HISTOIRE- GUERRE DE LIBÉRATION NATIONALE- 25
AOÛT 1958 (Extraits)
Une date occultée : le 25 Août 1958,
(c) Par
Ali Haroun/ El Watan; Jeudi 25 Aout
2016. Extraits
Parmi les dates historiques qui jalonnent l’histoire de sa guerre de libération
comme le 1er Novembre 1954, jour du déclenchement, le 20 Août 1956 du Congrès
de la Soummam, ou le 17 Octobre 1961 marquant les manifestations de Paris,
celle du 25 Août 1958 n’évoque aucun souvenir particulier. Et pourtant, cette
nuit, une guérilla urbaine d’un genre nouveau marque l’ouverture d’un second
front de la lutte armée du FLN sur le territoire de la France métropolitaine.
Parmi les nombreuses actions, celle menée contre les dépôts
pétroliers de Mourepiane près de Marseille a particulièrement marqué l’opinion
interne et internationale, alertée par les médias, surpris par l’événement et
stupéfaits par ses répercussions. Mais l’attaque de Mourepiane s’inscrit dans
le cadre global de ce second front ouvert par la Fédération du FLN en France,
«la 7e Wilaya historique», selon les directives du CCE.
En ce mois de juillet 1958, dans un village de la banlieue de Cologne, sur la
rive droite du Rhin, l’auberge des «Falken» abrite une réunion qui semble
s’éterniser. Elle dure depuis plus d’une semaine, et le Comité Fédéral élargi
aux chefs des quatre wilayas du FLN en France, tiennent une séance
extraordinaire. S’y trouvent : Omar Boudaoud, chef du comité fédéral ; Saïd
Bouaziz, responsable de l’OS ; Ali Haroun, responsable de la
presse-information, de l’organisation et de la défense des détenus ; Kaddour
Ladlani, responsable de l’organisation-mère ; Abdelkrim Souici, responsable des
finances et des organismes annexes (SU, AGTA, etc.) ; ainsi que Moussa
Khebaïli, chef de la wilaya I (Paris-Centre) ; Hamada Haddad, chef de la Wilaya
II (Paris-Périphérie) ; Amor Ghezali, chef de la wilaya III
(Centre-Lyon-Grenoble-Saint-Etienne) ; Smaïl Manaa, chef de la Wilaya IV (Nord
et Est) et Bachir Boumaza, responsable du collectif et du Comité de soutien aux
détenus (CSD), une sorte de Croissant-Rouge clandestin, ainsi que Mohamed Harbi
qui devait peu après quitter le groupe.
Ce comité des «onze» estime que le FLN est arrivé
à installer sur le territoire français une organisation politico-administrative
et paramilitaire permettant le passage à une forme supérieure de combat. A cet
effet, Boudaoud rappelle qu’il est arrivé, investi d’une mission bien précise
qui inclut, parmi les directives données par Abane Ramdane, au nom du CCE, celle
d’ouvrir en France, au moment opportun, un second front. Le but : élargir le
champ du combat pour contraindre le gouvernement français à accroître ses
dépenses militaires et son budget de répression, rendre sa politique
impopulaire, et disperser ses forces, ce qui soulagerait les maquis.
Les participants se donnent alors un délai d’un mois pour
préparer, chacun dans son domaine, l’action envisagée. Levant la séance le 25
juillet, ils fixent le déclenchement au 25 août 1958 à 0 heure. Il est convenu
que la date restera connue seulement des participants, l’OS et les «groupes de
choc» devant être prêts à l’action au jour J. Et chacun prend le chemin du
retour vers sa circonscription : les responsables de wilaya par leurs filières
respectives, et, un peu plus tard, Bouaziz, Haroun et Ladlani transitent par la
Belgique où depuis Bruxelles une filière doit les conduire à Paris.
Dans la capitale belge où se tient l’Exposition universelle,
Kaddour Ladlani apprend que «Spoutnik», le chef de la wilaya du Nord, semble traîner
la patte. Il s’en inquiète d’autant plus que le temps presse et que cette
wilaya, où le MNA est encore puissant, ne sera pas aisée à mobiliser. Aussitôt
il désigne Benaïssa Souami, dit «J3», comme chef de la wilaya.
