COMMUNICATION
– ETUDES ET ANALYSES- ECONOMIE DE LA PRESSE EN ALGERIE- JOUIRNEE D’ETUDE-
COMMUNICATION A.DJABALLAH (I/II)
Journée
d’étude : « La presse écrite en Algérie : regards croisés
d’universitaires et des praticiens du secteur », ENSJSI-BEN AKNOUN/Laboratoire
MUSC/ ALGER (Lundi 9 mai 2016)
DE
LA NOUVELLE ECONOMIE DE L A PRESSE
Par Belkacem
AHCENE-DJABALLAH, professeur associé à l’Ensjsi, journaliste indépendant *
ahdjab@gmail.com
On l’avait
annoncé dans nos divers écrits, déjà à partir de la fin des années 90.
Aujourd’hui, on le voit, on le sait.
Dans la
plupart , sinon dans tous les pays du monde libéral, du moins dans les
nouvelles économies libérées - brutalement et sans préparation approfondie
- des contraintes de la propriété
collective ou étatique , les paysages médiatiques, carrefours et rond -points
des enjeux politiques, idéologiques et financiers , ont été les premiers à en
« faire les frais »
. Pour
les pays les plus « ouverts » aux réformes, le capital étranger
s’est engouffré dans la brèches et s’est rapidement
approprié les moyens les plus intéressants, ou en a créé de plus puissants et
de plus attractifs ou, alors, il a joué de rôle de partenaire au
« savoir-faire » indéniable et incontournable, du moins au départ.
Ceci a été
très visible dans les pays de l’ex-bloc soviétique (Europe de l’Est, dont la
Russie), mais aussi dans certains pays arabes et africains où, désormais,
journaux, radios télés privés et agences de publicité à capitaux privés –tout
ou partie – foisonnent. Tout cela dans une atmosphère de concurrence en
apparence sauvage, mais qui a l’avantage d’être , sinon loyale, du moins
« claire ».Avec , bien sûr, en certains endroits, un pouvoir
politique- surtout lorsqu’il est assuré par des « héritiers », vieux
ou encore jeunes , des anciens régimes autoritaristes – qui tente de conserver
ou défendre son pré-carré (en l’occurrence l’audiovisuel avec une préférence
pour la télévision) , mais sans grande conviction (sinon celle financière) ,
sachant bien qu’il est désormais très « surveillé » par
« lanceurs d’alerte » et les nouveaux monopoleurs de la mondialisation-
globalisation
En Algérie,
nous n’en sommes pas encore là mais, à mon sens, cela ne saurait tarder. Déjà,
les appétits capitalises (au sens économique du terme
et non idéologique) s’aiguisent tout
particulièrement avec une plus grande ouverture du marché à l’initiative privée
et aux Ide....depuis tout particulièrement le début des années 2010. Processus
s’accélérant avec la crise financière due à la baisse des ressources
pétrolières....et par contre-coup une forte contraction de la ressource
publicitaire (baisse de 50% et plus). Le récent rachat du groupe El Khabar en
avril 2016 (lui-même lié au groupe El Watan par le biais
d’infrastructures communes comme les imprimeries) par un gros industriel,
dirigeant une véritable multinationale (Cevital) annonce la couleur.
QUELQUES
EXEMPLES A L’ETRANGER
.Le Fonds souverain de
l’émirat du Qatar est certainement parmi les plus offensifs ces dernières années , tout particulièrement dans le domaines des
médias : fin décembre 2011, il devenait premier actionnaire du groupe
Lagardère média avec une prise de participation de 10, 07% (et 7,87% des droits
de vote). Le groupe Lagardère (qui est aussi dans l’armement)
, premier éditeur mondial de presse magazine, propriétaire de Paris
Match et de Elle , possède quelque 212 titres édités dans 45 pays.
