CULTURE- ENTRETIEN ABDERRAHMANE LOUNES-
« LOUNES MATOUB. LE TESTAMENT »
Lounès Matoub. Le testament. Entretien avec Abderrahmane Lounès
(Edition revue et corrigée, 3ème édition Première édition en 1999).
Edition Rafik El-Mâarifa, Tizi Ouzou, 2013, 450 dinars, 94
pages.
Lounès Matoub est mort le 25 juin
1998 tout près de son village natal....... assassiné par le terrorisme qui lui
avait tendu un guet-apens. Un
terrorisme.... plus que ça, tous les terrorismes qu’il a combattu jusqu’à son
dernier souffle. Eternel rebelle , il en a vu de
« toutes les couleurs » et il en a reçu des « coups » , que
ce soit avec les Autorités, lors de son
combat pour l’identité berbère durant les années 88-90 ou contre les islamistes
(qui l’enlevèrent en septembre 1994 et
le séquestrèrent durant une quinzaine de jours, ce qui entraîna la colère
populaire et une mobilisation générale
de la population .....obligeant le Gia à le libérer
...... Un cauchemar ! Lire
« Le Rebelle », édité en 2013)......
Beaucoup de choses ont été dites et écrites
sur Matoub Lounès. Par la
presse, par des universitaires et chercheurs. Sur sa vie, sur son œuvre, sur
son parcours......Reste encore bien des zones d’ombre et des interrogations,
somme toute légitimes, tout particulièrement venant de sa famille et de ses
amis, sur les conditions de son
assassinat.
Bien souvent les personnages historiques (et
il fait partie de l’histoire culturelle nationale) se retrouvent
, peu à peu, au fil du temps , enfermés dans les légendes
populaires....parfois justes, souvent exagérées à dessein. C’est pour cela
qu’il faut aller au-delà (ou en dehors) du récit commun et de l’œuvre elle-même
pour découvrir la personnalité réelle du héros. De ce côté-ci, l’entretien
« express, amical et à bâtons rompus dans une arrière-salle d’un
restaurant du XVIIIè arrondissement à Paris, durant
la fin de l’année 1994...puis au début de l’année 1995 » a réussi son coup. Des thèmes « improvisés , nés par inadvertance, sans idées
préconçues ». Matoub va parler librement et avec
franchise. De tout un peu et un peu de
tout, lui qui avoue que « s’ il savait parler il ne chanterais
pas »....Un véritable « Pickpoète » . Il explique :
la vie, la politique, les
questions identitaires et linguistiques, les événements qui l’interpellent, le
font réfléchir, les choses qui l’irritent , l’agacent, le révoltent,
l’émerveillent....ll répond sans détours: la
poésie, le racisme, l’écriture de l’Histoire,
le culte de la mémoire, les injustices, les tabous, les abus, les musiciens
, la chanson algérienne, l’œuvre artistique, le genre musical, la
chanson commerciale, le milieu du show-biz, les éditeurs, les accusations , les
malentendus, les mauvaises langues , les
béni-oui-oui ....
Note
complémentaire : Très belles pages sur le poète et la poésie (pp 35 à 40).
