CULTURE- EDITION- LIVRES -ANNEE 2015 : MON TOP 10
© par Belkacem Ahcene-Djaballah
(article paru in Médiatic/ Le Quotiden d’Oran, début 2016.
I/ FILS DU SHEOL.Roman
de Anouar Benmalek. Casbah Editions Alger 2015, 409 pages, 950 dinars
C'est l'histoire du jeune Karl, Allemand, embarqué dans un fourgon à bestiaux à
destination des usines de mort nazies, installées en Pologne. Parce que Juif !
Il est gazé comme des millions d'autres. Il est «condamné», depuis l'«étrange
séjour des morts», le «Shéol», à regarder vivre, souffrir et mourir les
siens.
L'auteur : Il est né à Casablanca en 1956. Ecrivain, poète, journaliste,
enseignant universitaire, un des fondateurs du Comité algérien contre la
torture, plusieurs fois récompensé, auteur d'un grand nombre d'ouvrages : des
romans (dont «Ô Maria» en 2006, «L'Amour Loup» en 2014, «Chroniques de
l'Algérie amère» en 2011…), de la poésie (en 1984 et 2005), des nouvelles…
Aujourd'hui, à peine 58 ans, poète, romancier, essayiste, enseignant
universitaire (mathématicien), journaliste (Algérie Actualités)… L'auteur est
un grand amoureux des voyages, ayant vécu cinq ans en Ukraine du temps de
l'URSS. Il a publié de grands reportages au Liban et en
Syrie. Il a pris le chemin de l'exil avec le début de la décennie rouge. Grand
dénonciateur de la torture, il a été SG du Comité national contre la torture
après les événements d'Octobre 88.
Avis : Ça ne se lit pas, ça s'ingurgite. Pour moi, le livre de l'année.
Une histoire lointaine, qui remonte à bien longtemps, mais une histoire qui
concerne toute l'humanité… Une humanité qui bascule, toujours, si
facilement, dans l'inhumanité et l'horreur. L'histoire bégaie : avant-hier, les Héreros de Namibie, hier, les Juifs,
aujourd'hui, les Palestiniens ! A qui le tour ?
Interdit de lire aux moins de dix-huit ans, tant l'horreur de l'inhumanité
prussienne puis nazie, est décrite avec force détails et vous noue les tripes,
avec une envie monstre de vomir. On aurait aimé tellement voir l'auteur, ou un
autre, écrire un livre de même qualité sur les méfaits du colonialisme français
en Algérie.
II/ LA DERNIERE NUIT DU RAÏS. Roman de Yasmina Khadra. Casbah
Editions, Alger 2015, 207 pages, 850 dinars
Il méprisait Saddam Hussein pris, caché dans un puits. Il s'est fait prendre,
lui, Mouammar Kadhafi, du clan des Ghous, maîtres du Fezzan, terré au fond
d'une canalisation agricole, lors de sa fuite. Hussein a fini pendu. Lui s'est
fait lapidé par son peuple. Vie et mort d'un dictateur sanguinaire et mégalomane… Mais l'auteur ne raconte pas que ça ! Il va plus loin et, à travers le
personnage du Guide, du Raïs, à travers sa «résistance» pathétique et sa fuite
éperdue, il décortique les ressorts du «Pouvoir».
L'auteur : Yasmina Khadra, vous connaissez ? Pour ceux qui ne l'aiment
pas, on signalera seulement que la plupart de ses romans sont traduits dans
près de cinquante pays, qu'il a obtenu plusieurs prix en Algérie et à
l'étranger et que certaines de ses œuvres (L'Attentat, Ce que le jour doit à la
nuit…) ont été portées à l'écran.
Avis : Un livre plus que réussi ! Tous les détails, ou presque tous,
mais aussi de l'histoire et de la psychosociologie, sur la fin peu glorieuse
d'un dictateur
arabo-islamo-«marxiste»-internationaliste-«révolutionnaire»… qui se prenait pour, sinon un prophète, du moins un Guide
invincible.
III / J'AI VECU LE PIRE ET LE MEILLEUR. Mémoires de Mohamed Saïd
Mazouzi, recueillies par Lahcène Moussaoui. Casbah Editions, Alger 2015, 431 pages, 1.250 dinars.
C'est le grand livre d'une grande vie d'un grand bonhomme. Un personnage
fabuleux qui relate, simplement, tout un immense pan de l'histoire de
l'Algérie. Avec des mots simples, avec des descriptions franches et
claires.
