FINANCES- MONNAIE- DINAR-
ETUDE A. MEBTOUL
© Abderrahmane Mebtoul, Le Quotidien d’Oran, jeudi 10 mai 2018
Selon la banque d’Algérie,
«le taux de change du dinar vis-à-vis des principales devises est déterminé de
manière flexible sur le marché interbancaire des changes, en fonction des
conditions de l’offre et de la demande ». La même institution préciser que «la
valeur externe du dinar est fixée au taux du marché interbancaire des changes
où la dépréciation de la valeur du dinar, par rapport à l’euro et le dollar,
est le résultat du différentiel entre le taux d’inflation enregistré en Algérie
et celui constaté dans le reste du monde».
Paradoxalement, le taux
d’inflation dans les pays développés entre 2013/2017 est inférieur à ½% et malgré
cela le dérapage du dinar continue alors que les produits importés ne
connaissent pas de baisses sensibles. Or, dans une économie
productive structurée, la dévaluation ou le dérapage de la monnaie nationale
favorise les exportations –hors hydrocarbures- et freine les importations.
En Algérie, c’est tout le
contraire qui s‘est produit ! Ce qui montre que les mesures monétaires sans
vision stratégique n’ont pas d’impacts. Tout cela renvoie à la nature de
l’économie rentière et à la faiblesse d’un tissu productif local, la rente des
hydrocarbures donnant une cotation officielle artificielle. L’Etat fait
“déraper” (la Banque d’Algérie parle de glissement) le dinar pour voiler
l’importance du déficit budgétaire, biaisant ainsi les comptes publics. On voit
que lorsque le cours du dollar baisse et le cours de l’euro hausse, la Banque
d’Algérie dévalue, pour des raisons politiques, à la fois le dinar par rapport
tant au dollar que de l’euro alors que le dinar, dans une véritable économie de
marché, devrait s’apprécier par rapport à la monnaie internationale qui se
déprécie.
Quelle a été
l’évolution de la cotation du dinar algérien de 1970 à mai 2018 ?
1970 : 4,94 dinars un dollar
1980 : 5,03 dinars un dollar
1985 : 5,03 dinars un dollar
1989 : 8,03 dinars un dollar
1990 : 12,02 dinars un dollar
1991 : 18,05 dinars un dollar
1994 : 36,32 dinars un dollar
1995 : 47,68 dinars un dollar
1996 : 54,74 dinars un dollar
1997 : 57,71 dinars un dollar
1998 : 58,76 dinars un dollar
1999 : 66,64 dinars un dollar
2001: 69,20 dinars un euro 77,26 dinars un dollar
2002 : 75,35 dinars un euro -69,20 dinars un dollar
2003 : 87,46 dinars un euro 77,36 dinars un dollar
2004 : 89,64 dinars un euro 72,06 dinars un dollar
2005 : 91,32 dinars un euro 73,36 dinars un dollar
2006 : 91,24 dinars un euro 72,64 dinars un dollar
2007 : 95,00 dinars un euro 69,36 dinars un dollar
2008 : 94,85 dinars un euro 64,58 dinars un dollar
2009 : 101,29 dinars un euro 72,64 dinars un dollar
2010 : 103,49 dinars un euro 74,31 dinars un dollar
2011 : 102,21 dinars un euro 72,85 dinars un dollar
2012 : 102,16 dinars un euro 77,55 dinars un dollar
2013 : 105,43 dinars un euro 79,38 dinars un dollar
2014 : 106,70 dinars un euro 80,06 dinars un dollar
2015 : 108,60 dinars un euro 99,50 dinars un dollar
2016 : 120,70 dinars un euro et 108,47 dinars un
dollar
2017 : 135,84 dinars un
euro et 115,48 dinars un dollar
08 mai 2018 :
115,68 dinars un dollar et 137,85 dinars un euro
Pourquoi cet artifice
comptable ?
La raison essentielle est
qu’en dévaluant le dinar par rapport au dollar, nous aurons une augmentation
artificielle de la fiscalité des hydrocarbures, et la fiscalité ordinaire à
travers la taxe des produits importés, sachant que les produits des entreprises
publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15% sont
importés. Car les recettes des hydrocarbures sont reconverties en dinars,
passant, par exemple, de 75 DA un dollar à 115 dinars un dollar. Idem pour les
importations libellées en monnaie étrangère, les taxes douanières se calculant
sur la partie en dinars, cette dévaluation accélérant l’inflation intérieure.
Tout cela voile l’efficacité
réelle du budget de l’Etat à travers la dépense publique et avait gonflé par le
passé artificiellement le fonds de régulation des recettes calculé en
dinars qui s’est épuisé fin 2017. Cela renforce la défiance vis-à-vis du dinar
où le cours officiel se trouve déconnecté par rapport au cours du marché
parallèle traduisant le cours réel du marché étant coté à plus de
200 dinars sur le marché parallèle. Selon les experts
internationaux, l’absence des bureaux de change a permis la prolifération des
opérations sur le marché noir à un taux qui ne répond à aucune règle monétique.