Son titre , Elle, hebdomadaire féminin, a , à lui
seul, 42 éditions internationales..... A noter que Qatar Holding est
propriétaire du PSG, d’une partie des droits audiovisuels du championnat de
France et de la Champions League de football…
. Autre exemple : le
groupe privé chinois Wanda, spécialisé dans les loisirs et la culture (chiffre
d’affaires annuel de 16,7 milliards de dollars) , est
devenu, en mai 2011, le premier propriétaire mondial de cinémas en acquérant le
géant des multiplex aux Etats Unis AMC (American Multi-Cinema ), pour 2,4
mds usd : 5 000 écrans dans 346 multiplex pour environ 200 millions
de spectateurs en 2011. Wanda possède déjà et gère de nombreux cinémas (86
multiplex et 730 écrans en Chine) , des
hôtels de luxe et des commerces en Chine....et il vient de racheter les studios
Legendary (actionnaire majoritaire), producteur de Batman, de Jurassic
World , de Steve Jobs... avec
pour objectif de faire , avec une somme de 8 mds usd , de l’industrie chinoise
cinématographique la première de la planète en cinq ans
. En France, depuis 2014, un homme
d’affaires franco-israélien, 3è fortune française, 51 ans, déjà propriétaire de
Numéricable , de SFR ( 18 millions d’abonnés racheté à Vivendi pour 13,4 mds
usd) de Virgin Mobile, de Portugal Télécom....) , Patrick Drahi, s’est
approprié Libération, l’Express, l’Expansion, L’Etudiant...., la chaîne
de télé i24 News, une partie de Next Radio TV (BFM Tv et RMC)
à hauteur de 49% tous rassemblés dans un groupe de médias géant AMG(Altice
Media Group) & News Co. Le groupe
est présent dans 9 pays (dont Israël et les Etats Unis).Depuis fin avril
2016, Patrick Drahi passe à l’offensive avec
une stratégie de
« convergence » entre ses activités dans le secteur des télécoms et
dans les médias (contenu et contenant) . SFR, qui
compte 18 millions d’abonnés, va
acquérir les activités médiatiques regroupées au sein de la société Altice –
elle-même propriété de l’homme d’affaires, et devenir SFR Médias....tout ceci
pour lancer cinq chaînes dont 5 sportives pyantes
Toujours en France, le
mythique quotidien Le Monde, en grosse difficulté de financement, est finalement repris, en juin 2010, par un
groupe d’hommes d’affaires Bergé-Pigasse et Niel (ce dernier est le patron de
l’opérateur internet et télécom Free) ....et Bernard Arnault est propriétaire
du Parisien-Aujourd’hui en France, de Radio Classique et Les
Echos....alors que Bolloré est propriétaire Direct Matin, Canal Plus et
C News (ex-iTélé)...et a des participations (25%) dans Télécom Italia, le premier opérateur
télécoms du pays et compte s’associer ou
s’associer à Mediaset de Berlusconi
. Dans le monde on a
l’exemple le plus criard, celui de la News Corporation de Rupert Murdoch,
troisième groupe médias dans le monde après Time-Warner et Disney qui a racheté , fin 2007, le groupe Down Jones qui comprend The
Wall street journal (pour 5,6 mds usd) qui appartenait depuis un siècle à
la famille Bancroft, et le Sun .
Le groupe de Murdoch est ,aussi , propriétaire de 42%
de la presse britannique (dont le Times)
et de deux bouquets satellites (avec Sky Tv, entre autres), de News
of the world, Sunday Times.... et Sky Italia en Italie. On rappelle,
que le groupe de Murdoch, tout en étant anti-arabe et pro-sioniste avait noué,
début 2010, un partenariat avec le propriétaire du groupe Rotana, le
prince saoudien Al Walid. Ils étaient déjà associés puisque Al Walid détenait
déjà 7% des parts de la News Corporation. Leur objectif commun : exploiter
le marché régional du Moyen Orient
. On se souvient, aussi, de
la percée des oligarques russes , en 2009-2010, qui avaient investi dans la presse d’Europe
occidentale (après avoir été écartés de l’audiovisuel national par Poutine) .
France-Soir le quotidien créé en France fin 1944 et qui tirait à un million
d ’exemplaires/jour avec jusqu’à 9 éditions/jour dans les années 50-60,
est repris par Serguei Pougatchev- un proche du Kremlin, qui a placé son fils à
la tête du journal......Il y a , aussi,
Alexandre Lebedvev, un ancien du KGB qui avait racheté pour 1livre symbolique
le prestigieux The Independant britannique, alors criblé de dettes et le
même Lebedvev a racheté le quotidien populaire britannique The Evening
Standard
Pour ce qui concerne le
marché algérien de la communication en général et celui de la presse en particulier :
. Nous avons eu, une
première étape allant de mars-avril 1990 (loi relative à l’Information :
libéralisation du champ médiatique) jusqu’à la fin des années 90.
Cette étape a été marquée
par ce que l’on coutume d’appeler l’ « aventure intellectuelle »,
tout particulièrement dans la presse écrite, la publicité ainsi que la
production audio-visuelle.