Une filière va déposer à Paris vers minuit, dans le tohu-bohu
des Halles, rue de Rivoli, au milieu des caisses de fruits et légumes face à la
Samaritaine, Haroun et Ladlani qui seront aussitôt pris en charge par le réseau
«hébergements». En vue de l’action à déclencher – qui va sans aucun doute
déchaîner une répression telle que les contacts entre les diverses wilayas de
France deviendront impossibles –, il convient de doter chacune d’elles de tous
les moyens en hommes et accessoires nécessaires à une vie autonome.
La wilaya de Paris et celle de Paris-Périphérie constituent
pratiquement l’épine dorsale de la Fédération. Le chef de l’OS doit s’occuper
principalement de préciser avec «Madjid» Aït Mokhtar, les objectifs visés et de
trouver un remplaçant à Omar Harraigue, complètement «grillé». Le responsable à
la presse va rechercher pour chaque wilaya un délégué à la presse et
information – le DPIW. Ainsi seront désignés Mejdoub Benzerfa (dit Marcel, dit
aussi Armstrong), pour Paris-Centre, Ali Kara-Mostefa (dit Karl) pour
Paris-Périphérie, Mustapha Francis (dit François) pour le Nord et l’Est,
Abdelatif Rahal (dit René) pour Lyon et le Sud.
Le 22 août se tient à Sceaux, dans la banlieue sud de Paris, la
réunion ordinaire mensuelle pour l’examen des rapports organiques et
financiers. Chantal Lambla de Saria, qui seule connaît l’adresse, est chargée
de véhiculer les participants au nombre de sept : Bouaziz, Haroun et Ladlani
pour le Comité Fédéral, Kebaïli, Haddad, Ghezali et Souami, chefs des quatre
wilayas. Mais cette fois-ci, l’ordre du jour de la réunion compte en outre
l’ultime vérification du dispositif avant l’heure H. Tout est au point. Aucun
imprévu n’a perturbé le planning établi à Cologne. On confirme : 25 août, 0
heure, et on se sépare. Le compte à rebours peut commencer.
Bilan le 26 au matin
Coup de tonnerre dans un ciel serein. Le peuple français dans sa
grande masse découvre par la presse, le 26 au matin, que la guerre vient de
franchir la Méditerranée, au moment même où il commençait à s’en accommoder.
Commissariats, postes de police et casernes attaqués, dépôts de carburants
incendiés, voies ferrées sabotées, objectifs économiques atteints, raffineries
en flammes et quartiers entiers évacués… tout cela en une seule nuit. Quel en
est le bilan exact ?
Dans la région parisienne, les commandos, sous les ordres
directs de Mohand Ouramdane Saâdaoui et Mohammed Mezrara dit «Hamada», passent
à l’attaque. A 2h05, l’annexe de la préfecture de police, 66, boulevard de
l’Hôpital à Paris, est visée. Quatre policiers sont mortellement atteints. Les
hommes pénètrent dans les lieux, allument des bidons d’essence. L’incendie fait
diversion et l’épais nuage de fumée qui s’en dégage va protéger leur fuite.
Menée par Diafi et Messerli, l’action aura permis la prise d’un
pistolet-mitrailleur 38 et d’un pistolet automatique de 9 mm. Le commissariat
du XIIIe arrondissement est arrosé de rafales de mitraillette. Quai de la Gare,
un dépôt d’essence est touché. La Cartoucherie de Vincennes est visée. On se
propose de la faire sauter. L’attaque, dirigée par Larbi Hamidi dit «Amar», a
lieu à 3 heures du matin. Mais des policiers alertés quelque temps auparavant
patrouillent. Elle se solde par une intense fusillade : un policier tué,
plusieurs blessés, et du côté FLN deux tués et huit blessés.