Lire aussi les pages 87 et 88,
sur ses « réalisations »
s’ « il avait le pouvoir ». Un régal ! Créer un parti de l’intelligence et de l’humour ;
un ministère de l’Imagination ; un tunnel entre le Maroc, la Tunisie et le
Maroc ; n’avoir comme députés et ministres que des jeunes qui auraient
entre trente et trente –cinq ans ; restituer la justice sociale.....et
dire aux gens de « s’aimer jusqu’ à la mort, tout le reste n’étant
que simulacre ».....Ses rêves : une culture vraie, populaire,
joyeuse, libératrice, unificatrice ....... une société merveilleuse de
naturel et de générosité, lumineuse, tolérante et permissive.... .....et,
surtout, faire de l’Algérie, « la terre des hommes », la terre
promise de la vraie démocratie, de la joie, de l’espérance, de l’amour et de la
tolérance
L’Auteur : Journaliste
touche-à-tout (poésie, roman, humour, bande dessinée, théâtre....), l’auteur
(de son vrai nom Alioui Liassine)
a déjà publié un bon nombre d’ouvrages, et ce
depuis 1982 (dont le roman « Chroniques d’un couple ou la Birmandreissienne », à la Sned......et
une « Anthologie de la littérature algérienne d’expression amazigh à l’Anep en 2003) )
Extraits de Matoub Lounès : « Il est indispensable que toute la classe
politique démocratique, et pas seulement les associations les plus actives
culturellement , dépasse certaines
querelles d’amour-propre pour apporter un soutien inconditionnel à
l’action difficile et périlleuse de la défense des langues populaires dans le
plein respect des principes et des règles propres à un Etat de droit et à la
Constitution » (p 26), « J’ai toujours été très fier de trimballer
avec moi mon amazighité, mon algérianité, ma
francité, ma judéité et ma méditerranéité. Il m’est
arrivé , oui, de transporter à l’étranger cette chaleur spontanée, cette générosité
amazigh, algérienne, française, juive, méditerranéenne, avec quoi j’ai
grandi » (p 46), « Mes poèmes et mes chansons sont des plaidoyers en
faveur des sans-logis, des sans-feu et des sans –pain, victimes des iniquités
sociales et des lois faites pour les nouveaux riches et les magouilleurs, les
profiteurs et les opportunistes « (p 48) , « L’avenir meilleur et
autres belles images d’Epinal brandies au nom du bonheur, les hommes politiques
s’en foutent. Ce sont des politiciens, ils font le métier de comédien :ils veulent être crédibles, mais ils jouent mal. Sous
couvert d’idéologie et d’opposition, ils jouent tous en réalité leur petite
carte personnelle. Ils n’ont jamais rien fait pour qui que ce soit » (p
58), « Les galas sont plus exaltants, surtout sur le plan humain. La scène
apporte une chaleur et une euphorie que la cassette ne procure qu’à
50% ......L’expression « se donner en public » est
significative. Dans les galas, il y a une séduction sexuellle
par contact direct et concret » (p 83)
Avis :
Le vrai Matoub ? dit-il : « Un
personnage complexe, difficile à cerner car il « ne sait pas
tricher ».... « Tantôt tendre, tantôt frondeur, souvent
provocateur et enfant
terrible.......comme tout être humain , créateur de
surcroît ». Profondément humain qui « peut vivre sans pain mais pas
sans amour , sans ami(e)s »....sensible
....conscient de ses responsablitiés, et concrètement et totalement libre.....Rebelle,
Matoub ? Chaque fois qu’il le faut. Libre ?
Toujours.
Citations de Matoub
Lounès : « Sans mystère, il n’y a pas de
charme » (p 16) , « On me croit sur chansons comme on croit d’autres
sur parole(s) » (p 17) , « Rendre les coups, c’est sans doute le plus
sûr moyen de pouvoir les supporter » (p 28), « Je me méfie de tous
les « ismes ». le seul « isme » que j’aurais sans doute accepté sans protester
est celui de je-m’en-foutisme » (p 29)
, « J’adhère à mon propre parti, celui de la franchise et de la
loyauté » (p 29) , « Certains de mes poèmes clés ne sont pas là pour
eux-mêmes, mais pour dire » (p 30), » Le poète est ce musicien dont
la femme est la partition » (p 37), « En matière d’art , il n’y a de
vulgarité que par l’idée que l’on se fait de la vulgarité. La vraie vulgarité ,
celle qui nous agresse quotidiennement, c’est la sottise » (p 41),
« Créer est une activité de coureur de fond, avec la solitude que cela
comporte » (p 50), « J’ai la double nationalité car j’ai deux
pays : mon pays et mon pays intérieur.C’est dans
la différence que je trouve mon identité » (p 66), « Plaire à
tout le monde, c’est n’être personne » (p 85)