VIE POLITIQUE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
ESSAI RABAH SEBAA- « ALGERICIDES »
Algéricides. Chroniques d’un pays inquiet. Essai de Rabah Sebaa
(Préface de Ahmed Zitouni).
Editions Fraz Fanon, Tizi Ouzou, 2017. 700 dinars, 338 pages.
« Saignée à blanc, l’Algérie respire
encore », assène l’auteur, « en faisant d’un paradoxe algérien à
rendre fou n’importe quel psychiatre en exercice, tout un ouvrage »....De
la bonne littérature.
Des chroniques qui tirent leur sève
nourricière de faits sociétaux habitant et agitant le quotidien de la societé algérienne. Presque toute ! Pas toute,
évidemment car il y a les nantis, les affairistes....tous ceux qui sont
arrivés, réussissant à exploiter les failles d’un système à géométrie
variable, à « tirer leur épingle du
jeu », sans souci des équilibres sociétaux et de l’intérêt public. Bien sûr , on ne les voit pas tous, car il y a encore bien des
« tamis cachant le soleil » et
les lumières des vérités.
Bien sûr, ce ne sont pas les dénonciations
qui manquent. Mais rien n’y (a )fait :
« Vous pouvez écrire durant toute la vie. Et même après la mort. Vous pouvez écrire dans les langues
que vous voulez. Et dans toutes les tribunes que vous voulez. Vous pouvez
dénoncer. Objecter. Rouspéter. Contester. Protester. Insulter......Rien ne
bouge. Tout continue en empirant. Toutes les engeances régnantes se font plus
insolentes. Ouvertement arrogantes. Et ostentatoirament
plus provocantes.....Pendant que les magouilleurs magouillent, les voleurs
volent, les détourneurs détournent, les souteneurs soutiennent, les nominateurs nomment, la palabreurs parlent, les partisans patouzent, les bureaux bureaucratisent. Et l’Algérie
agonise ». C’est tout dit !
A travers 156 textes ,tous
accompagnés d’un bref « après-dire » emprunté à un auteur ou penseur
, agrémenté d’un commentaire ....sans commentaire.
Tout y passe à la « moulinette » Sebaa. Une douche froide ! Un vériable
seau d’eau glacée ! Un coup d’ongle rageur sur la croûte recouvrant le pus
d’une plaie ancienne , profonde, pathétiquemnt
actuelle, qui a pour nom gâchis :l’intolérance, l’enfant, la science , la
mère-célibataire, la retraite, les chômeurs, la pédophilie, la prostitution, la
femme, les couples d’ amoureux, le système éducatif, les couches moyennes , les
bidonvilles, la marchandisation du travail, la médecine du travail, l’économie
de marché, les élus, la protestation syndicale, le piston, , la hogra, les élections, le pouvoir, la justice, la pauvreté,
la pratique de l’Islam, les partis politiques , les détournements, la mort
(cérémonie de l’inhumation), la publicité, la lecture du livre, la femme au
foyer, les retraités de luxe, les marchés informels, l’enrichissement par
détournement , l’avortement, la réforme de la justice, les Sdf, la vie en
habitations collectives, les comités de soutien, les sans-logis, le « hosd » et le « boghd »,
les concessionaires, la langue, le terrorisme, les
soins à l’étranger, les enfants abandonnés , les locaux et les logements
détournés puis sous-loués , les locaux et les logements loués à des
nationaux par des étrangers, les détournements, la mort et les enterrements, la
publicité , les marchés informels, l ’avortement, les comités de soutien,
les épidemies, , les oeuvres
sociales , les trafics aux frontières, les médicaments périmés, le gachis de la vigne arrachée, les non-voyants, le Sida, la
rareté de l’eau, l’hygiène publique, la circulation
automobile......................Noir c’est noir..........et une seule
(peut-être d’autres que j’ai ratées) ensoleillée, consacrée à la ville d’Oran
(« Orantitude », p 226) qui, avec
« toutes les saveurs (qui) sont dans l’air » est une « ville
(qui) se pare impétueusement de ses plus heureuses humeurs ». Tout n’est
donc pas si désespérant ! D’ailleurs, la dernière chronique, « Demain »
(p 335) annonce que le pays « tournera la page. Sans état d’âme et sans
fanfare. Avec seulement son proverbial florilège de promesses et d’espoir.Et ses empiternels rêves
en bandoulière....Narguant toutes les félonies, toutes les forfaitures, toutes
les conspirations, toutes les agressions, toutes les infamies, toutes les
ignominies ......résolu à porter sa dignité haut et fort ». Inch Allah !
L’Auteur : Professeur
de sociologie et d’anthropologie linguistique. Chercheur en épistémologie des
sciences sociales. Auteur de plusieurs ouvrages, essais, chroniques, récits et
nouvelles
Extraits : « Les Algériens ont la chance de regarder l’univers à travers une
étincelante quadrichromie. Quatre grandes fenêtres qui donnent sur des horizons
prometteurs. Quatre langues bourrées de sensibilité et d’imagination. Un
tamazight enraciné, un algérien partagé, une arab
universalisé et un français réapproprié » (p 51), « C’est durant
cette même période d‘austère collectivisme que toutes les fortunes colossales
se sont constituées en Algérie » (p 166), « Il en est du tourisme
comme du livre, du théâtre, du cinéma, des musées, de la musique et de
tous les produits de l’intellgence conjuguée à la
création. Irrévocablement condamnés à l’exil par une engeance qui excelle dans
l’art de ligoter l’imagination » (p 252)
Avis :
Des textes assez courts.En fait des chroniques
journalistiques qui visent juste et frappent fort. Mais, trop de sujets, l’un
faisant oublier l’autre. « Ue soupe à la
grimace servie en mille –feuilles »(Préface,
Ahmed Zitouni)
Citations : « L’Algérie
est une grande fatigue qui se repose. Un pays exténué qui attend. Qui espère
pendant qu’il se meurt » (Ahmed Zitouni , préface p
8) , « Il n’est de pire vice que l’orgeuil
de la vertu » (Ahmed Zitouni, préface p 17),
« Se reconnaître dans l’altérité la plus insoupçonnée, c’est voyager en
soi. A travers les autres. Tous les autres » (p27), « Selon El
Khawarizmi, « rien n’est plus néfaste que l’ignorance déguisée en
vertu ». Mais que dire de l’incompétence érigée en performance ? »
(p36), « Il n’y a rien de plus vivant qu’une langue ou une religion.
Toutes les deux charrient une spiritualité qui traverse des siècles en
nourrissant de leur sève une multitude
de populations. Et , si elles leur survivent, elles le
doivent principalement au mouvement qui les habite et qui les porte » (p
43), « D’après Blaise Pascal, « tout le malheur des hommes vient
d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une
chambre ». Mais quel est le farceur qui a planté une valise dans la tête
de chaque Algérien ? » p 64), « La loi du silence et la
solidité de la protection garantissent l’impunité. Et le mutisme sur
l’enrichissement sans cause. Qui commence à être la valeur nationale la plus
partagée » (p 132), « La presse écrite dérange vraiment et
sérieusement ....Elle dérange , car en Algérie, plus
qu’ailleurs, elle joue le rôle d’intelligentsia critique. Tout en se drapant
dans l’habit de l’opposition. La vraie........L’intelligentsia, critique de
substitution » (pp 155- 156), « Selon Moufdi
Zakaria, « l’Algérie est le sourire de Dieu sur terre ». Est-ce pour
cela que toutes les larmes du monde ne parviendront jamais à noyer la flammme inextinguible qui danse frénétiquement au fond de
son regard et à transformer ce sourire en rictus ? » (p 258),