Des dépôts de pétrole à Gennevilliers et à Vitry en région
parisienne sont incendiés. Toujours à Vitry est attaquée une usine de montage
de camions militaires. Sont aussi visés, mais sans succès, un hangar à
l’aéroport du Bourget ainsi qu’une usine à Villejuif. Dans le découpage
géographique de l’OS, la Normandie constitue une région militaire confiée à
Omar Tazbint, dit «Abdou», chef de région avec Arab Aïnouz comme adjoint et
Abderrahmane Skali comme artificier. Ces trois hommes, avec leurs éléments –
une trentaine au maximum – vont mener les opérations du 25 août et des jours
suivants jusqu’à leur arrestation, intervenue le 29 septembre. A Port-Jérôme
près du Havre, la raffinerie Esso-Standard est sabotée. Muni d’un bâton de
nitroglycérine, un fidaï détruit la cuve, son compagnon Abdelmadjid Nikem,
chargé d’en faire sauter deux autres, est déchiqueté par l’explosion.
La centrale de gaz de Rouen est attaquée et l’affaire ne sera
jugée que les 6,7 et 8 février 1961, les auteurs du sabotage ayant dû
comparaître pour de nombreuses autres affaires. Dans une note à «Alain» (Ali
Haroun), responsable des détentions, Serge Moureaux, avocat à Bruxelles,
rapportait fin décembre 1960 : «L’affaire du Gaz de France (attentat du 25 août
à Rouen) avec Tazbint, Aïnouz, Skali et Bourenane, déjà condamnés à mort dans
d’autres affaires, est venue les 4 et 5 décembre 1960 devant le tribunal
militaire de Lille. Après deux jours de procédure (à la barre Oussedik,
Zavrian, Marie-Claude Radziewski, Moureaux, Cécile Draps, Merchies), nous avons
obtenu le renvoi sine die. Malgré leur situation critique, les quatre accusés
brandissent à l’audience de février le drapeau FLN, ce qui – on s’en doute –
n’incitera pas des juges militaires survoltés à plus de clémence.»
Une tentative d’attaque contre le commissariat central de Rouen
est stoppée par la police qui intercepte la voiture du commando et saisit la
bombe destinée à détruire le bâtiment. Lors du désamorçage, l’engin explose,
tuant et blessant plusieurs policiers. Le commando compte un mort : Omar Djillali.
A Elbeuf, un brigadier-chef sera grièvement blessé. Plusieurs attaques seront
menées à Evreux pour lesquelles les «fidayne» Mohamed Tirouche et Ali Seddiki,
condamnés à mort, seront guillotinés en 1960. Au Petit-Quevilly, près de Rouen,
le dépôt pétrolier est saboté. Malgré la présence de la police qui, faisant
usage de ses armes, tue un militant et en blesse un autre, le commando parvient
à incendier quatre cuves de carburant d’une contenance de 4000 m3.
La zone du Midi
Compte tenu des nombreux objectifs économiques et militaires
recensés par l’OS dans le Midi de la France, cette zone est subdivisée en
plusieurs circonscriptions ou «régions militaires». Le chef en est Ouahmed
Aïssaoui, aidé par l’artificier Ouznani Mohamed et Belhaouès M’hamed responsable
de l’armement. Deux agents de liaison, Yamina Idjerri, dite «Antoinette» et
Rabia Dekkari, dite «Djamila», assurent un contact permanent avec Paris où se
tient l’état-major de la «Spéciale». Nadia Seghir et Halima Kerbouche servent
aux contacts locaux. Les quatre subdivisions ont respectivement à leur tête :
Chérif Meziane, dit «Allaoua», pour la première région ou Marseille-Centre ;
Ali Boulbina pour la deuxième région ; Ahmed Belhocine pour la troisième
ou Port-de-Bouc ; enfin Ali Betroni, dit «Abdelaziz», pour la quatrième,
englobant Bordeaux et Toulouse. Ces cadres avec leurs hommes – moins d’une
centaine pour toute la zone sud – vont en quelques jours déclencher une vague
de sabotages impressionnante.