L'auteur : Il est né en 1924 à Alger, au cœur de la Casbah (chez ses grands
parents). Fils de caïd et petit-fils de caïd et petit-fils d'un mufti malékite
de la Mosquée d'Alger, il a grandi en Kabylie, à Thassedart (Makouda). Enfance
dans une famille relativement aisée, des études à l'école coranique et à l'école
publique… Dellys… Lycée Bugeaud d'Alger (futur
Abdelkader), Lycée de Ben Aknoun (futur El Mokrani). Un matheux obligé à faire
la section classique avec du latin. Mais aussi, déjà, un bagarreur et un révolté. Septembre 39, l'envol
académique est brisé par les «préparatifs» de la guerre et retour au bercail
dans une famille dont il était séparé depuis 7 années. Des mois terribles. Dès
l'âge de douze ans, il sait déjà manier le fusil. Suite à un attentat perpétré
contre un bachagha, il est arrêté le 15 septembre 1945…
Avis : Il était temps. On en avait tellement besoin de ces exemples
d'engagement sans faille, de convictions inébranlables, d'humilité, de bonté et
de calme à toute épreuve, de hauteur de vues, de modernisme et
de progressisme. Au passage, bravo à Lahcène Moussaoui, qui, sollicité par
notre héros, a su recueillir, avec fidélité, l'aventure fabuleuse de Si Moh Saa
et la «retranscrire» avec clarté.
Pages les plus prenantes, les plus émouvantes, de la 99e à la 204e, celles
décrivant les premières journées de liberté dans une Algérie enfin
indépendante. On (je pense tout particulièrement à ceux qui ont vécu ces
moments, moi y compris) en a les larmes aux yeux.
IV/ MALOULA. Roman (inachevé) de Kheiredine Ameyar. Préface de Maya
et Taous Ameyar et présentation de Nadim Ameyar. Editions Anep, Alger 2015, 141
pages, 500 DA
Un livre inachevé ? peut-être ! mais complet, certainement. C'est un livre si
«intense» qu'il a tout dit, à travers des lieux et des portraits qui, en
apparence, n'ont rien à voir les uns avec les autres, mais qui sont, en fait,
liés par l'Histoire des hommes. Un voyage dans un espace- temps incontrôlé et,
de toutes façons, devenu incontrôlable. Il y a, aussi et surtout, la vie d'un
pays, avec des va-et-vient, dans un désordre au départ déroutant mais en
définitive éclairant. Une Algérie se fissurant, produisant (ou ressuscitant)
mille et une failles sociétales, récentes ou lointaines et, au milieu, un homme
écartelé dans un monde (politique) de plus en plus incompréhensible… qui, après un «long séjour parmi les hommes, refusa de demeurer avec
l'infamie».
L'auteur : Né en 1946, diplômé des premières promotions (la seconde
francophone, je crois, en compagnie de
Abdou B. et de Talmat Amor-Ali et d'autres grands noms de la presse nationale :
Hamdi, Sobhi, Ayache…) de la première Ecole nationale
supérieure de journalisme, alors sise rue Jacques Cartier (Alger-centre) à la
fin des années 60, SVP ! en pleine effervescence
intellectuelle. Il travaille dans plusieurs journaux et revues nationales :
Chaîne 3, El Moudjahid quotidien, Algérie Actualités (dont il fut le directeur
de rédaction, du temps de Hamrouche… avant de
subir le «licenciement ghozalien»), Révolution africaine
où il créa Afric 1 sports, El Moudjahid de nouveau, La Nation (journal de
statut privé)… puis, la loi d'avril 90 aidant, il fonde
le 5 octobre 1994, avec Bachir Chérif et Baya Gacemi, entre autres, en pleine
«effervescence» islamo-terroriste, le quotidien
de langue française La Tribune. Connu pour sa verve et son style à nuls autres
pareils.
Avis : Un livre à grande portée philosophique…, à lire et à méditer. Mais qui, dans notre pays, se soucie de
philosophie, aujourd'hui ?
V/ HIZYA. Roman de Maïssa
Bey. Editions Barzakh, Alger 2015, 297 pages, 900 dinars.
En somme, l'histoire est assez banale… et c'est ce
qui fait son importance. En ce sens qu'elle concerne toute une population de
jeunes… filles en fleurs… vivant dans une société entourée de modernité mais encore bloquée dans des archaïsmes
sociétaux. Un monde en voie de disparition mais qui résiste, qui résiste,
brimant ou brisant les espoirs et, parfois, des vies. Dur, dur, de se sortir
d'une réalité et d'une société qui interdit le rêve.
18 pages de très, très beau cadeau; le poème intégral, en arabe et en français
-une traduction de Constantin Louis Sonneck datant de 1902- «Hizya» de Mohamed
Ben Guittoun, avec ses notes explicatives.
