INFORMATIQUE- ENQUÊTES ET
REPORTAGES- JEUX- ADDICTION ENFANTS
© El Moudjahid, jeudi 21 juin 2018
L’addiction des enfants aux jeux vidéo, un phénomène grandissant
en Algérie comme ailleurs, est en train de prendre des allures inquiétantes
depuis qu'il est associé à des cas de suicide parmi cette tranche de la
population, si bien qu'un comité intersectoriel a été mis en place, il y a
quelques mois, pour tenter de le cerner. «Si je devais le laisser toute la
journée, il ne se lasserait jamais de sa tablette et de ses jeux vidéo», lâche,
sur un ton exaspéré, Samia, maman de Amine, 8 ans. Un enfant qui n'échappe pas
à la «folie» de la toile et à la «magie» de l'écran, tel que le confirment, à
l'unanimité, de nombreux proches de ces petits «suspendus» à leurs appareils
électroniques et donnant l'air d'être complètement détachés de ce qui les
entoure ou «déconnectés», selon certains, pour rester dans le lexique numérique».
«J'essaye de limiter le temps que mes enfants passent à jouer, non
sans peine, je l'avoue. Parfois, je suis tellement dépassée par mes corvées
ménagères que je baisse les bras et les laisse à leur guise, car c'est
également une manière de les occuper et de les empêcher de se chamailler entre
eux», témoigne Malika, employée dans une banque publique et maman de deux
garçons âgés de 6 et 8 ans. Elle reconnait que ses occupations l'empêchent de
contrôler le contenu qui captive tant ses chérubins, se contentant d'exiger
d'eux qu'ils ne consultent «que ce qui est conforme» à leur âge. «C'est le papa
qui se charge, le soir, de vérifier les applications téléchargées et la nature
des jeux auxquels ils s'adonnent», poursuit-elle, assurant que «la bonne éducation»
de sa progéniture est en soi une «garantie». Ahmed, fonctionnaire dans une
administration publique ne l'entend pas de cette oreille : «Je tiens à
m'assurer en permanence du contenu des tablettes de mes enfants qui, comme
leurs semblables, sont accros aux jeux vidéo», soutient ce père de famille, au
sujet de son fils et de sa fille, respectivement âgés de 6 et 7 ans. À force de
les accompagner, il a fini par s'imprégner de la terminologie de leur monde de
jeux, citant des consoles tels que «X Box», «Play Station 4», ou des jeux comme
«Street Fighter», etc,
passe-temps favori des petits enfants. «Je m'assure, qu'à leur âge ils ne
recourent qu'aux jeux ludiques, éducatifs et susceptibles de stimuler leur
créativité et imagination «, précise-t-il, se disant «effaré» par le recours
d'enfants en bas âge à des jeux véhiculant la violence à outrance, à l'image de
«Assassin's Creed».
Celui-ci étant une série de jeux vidéo d'action-aventure où les «héros» sont,
parfois, amenés à éliminer leurs protagonistes. D'autres parents reconnaissent
malheureusement ne jeter «aucun coup d'œil» sur les téléphones ou ordinateurs
de leurs enfants ; certains avouant ne «rien comprendre» à
l'informatique, tandis qu'une autre proportion argumente par «l'impossibilité, de
toute façon, d'empêcher l'utilisation d'internet par leurs chérubins».
Un phénomène «culturel» à étudier scientifiquement. «Il s'agit d'un
phénomène culturel dans la mesure où les jeux vidéo font partie de la façon de
vivre et d'être de l'enfant, si bien qu'il serait anormal de concevoir,
aujourd'hui, que ce dernier ne s'y adonne pas», précise le Dr Righi Saïd,
psychiatre et membre du Comité intersectoriel, installé en janvier 2018,
conséquemment aux cas de suicide chez des enfants ayant recouru au jeu de «La Baleine
bleue». Celui-ci étant basé sur le principe du défi et est exécuté en 50
étapes, la dernière consistant pour le joueur à se donner la mort. Ce comité,
rappelons-le, s'attèle actuellement à élaborer les «messages» à adresser aux
élèves, leurs parents et enseignants afin de les sensibiliser sur la meilleure
attitude à adopter face aux jeux, à savoir le juste milieu entre l'interdiction
totale et le laisser-faire illimité, expliquent ces promoteurs.