Ouahmed Aïssaoui raconte : «Mardi 20 août, je reviens de Paris
informé de l’heure H (cinq jours pour tout préparer). Convocation des chefs de
groupe à la ferme de Baghdadi, située dans les environs de Miramas. Le jour
même nous y avons transporté les armes et explosifs. Nous ne disposons pas
suffisamment d’explosifs pour prétendre attaquer tous les objectifs au même
moment, mais notre artificier a su confectionner les bombes et charges
nécessaires pour chaque équipe en faisant un mélange de cheddite et de
nitroglycérine, dont il avait seul le secret. Samedi 24, nous avons remis tous
les moyens disponibles, désigné les équipes, initié les éléments à
l’utilisation des charges télécommandées, procédé aux essais des détonateurs.
Dimanche, tout le monde était consigné. Ce n’est qu’à 22h que
les chefs de groupe eurent connaissance de l’heure H. Nous quittâmes la ferme,
chacun partant vers son but. L’artificier et moi-même rejoignîmes une villa de
la banlieue de Marseille, munis des bombes destinées aux objectifs de
Marseille. Le chef de groupe de cette ville nous y attendait. L’artificier met
la dernière main aux engins, règle la minuterie sur l’heure H et charge le tout
dans la voiture. Il faut signaler que les frères du FLN nous ont prêté deux
tractions avant. Ces deux véhicules devaient servir au transport des équipes
depuis Marseille vers les lieux à attaquer. Nous avons quitté la villa vers
23h50. Ben Djaghlouli, chef de groupe, nous précède de quelques minutes à bord
de la traction. L’artificier et moi-même suivons dans celle du frère Samet,
conduite par Rabah L…
Nous devions rejoindre le chef de groupe en ville pour lui
remettre les bombes. A peine avons-nous fait quelques centaines de mètres que
nous tombons en panne. Rien n’y fait. La boîte de vitesse est complètement
bousillée. L’explosion des bombes allait se produire dans moins de trois
heures. Il n’était plus possible de les désamorcer, les ouvertures étant
soudées. La sœur Saliha, après une longue attente, peut enfin rejoindre la
ville par auto-stop et ramener un taxi dans lequel nous faisons le transbordement.
En cours de route, nous trouvons le chef de groupe qui lui aussi
était tombé en panne. Finalement, nous avons utilisé des taxis pour atteindre
nos destinations. Les onze objectifs visés furent tous attaqués.
Malheureusement, plusieurs charges n’ont pas fonctionné. Cela provenait de la
défectuosité des détonateurs et des explosifs récupérés dans les carrières de
la région, qui avaient été enterrés durant de longs mois. Nos responsables nous
avaient promis trois tonnes de plastic. S’ils avaient tenu parole, ç’aurait été
la catastrophe pour la France…».
Puis Aïssaoui dresse, sans enjoliver, le détail des objectifs
attaqués cette même nuit du 25 août et le bilan – somme toute modeste à ses
yeux – de l’action dans sa zone.
Froid et peu enclin à l’exagération, Aïssaoui est d’une modestie
qui ne traduit sans doute pas les résultats réels de la «nuit rouge», ni
l’impact certain qu’elle obtint sur les médias. Si la presse souligne les
attentats manqués contre les dépôts des sociétés Shell et British Petroleum à
Saint-Louis-Les-Aygalades près de Marseille, à La Mède, au Cap Pinède, à
Frontignan près de Montpellier, à la raffinerie de Lavéra, elle informe sans le
vouloir que le FLN dispose désormais de techniciens capables d’utiliser des
engins sophistiqués et des bombes télécommandées. Elle ne peut davantage passer
sous silence que, simultanément à ces actions manquées, le dépôt de la Mobil
Oil près de Toulouse brûle encore. Deux réservoirs ont sauté, provoquant un
incendie dont les flammes atteignent plus de cent mètres de hauteur et les
colonnes de fumée sont visibles à vingt kilomètres alentour. Mobil Oil perdait
ce jour 8000 m3 de carburant.