L'auteure : Née en 1950 à Ksar El Boukhari, études universitaires,
enseignante de français, militante active de l'action associative (en faveur du
livre et de la lecture), auteure d'un grand nombre de romans (des poèmes, des
nouvelles et des pièces de théâtre aussi) et lauréate de plusieurs prix (Grand
prix des libraires algériens pour l'ensemble de son œuvre en 2005, Grand prix
du roman francophone du Sila 2008…), vivant en
Algérie…
Avis : Un véritable manuel d'émancipation féminine (avortée !) Ecriture
à deux voix assez originale : l'une qui raconte la vraie vie, quotidienne, à la première personne du
singulier (le «je»), l'autre (la voix du subconscient) qui revient sur les
contradictions de la société et sur la vie intime.
VI/ LA MAQUISARDE. Roman-essai de Nora Hamdi. Editions Sedia, Alger
2015, 141 pages, 600 dinars.
La phrase de la fin de l'ouvrage : «Je suis fière de ma mère, mon héroïne»,
résume à elle toute seule l'histoire.
Une petite fille (encore que, pour l'époque, seize ans, c'est déjà
l'antichambre de la vie de femme-femme) qui se retrouve plongée brutalement,
sans trop bien en comprendre les tenants et aboutissants, dans son hameau perdu
dans la montagne kabyle (le village le plus proche, à trois heures de marche,
est Mirabeau), dans la lutte de libération nationale.
L'auteure : Artiste, romancière et réalisatrice (cinéma). Née en 68 en
France (à Argenteuil) de parents algériens d'origine kabyle. Auteure de
plusieurs romans dont le premier a été adapté au cinéma en 2008. Elle a même
co-écrit une bande dessinée. Prépare un film sur le combat des femmes durant la
guerre d'Algérie, sur la base de ce livre sur sa mère… et sur son oncle, lui aussi maquisard.
Avis : Un grand et immense chant d'admiration et d'amour d'une fille
pour une (sa) mère algérienne qui s'est construite, encore bien jeune, dans la guerre… et qui a
élevé par la suite, douze enfants sans jamais trop revenir sur un passé
douloureux.
VII/ LA TRAVERSEE DU SOMNAMBULE. Chroniques du mentir/vrai. Ouvrage
de Arezki Metref (Préface de Boualem Sansal). Koukou Editions, Alger 2015, 193 pages, 500 dinars.
On est bien loin des chroniques au sens classique du terme. C'est plutôt le
roman d'une longue ballade en «littérature»… à la
rencontre de pays, de villes, d'hommes et de femmes, rencontrés parfois par
hasard, ou dans le cadre d'une mission; d'idées parfois
révolutionnaires, en tout cas, toutes voulant «changer le monde». On a donc un
mélange heureux d'écriture, et le préfacier, Boualem Sansal, ne s'y est pas
trompé en évoquant, au-delà de l'expérience, une «magie» et la «touche
innocente du maître» dans les «vingt-sept leçons d'écriture ».
L'auteur : Né à Sour El Ghozlane en 1952, famille originaire d'Aït
Yenni, Sciences Po' Alger, journaliste (l'Unité, Révolution africaine, El
Moudjahid, Algérie Actualités… et, avec T. Djaout, Ruptures dont il est le Rédacteur en chef),
écrivain (nouvelles, pièces de théâtre, essais, romans, anthologies…), poète… et, aussi, peintre. Parti en France en 1993. Collabore
régulièrement avec la presse nationale, dont l'Hebdo libéré et, maintenant régulièrement, depuis 2004, Le Soir d'Algérie
(Chroniques).
Avis : Du grand reportage, du portrait, de l'ambiance, de l'âme : une
formidable «traversée du monde de la culture universelle». En somnambule
éveillé, il prouve que pour faire pendant aux «orientalistes», nous pouvons
avoir aussi nos «occidentalistes». «Un recueil de textes sans doute le plus
littéraire de sa production» selon Ahmed Halli… qui dit
toujours vrai. Comme son ami. Il faut les croire !
VIII/ L'ETOILE D'ALGER. Roman de Aziz Chouaki. Chihab Editions, Alger 2015, 233 pages, 650 dinars.
Voilà donc un ouvrage publié, aussi, en Allemagne, aux USA et en Italie (avec
un prix à la clé, en 2004), porté à l'écran et sur scène en chorégraphie
hip-hop. Un livre qui nous replonge dans l'univers algérois du tout début des
années 90. Avec une société, surtout celle des quartiers populaires et
populeux, de plus en plus à l'étroit dans des logements plus proches des
dortoirs et des taudis, qui se prépare à exploser face aux inégalités
socioéconomiques, au chômage, à la vie chère, à la misère rampante et à la
crasse des idées… avec, en face, des couches de nouveaux
riches de plus en plus arrogants. Tout un système qui ne voulait pas changer
mais qu'il fallait faire péter.