Des journalistes dits « indépendants » (encouragés
par le gouvernement « réformateur » de Mouloud Hamrouche) sont sortis
du secteur public et sont allés créer les premiers entreprises de presse
privées afin , certes de réussir commercialement, mais
surtout de contribuer à l’émergence et au développement d’une information de
service public et d’intérêt général. On restait encore assez militants....et ,d’ailleurs, on restait encore assez attachés au soutien
matériel et financier de l’Etat (facilités au niveau des locaux, de la diffusion, de l’impression et de la
publicité)
On est ainsi vite arrivé à
l’existence de plus de 250 titres de presse écrite (et d’entreprises de
production de la communication
audiovisuelle...par des journalistes et techniciens venus de l’ENPA, de l’ANAF , de l’ENTV et de l’ENRS) et à plus de 400 agences de
publicité (surtout des régies) et à
quelques sociétés de diffusion ( créées soit par des journalistes ou par des
transfuges des ENAMEP).
A noter que durant cette
étape......de démarrage, certains journaux privés ont rapidement connu un
certain succès grâce à l’aide DÉSINTÉRÉSSÉE, il fallait le croire, d’entreprises
n’ayant rien à voir avec la presse : une aide en matériels informatiques,
à l’exemple d’Astein avec Le Soir d’Algérie (à l’époque, un micro-ordinateur ou une PAO,
c’était cher et rare), parfois des locaux, souvent de la publicité....et
peut-être un peu d ’argent (par le biais de participations au capital
assez symboliques : ex de Rebrab dans Liberté, de Hadji dans El
Youm) . A l’image de ce qu’avait fait l’Etat au départ, en 90-91(avance aux
partants de trois années de
salaire)
On a donc vu des sortes de
stratégies (peut-être non encore étudiées) d’ « infiltration » dans
les directions des entreprises :
L’insécurité ambiante de
l’époque qui a suivi n’a pas favorisé la stabilité et la vigilance des
rédactions : les journalistes les plus expérimentés (les « pères
fondateurs ») se sont vus obligés de se cacher ou de s’exiler, faute de
moyens de protection appropriés (les journalistes devenus la cible préférée des
terroristes islamistes) et le Conseil supérieur de l’Information ayant été supprimé, suite au rétablissement
du ministère de la Communication.
On assiste alors à une autre
démarche , de l’infiltration à l’appropriation d’une
bonne partie du capital (soit en
rachetant des actions, soit en augmentant le capital....afin d’obtenir la
majorité des actions) . Seuls les journaux à composante multiple faite
surtout de journalistes (El Watan, Le
Soir d’Algérie , El Khabar, Le Quotidien d’Oran...)
ou les Eurl résistèrent et dont les statuts ne permettraient pas aux actions de
sortir, en tout cas facilement , du collectif originel.
Cette appropriation était
d’autant plus aisée que la plupart des nouveaux « gros
investisseurs » , surtout des industriels ou de « gros «
commerçants détenaient des parts du marché de la publicité . Certains
d’ entre- eux, étant arrivés tardivement, ont contourné le processus en
s’en allant créer leur propre agence de publicité et de régie (première source de financement,
le lectorat n’étant pas encore bien assis) ,en s’associant, entre autres ,avec
des multinationales occidentales ou arabo-asiatiques comme Havas, Rscg,
Publicis, Dentsu...ou en facilitant leur entrée sur un marché porteur et
prometteur (ex : Karoui et Karoui...)
