SCIENCES- ENQUETES ET REPORTAGES- INSECTARIUM
D’ALGER
Patrimoine scientifique
L’insectarium
d’Alger, un centenaire à la pointe de la lutte contre les ravageurs
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El Watan, jeudi 26 avril 2018
Les
meubles en bois vernis ont 90 ans et les étiquettes de certaines boîtes sont
écrites à la plume, mais avec sa collection «inestimable» de 8000 espèces
assemblée depuis presque un siècle, l’insectarium d’Alger reste un outil de
pointe contre les ravageurs des cultures.
«C’est une collection très riche,
inestimable, c’est un patrimoine national et un héritage», souligne Chérifa
Zouaï, directrice du laboratoire central de l’Institut national de la
protection des végétaux (INPV).
Créé par le colonisateur français
dans les années 1920 au sein du Jardin d’essai, vaste jardin botanique alors
déjà presque centenaire au cœur d’Alger, l’insectarium a rejoint en 1975 les
locaux de l’INPV, au milieu d’un parc de huit hectares planté de pins et
d’oliviers. Les vitrines en bois massif et les tiroirs d’origine ont suivi,
comme les milliers de boîtes dans lesquelles sont alignés acridiens,
lépidoptères et coléoptères, parfois encore sous la forme de cocons,
chrysalides ou chenilles.
Gardée comme une relique, la boîte la
plus ancienne a été fabriquée en 1924 par un des initiateurs de la collection,
André Lepigre (1902-1982), jeune ingénieur agricole français féru
d’entomologie, qui deviendra plus tard le directeur de l’insectarium. Elle
contient toujours son hôte d’origine, un Papilio Podalirius, papillon
communément appelé «Flambé» en raison de bandes noires sur ses ailes.
Dans la banlieue est de la capitale,
l’INPV est le gardien de la santé des végétaux et des cultures en Algérie. Il
contrôle les cargaisons agricoles et de bois importées, les semences, surveille
les ravageurs (insectes, mais aussi rongeurs ou oiseaux...) et est chargé de
prévenir leurs attaques, dont celles, destructrices, des criquets l’été.
Patrimoine et héritage
Malgré ses atours surannés, la collection
de son insectarium constitue pour l’INPV une précieuse base de données des
fléaux susceptibles de s’abattre sur les plantes et cultures algériennes.
Identifiés, étudiés, répertoriés, classés et soigneusement conservés à une
température constante de 16°C, on y trouve les représentants de 3800 genres et
399 familles d’insectes, collectés depuis presque un siècle à travers l’Algérie
et chez ses voisins du Maghreb et du Sahel et dans certains pays d’Europe,
explique Chérifa Zouai.
Depuis 90 ans, la collection permet
d’identifier rapidement, en les comparant aux spécimens, tout insecte ravageur
découvert dans une cargaison agricole, dans des semences ou dans un champ.
«Chaque insecte de la collection est
référencé à ses différentes étapes de vie -œuf, larve, nymphe, imago (stade
adulte)- afin de comprendre la nature et la quantité de leur nourriture, afin
de mettre un terme à leurs nuisances», explique Fatiha Ben Abderrahmane, chef
du service Entomologie à l’INPV.
Tous les pensionnaires des tiroirs de
l’insectarium figurent dans un vieux registre à la reliure élimée, que
feuillette avec précaution Chérifa Zouai. «C’est un recueil et un inventaire de
toute la collection», explique-t-elle. Les premières pages portent les dates
des années 1930 et sont recouvertes de l’écriture à l’encre bleue de Lepigre,
qui y consignait les informations relatives aux spécimens qu’il capturait ou
qu’on lui envoyait de toute l’Algérie.
Coccinelle contre
cochenille
Non loin des tiroirs où reposent ces
insectes séchés, des incubateurs en abritent des milliers d’autres, bien
vivants, élevés pour servir d’armes de «lutte biologique». Une technique, dont
l’insectarium d’Alger fut un pionnier, qui consiste à utiliser des organismes
vivants comme «pesticides» contre les ravageurs.
Dès 1925, un jeune entomologiste
français de l’insectarium et futur grand nom de la discipline, Alfred
Balachowsky, sauve des palmeraies du Sahara algérien ravagées par une
cochenille, en élevant, puis en relâchant sur place une coccinelle, sa
prédatrice naturelle.
Une méthode toujours utilisée de nos
jours. Chaque «incubateur» - de grandes pièces, elles aussi maintenues à une
température constante- abrite une espèce différente, certaines difficiles à
percevoir à l’œil nu, qui bourdonnent, volent ou rampent autour de plantes
qu’ils colonisent.
Quand un ravageur est détecté et
identifié dans une culture, si les scientifiques disposent d’un prédateur
naturel connu, une colonie est alors relâchée sur la zone contaminée et
s’attaque naturellement à l’intrus, explique Hafsa Harkat, experte en lutte
biologique à l’INPV. «On ne peut pas s’empêcher de voir cette collection en se
disant que si Lepigre et Balachowsky étaient là, ils seraient bien contents de
voir leur travail (...) resté intact se poursuivre à l’INPV», se félicite
Chérifa Zouaï.