L'auteur : Musicien, romancier,
dramaturge (son théâtre est fréquemment monté… à
l'étranger), né en 51 à Tizi Rached. Il a été, aussi, journaliste (Nouvel
Hebdo) et il avait été obligé de s'exiler pour échapper au terrorisme
islamiste.
Avis : Publié pour la première fois en 1997. Une écriture rapide, comme des rafales de mitraillette
(à la mode dans le milieu journalistique francophone, à la fin des années 70 et
durant les années 80). Une forme romanesque ultramoderne et si originale non
encore retrouvée chez ceux qui ont suivi et parfois «percé».
IX/ Traverses d'Alger. Nouvelles de Ameziane Ferhani. Chihab
Editions, Alger 2015, 236 pages, 880 dinars.
Treize nouvelles. Certainement, un chiffre porte-bonheur pour l'auteur qui sait
contourner les situations les plus noires ou les plus difficiles. Les rendre
compréhensibles, acceptables et parfois admirables grâce à son sens poétique
et, aussi, à de l'humour. Tout en douceur. De la prose finement ciselée. Treize
nouvelles, assez courtes certes mais assez suffisantes pour décrire des
situations -parfois dramatiques durant les années 90- des gens, des comportements… tous tirés de la vie quotidienne, ceux que l'on côtoie, mais que l'on ne
voit pas ou, alors, rapidement oubliés.
L'auteur : Né en 1954 à Alger, sociologue… il a été (et reste encore) journaliste avec une préférence, la
«Culturelle» : Parcours Maghrébins, Algérie Actualités, El Watan…
Avis : Des écrits simples sur des vies simples dans un pays (en
apparence) simple. De plus, on en apprend des choses : sur la qualité de la peinture (en bâtiment), sur la confection d'un rapport
de police, sur les hirondelles… dont celle «des mosquées»… Dans
un paysage littéraire «misérabiliste», dramatisant tout et n'importe quoi,
enfin une bulle d'air frais. Dans un pays extrêmement pollué, une «mi-temps» (le temps de lire) pour retrouver son
souffle. Malgré tout, le passé a du bon et la vie reste belle !
X/ Chuchotements. Roman de Leila Aslaoui-Hemmadi. Editions Dalimen,
Alger 2015, 381 pages, 850 dinars.
Hourria… (avec 2 r) pour bien affirmer le principe de liberté. C'est le prénom de
l'héroïne. Une femme, citadine pur jus, fière de sa «bourgeoisité», attachée
aux valeurs familiales de base mais se voulant moderne et universelle… qui se retrouve (presque) seule à gérer une famille décimée par la répression (durant la période coloniale), par
les dérives «révolutionnaires» (du temps de la guerre de libération nationale),
par la «hogra» (du temps du parti unique) et par les assassinats (durant la
décennie rouge). Ne reste plus que les femmes !
L'auteure : Née à Alger, licenciée en droit et diplômée de l'IEP de
l'Université d'Alger (les années 60 ! Il n'y en avait qu'une). Longue carrière
dans la magistrature, ministre de la Jeunesse et des Sports (gouvernement de
Sid Ahmed Ghozali), secrétaire d'Etat à la Solidarité nationale (gouvernement
de Mokdad Sifi). Démissionnaire en septembre 1994 pour marquer son désaccord
aux pourparlers entre le pouvoir en place et l'ex-Fis (dissous). Epoux
assassiné par des terroristes dans son cabinet de chirurgien-dentiste. Auteure
de plusieurs ouvrages, combat incessant pour la démocratie et la République et
contre le radicalisme religieux et le terrorisme, détentrice de plusieurs prix…
Avis : Un livre doux-amer, nostalgique, à lire en silence, loin de tout
bruit. Contient une rage (contenue mais
décidée) de convaincre. Très beau dessin de couverture.
* Ouvrages tous édités en Algérie et diffusés en 2015
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PS : Quelques idées de très, très beaux cadeaux de fin d'année (textes et
photos sublimissimes) :
- Assouf N'Ténéré… de Farida Sellal. Casbah Editions, Alger 2015, 269 pages, 5.500 dinars
- Algeria-Palaces and Splendid Residences… par plusieurs auteurs (Soufi,
Bouchenaki…). Zaki Bouzid Editions, Alger 2014, 431 pages, 9.800 dinars (3
éditions : arabe, français, anglais).
- Villas et Palais d'Alger, du XVIIIe siècle à nos jours… de Marion Vidal-Bue. Edif 2000, Alger 2015 ( ?), 307
pages, 4.600 dinars. Encyclopédie illustrée de l'Islam… de Raana Bokhari et Dr
Mohammed Seddon. Berti Editions, Alger 2015 (
?), 256 pages, 2.500 dinars (2 éditions : arabe, français)