. Nous avons ensuite , une deuxième étape allant de la fin des années 90
à la fin des années 2000....accompagnant la « libéralisation » encore
plus large de l’économie nationale
Cette étape est marquée par
ce que l’on pourrait appeler, pour la presse,
l’ « aventure commerçante », tout particulièrement dans la presse
écrite et la publicité .......la
production audio-visuelle indépendante,
c’est-à-dire privée, ayant disparu en grande partie (mis à part les producteurs
reconvertis dans le documentaire et dans la publicité étant donné le monopole
encore exercé par l’ENTV et l’ENRS et la disparition des salles de cinéma).Ce
type d’aventure était la seule permise et on se souvient du groupe Khalifa
(transport aérien et banque , entre autres) qui avait essayé de se lancer dans
l’audiovisuel (à partir de l’étranger) ...sans résultat durable. Djilali Mehri , un milliardaire, avait, aussi des projets , ainsi
que d’autres....qui se limitèrent à la seule presse écrite ou à des
« boîtes » de publicité :
On assiste à l’accélération du mouvement, non
encore de concentration, mais surtout d’appropriation de la totalité des
capitaux des entreprises existantes (ex : El Youm et Liberté...et
on avait déjà parlé d’El Khabar racheté, et la rumeur avait même évoqué El
Watan).......toujours avec l‘aide d’un journaliste ou d’un groupe de
journalistes, ces derniers obligés qu’ ils sont, encore sans statut et la
loi relative à l’Information inappliquée, à « chercher du travail »,
et tout heureux de le trouver en un
temps de gros chômage, comme pour faire pendant à un Etat qui, d’ailleurs,
pousse à cela ou laisse faire , au nom de la liberté d ’entreprise ou,
tout bêtement, en guise de punition » (sic !). Les exemples sont
connus. Des entreprises industrielles,
commerciales privées et des
personnalités ou personnages politiques sont souvent cités (Blanky, Betchine,
Benaoun, Haddad, Djebbari, Djebbar, Idjerouidène, Meguenni, Basta, Mehiaoui,
Bensahnoun, Hadji, Nezzar, Bensaadooun, Benferhat, Hadjas, Rahmani, Djezzy,
).Parfois, ce sont de simples « affairistes » à l’affût d’un
« placement » qui rapporterait d’une manière ou d’une autre : Un
hôtelier, un imprimeur, un restaurateur, un concessionnaire automobile ,
un regroupeur -diffuseur de presse, un transporteur, un petit entrepreneur, un
importateur-exportateur, un ancien syndicaliste ..... Par ailleurs, les
partis politiques ne sont pas en reste et après l’échec , durant la première
étape quant à la création de journaux partisans et affichant franchement (ou
presque) leur couleur politique, ils créent, par le biais d’entreprises SARL
commerciales, des journaux (surtout des périodiques) qui défendent leurs
orientations (Chorfi pour le Rnd, Daadouâ, Si Affif et Abdelhamid Mehri pour le FLN en 1992, avec Saout El Ahrar, selon les
époques, Tayeb Houari, Sg de l’Onec..)...
Certains appareils
sécuritaires encouragent la continuation de parution (en favorisant surtout
l’octroi de quantum publicitaire conséquent au niveau de l’ANEP qui
« monopolise » de fait la publicité institutionnelle ainsi qu’au
niveau de certaines entreprises commerciales et industrielles privées comme
Djezzy ou les concessionnaires automobiles .... le non-paiement à temps des
factures d’imprimerie, les plus importantes étant celles du secteur
public....et les abonnements des administrations , l’ANEP ayant créé une
entreprise de diffusion) .Ils
encouragent , aussi, certains journalistes à créer des journaux favorables au
pouvoir en place . Surtout à l’approche d’élections ....tout particulièrement à
partir du 3è mandat présidentiel de A. Bouteflika .On avait même vu un
quotidien naître à Biskra (créé par le ministre de l’Agriculture d’alors,
Barkat).....au titre évocateur , El ‘Iza ou el Karama qui a
disparu juste après les élections pour le 3è mandat)...de même qu’une chaîne
satellitaire de la même veine , Le Président . L’opposition
politique a agit de même
. Nous avons enfin , une troisième étape allant de la fin des années 2000
à nos jours ....accompagnant la «néo- libéralisation » encore
bien plus large qu’auparavant de
l’économie nationale...et avec une
présence plus forte d’entrepreneurs liés
, directement ou non , au pouvoir en
place depuis 1999 (quatre mandats présidentiels) et pratiquant une « stratégie de
placement » de leurs capitaux
Cette étape est marquée par
l’apparition lente mais inéluctable d’un
nouveau modèle économique de la presse (1), ce que l’on pourrait appeler
l’ « aventure industrielle et commerciale ».Bien sûr, rien n’est conçu à
l’avance et tout est spontané et s’imposant de lui-même.
Le hasard a fait que le
gouvernement a parlé , en mars 2016, de nouveau
modèle économique - la crise financière due à la baisse des prix du pétrole
sur le marché international entraînant une contraction de l’économie et des
ressources publicitaires (de 50 à 60%) ....En avril, il n’y avait même pas
d’avant-projet ou de grandes lignes de
ce projet . Comme si on voulait, involontairement ( ???)
, laisser le secteur de la presse (le premier , en mars-avril 1990 à être lancé
dans la « libéralisation économique ») essayer les nouvelles règles
de la nouvelle économie de marché.
On relève donc que ,depuis le début de la décennie, et cela va
s’accélérant, les journaux font face à
de nombreuses difficultés mettant en péril leur existence même (2).
Cela n’était pas très
visible au départ car ceux qui étaient touchés étaient des journaux aux tirages
limités et à l’influence politique et économique peu importantes, d’autant que
le nombre d’employés était assez réduit , la mise au
chômage ne soulevant pas de gros débats.