Les incendies de Mourepiane
Les rapports établis par l’organisation et les articles publiés
par la presse des 26-27 et 28 août 1958 sont suffisamment éloquents pour
décrire cette nuit du 25 Août marquante dans l’histoire de la guerre
d’indépendance algérienne.
Mais c’est l’affaire de Mourepiane qui, tant par ses
conséquences immédiates que par les péripéties judiciaires qui s’ensuivent,
caractérisera dans les mémoires ce «second front» ouvert la nuit du 25 août
1958.
Considéré alors comme crédible et sérieux, le journal Le Monde
qui, généralement, répugne au sensationnel, écrit alors : «Après la véritable
panique provoquée lundi soir à Mourepiane par la recrudescence de l’incendie
allumé la nuit précédente au dépôt pétrolier le calme semble revenu ce matin.
Mais en fin de matinée la grande cuve de protection qui a pris feu lundi soir
brûlait encore.
Les pompiers se tenaient à l’écart. Les dangers d’explosions nouvelles ne sont
pas écartés. Une dizaine de bacs de chargement menacent à tout moment de
s’enflammer. Ce sont les seules installations épargnées par l’incendie. Tous
les réservoirs, ainsi que les dépendances administratives de l’entrepôt, ont
sauté et brûlé. Sur plusieurs centaines de mètres le dépôt est complètement
dévasté. A travers l’épaisse fumée noire qui s’élève des bacs depuis bientôt
trente-six heures, on ne voit que des tôles tordues et des canalisations déchiquetées.
C’est à 19h50, lundi soir, que par une explosion d’une violence extrême,
l’incendie s’est subitement communiqué à l’ensemble des installations.
Jusque-là, l’extension du sinistre avait paru facile à éviter… Il ne semblait
pas que la vaste cuve dite de ‘‘rétention’’ pratiquée au centre du réservoir
dût être contaminée. Aussi son explosion soudaine a-t-elle surpris les
sauveteurs et les curieux. Visibles depuis Notre-Dame de la Garde et
l’esplanade de la gare Saint-Charles, des flammes de plusieurs dizaines de
mètres de hauteur se sont élevées. Une folle panique s’est emparée des
habitants du port de Mourepiane.
Les sirènes des voitures de police et de pompiers ont retenti à
travers la ville. On parlait déjà de plusieurs morts. En réalité, la déflagration
a seulement blessé des pompiers qui se trouvaient aux abords de la cuvette… Sur
ordre des autorités, qui ont établi leur poste de commandement dans les locaux
de la gendarmerie maritime, l’évacuation de 800 personnes a été assurée lundi
soir. Les boutiques et les bars du boulevard du Littoral ont fermé leurs
portes. Le mur de protection en terre que les pompiers et la troupe avaient
édifié dans l’après-midi permettait d’espérer que le feu ne s’étendrait pas
au-delà de l’entrepôt. Mais la chaleur dégagée par le brasier était telle que,
de proche en proche, les habitants et les curieux, venus par milliers,
refluaient d’heure en heure, bientôt contenus à plus d’un kilomètre du dépôt
par des cordons de police.
A 22h15, une nouvelle explosion s’est produite : les dernières
cuves épargnées par le feu sautaient à leur tour, provoquant une nouvelle vague
de panique. Finalement, à part les petits bacs de chargement dont l’embrasement
est toujours à redouter, tous les bacs de l’installation ont brûlé, ce qui représente
plusieurs millions de litres d’essence et de gas-oil… Pendant ce temps, cent
cinquante hommes de troupe veillent sur les différentes raffineries de
Martigues-Lavéra, où des engins explosifs ont été découverts à temps à l’aube
de lundi. Une jeep du service de déminage a pris feu alors qu’elle venait
d’enlever les dispositifs des saboteurs et qu’elle quittait la raffinerie. Un
militaire a été blessé.» Ainsi s’exprimait Le Monde.