Aux yeux de ce spécialiste, il existe une relation d'«interaction entre
l'enfant et l'écran», qui présente beaucoup «d'avantages» lorsqu'elle est
«raisonnable et régulière», comme l'amélioration des fonctions cognitives,
l'attention visuelle, la concentration, la réactivité, l'imagination, etc. En
revanche, cette relation s'avère «néfaste» si elle n'est pas rationnelle et
doit être interdite pour des enfants de moins de 10 ans, ajoute-t-il. Evoquant
en particulier les jeux vidéo, il considère que certains devraient être
interdits même pour les adolescents de moins de 18 ans, à l'instar de «Mortel
Combat», où la notion de mort est dangereusement banalisée.
Il est aussi des jeux, poursuit le spécialiste, aux contenus immoraux dont
l'interdiction doit être impérativement «expliquée» à l'enfant pour qu'il
«comprenne» le pourquoi de cette décision, préconise-t-il aussi, citant
l'exemple du «Grand Theft Auto». S'agissant de «La
Baleine bleue», un jeu auquel on attribue le suicide de quelque 200 enfants de
par le monde, dont des cas en Algérie, le Dr Righi est catégorique : «Il ne
s'agit même pas d'un jeu vidéo, qui est divertissant par essence, mais de
quelque chose d'étrange qui s'appuie sur la stimulation, la curiosité de
l'utilisateur». À ses yeux, il est question d'un «phénomène à étudier
scientifiquement pour éviter toute spéculation», considérant «insuffisants» les
témoignages recueillis en Algérie auprès des parents d'enfants décédés à la
suite de leur recours à ce «jeu». Il rappelle, à ce propos, que même le
concepteur de «la Baleine bleue», d'origine russe, n'a pu être inculpé
longtemps dès lors qu'il a déclaré n'avoir «demandé à personne de se suicider».
Pour autant, observe-t-il, les études étrangères menées jusque-là n'ont pas
démontré qu'il existait «un lien direct» entre les actes violents, criminels ou
autres et l'utilisation des jeux vidéo, qui en sont cependant considérés comme
des «facteurs de risque».
Et de déplorer, à ce propos, qu'en Algérie, «aucune réglementation ou norme»
n'est appliquée dans ce domaine, au moment où, note-t-il, les jeux «piratés»
sont vendus à même les trottoirs de nos villes. Membre du comité ad hoc chargé
de se pencher sur la problématique de l'addiction des enfants aux jeux vidéo,
la présidente de la Fédération nationale des associations de parents d'élèves,
Mme Djamila Khiyar affirme avoir tiré «la sonnette d'alarme», il y a quelques
mois, à la suite des cas de suicide liés au «jeu de La Baleine bleue». «Nous
avons donné instruction à toutes les Fédérations de wilayas de prendre en
charge ce problème en demandant aux responsables d'établissements scolaires de
consacrer, avant l'entame des cours, quelques minutes à expliquer les dangers
de l'utilisation irrationnelle d'internet. «Ce qui a commencé à été mis en
œuvre depuis environ 3 mois avec le concours de spécialistes en la matière»,
explique-t-elle. «Les parents restent les premiers interpellés sur la
question», poursuit-elle, conviant ces derniers à «ne pas laisser, des heures
durant, leurs enfants face aux jeux vidéo et autres contenus, isolés dans leurs
chambres», avant d'interpeller le ministère de la Poste, des
Télécommunications, des Technologies et du Numérique (PTTN) afin d'accentuer et
d'élargir la campagne de sensibilisation à l'utilisation de l'application
inhérente au contrôle parental des contenus internet de leurs enfants. Outre
les parents, Mme Khiyar considère que cette problématique est «l'affaire de
tous», citant les départements ministériels de la Jeunesse et des Sports, de
l'Intérieur, de la Famille, de la Culture, etc, car,
argumente-t-elle, «si les choses ne pas prises en main dès maintenant, il sera
trop tard par la suite».
Il y a lieu, enfin, de relever que l'Organisation mondiale de la Santé (OMS)
vient de reconnaitre de manière formelle, l'addiction aux jeux vidéo comme
étant une «maladie», car causant un «trouble» et figurant, désormais, dans sa
liste internationale des pathologies.