la politique
socio-économique pour sécuriser l'investisseur, concilier les coûts sociaux et
les coûts privés et donc l' efficacité économique et une profonde justice
sociale, qui ne saurait signifier égalitarisme, source de démotivation.