Quatorze ans plus tard, Albert-Paul Lentin décrit ainsi l’action
: «L’opération capitale est cependant celle qui est dirigée contre le plus
grand dépôt de stockage de carburant du sud-est de la France, celui de
Mourepiane, dans la banlieue nord de Marseille, non loin du port. Là, l’attaque
est précédée par une manœuvre de diversion. Des Algériens allument, à 21h,
plusieurs foyers d’incendie dans les forêts de l’Estérel de manière que
plusieurs équipes de pompiers chargées de combattre le sinistre s’éloignent de
Marseille. A 3h15, l’explosion fait sauter les deux réservoirs et secoue tout
le quartier de l’Estaque. Un incendie qui éclaire tout le ciel de Marseille
ravage sept des quatorze bacs. Nouvelle explosion à 8h45 après que l’on eut
fait évacuer en toute hâte les habitants des quartiers en danger, puis le soir,
à 20h20, formidable explosion qui détruit toutes les installations qui avaient
jusque-là échappé aux destructions. Un pompier périt dans l’incendie. On relève
dix-neuf blessés, parmi lesquels, le maire de Marseille Gaston Defferre, qui
s’étant rendu sur les lieux est touché au pied. Le feu brûle encore à
Mourepiane pendant dix jours… 16 000 m3 de carburant ont été détruits.»...................
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Comme il fallait s’y attendre, la répression se durcit. Un couvre-feu pour les
Nord-Africains est instauré dès le 27 août dans le département de la Seine, le
3 septembre dans le Rhône, et le 4 en Seine-et-Oise. Les «chasses au faciès» se
multiplient à Paris, Marseille, Lyon, Belfort, et les «transferts» en Algérie
se développent. Tout «basané» devient suspect, et les Algériens emplissent les
hôpitaux désaffectés, comme Beaujon, ou les casernes spécialement aménagées
pour eux. Des milliers d’entre eux sont «triés» au Vélodrome d’hiver, avant
d’être internés dans les camps d’Algérie. «Retour aux sources», écriront les
rares journalistes encore courageux, rappelant que naguère, au même Vél’ d’hiv,
les juifs étaient, avec la complicité d’une partie de la police française,
raflés puis parqués, avant d’être envoyés, dans des wagons plombés, vers les
camps de la mort.
L’action se poursuit
Ni les contrôles renforcés ni les arrestations préventives
n’empêchent l’action déclenchée le 25 août de se poursuivre, avec moins d’éclat
peut-être mais non sans efficacité. ................................................................................................................................... ;
Une bataille et non la guerre
Evidemment, il n’était pas question – et le FLN n’en a jamais eu
ni le désir ni les moyens – de soumettre tous les soirs le territoire français
à une nuit du 25 août. C’était simplement une bataille, au cours d’une guerre
de plus de sept ans. Après une offensive de quelques semaines, le but fixé par
la Fédération paraissait relativement bien atteint. Quoi qu’il en soit,
retenons cette date du 27 septembre, puisque des bilans officiels ont été
établis jusque-là. Entre le 21 août et le 27 septembre 1958, ont été dénombrés
56 sabotages et 242 attaques contre 181 objectifs. Les opérations ont fait 188
blessés et 82 morts.
Nombreux ont été les militants blessés ou tués les armes à la
main, déchiquetés par leurs engins, abattus par les forces de répression ou assassinés
sous la «question» arrêtés, condamnés puis guillotinés. C’est pourquoi, tout en
dressant ce triste constat, pensant à toutes ces morts inutiles, fruits
vénéneux de l’occupation coloniale l’on aurait voulu espérer que cette bataille
fût la dernière, abandonner les bombes inutiles au plus profond d’un étang sans
poissons, et dire avec Malek Haddad :
La grenade a son temps/ mais le temps des cerises, / celui
que je préfère / est encore celui-là.
Hélas, le chef de l’Etat français refusa le rameau d’olivier tendu le 28
septembre 1958 par le GPRA qui proposait alors «une négociation sans
préalable». Comme en Algérie, en France la grenade allait encore éclater. Les
cerisiers n’avaient pas encore fleuri.