La sphère
informelle contrôlant la majorité des circuits de distribution pour
les produits importés non-subventionnés impose le prix final au
consommateur en référence au cours du marché
parallèle, et, par effet de contagion, même certains
biens produits localement.
Cela ne peut que conduire à
terme à accélérer le processus inflationniste. La valeur de la
monnaie, rapport social, traduit avant tout la faiblesse de la production et de
la productivité interne, corrélée en Algérie à 70% aux réserves de change qui
eux mêmes proviennent de la rente des hydrocarbures. Le niveau d’inflation
ne peut être compris qu’en analysant d’abord la productivité du travail et les
liens dialectiques entre le développement, la répartition du revenu et le
modèle de consommation par couches sociales.
Celui qui perçoit 200 euros
par mois n’a pas la même perception de l’inflation que celui qui perçoit 30 000
euros. Selon un rapport de l’OCDE, la productivité du travail en Algérie est
une des plus faibles dans le Bassin méditerranéen. Pour se prémunir contre
l’inflation, et, donc, la détérioration du dinar, l’Algérien ne place pas
seulement ses actifs dans le foncier, l’immobilier ou l’or, mais une partie de
l’épargne est placée dans les devises. C’est un choix de sécurité dans un pays,
où l’évolution des prix pétroliers est décisive.
En Algérie malgré cette
dévaluation qui ne dit pas son nom, certaines règles juridiques comme celle des
49/51% généralisée vivant de l’illusion de l’aisance financière, non adaptée à
la conjoncture actuelle et actuellement certaines mesures techniques
comme la restriction des importations
sans vision stratégique, ne font que s’attaquer à des
aspects conjoncturels. Or, de véritables réformes
structurelles impliquent une nette volonté politique.
Avec la tendance à la
diminution des réserves de change, il sera impossible de continuer à
verser des salaires sans contreparties productives. Le pouvoir
d’achat des Algériens en moyenne représentant moins de
20% de celui des habitants de pays européens, mais le montant faramineux de
subventions et transferts sociaux, non ciblés qui ne s’adressent pas
essentiellement aux plus démunis, fausse totalement les données économiques.
Aujourd’hui, si les réserves
de change tendaient vers 10/20 milliards de dollars, la banque d’Algérie
coterait le dinar à plus de 200 dinars pour un seul euro ! Ce qui
explique que les actions d’intégration du capital argent de la sphère
informelle au sein de la sphère réelle ont eu un impact très mitigé.
Par ailleurs, la différence de la valeur du dinar entre le cours officiel et celui
du marché parallèle et la distorsion avec les cotations des monnaies de pays
voisins expliquent également les fuites de produits hors des frontières. Les
mesures administratives ne peuvent qu’être ponctuelles, sinon il faudrait une
armée de contrôleurs.
Évitons les fausses
solutions
Dans ce contexte, il est
urgent d’éviter d’apporter des fausses solutions à des problèmes mal posés. La
solution réside en de nouveaux mécanismes de régulation conditionnant la
dynamisation de la production locale dans des segments à valeur ajoutée au sein
de filières internationalisées ainsi que des mécanismes de contrôle
démocratiques reposant sur une plus grande moralité de ceux qui dirigent la
cité.
Cela rend urgent
l’approfondissement de la réforme globale, notamment réhabiliter l’entreprise
et son principe fondamental le savoir, la réforme du système financier de
distribution de la rente, inséré aux réseaux internationaux, actuellement de
simples guichets administratifs, où les banques publiques contrôlent plus de 85
% des crédits octroyés, les banques privées malgré leur nombre marginal.
Des partenariats
gagnant/gagnant pour pénétrer les marchés internationaux sont nécessaires
notamment en direction de l’Afrique, continent d’avenir et à enjeux multiples,
où l’Algérie peut avoir des avantages comparatifs ne devant pas être
utopique, à condition d’avoir des entreprises compétitives et des
relais notamment des succursales bancaires car la concurrence est
vivace.
L’Algérie avec l’amenuisement
de ses recettes d’hydrocarbures peut-elle continuer à généraliser ces taux
d’intérêt bonifiés au profit de jeunes dont la majorité n’a pas la capacité
d’être entrepreneurs et qui ne pourront pas rembourser même pas le principal ?
Un bilan des avantages et des résultats des bénéficiaires des différentes
agences d’investissement (exonération TVA, taux d’intérêt bonifiés) devient
urgent afin d’éviter de dépenser sans compter pour une paix sociale fictive
grâce, toujours, à une rente des hydrocarbures éphémère, laquelle, si elle est
bien utilisée, devient une bénédiction, mais mal utilisée, elle est, par
contre, une malédiction, source de corruption et de gaspillage.
Évitons, toutefois, la
sinistrose. La situation est différente de la crise de 1986 avec le niveau
relativement élevé des réserves officielles de change, bien qu’en baisse et le
niveau historiquement bas de la dette extérieure pouvant surmonter les «chocs»
externes, sous réserve d’une nouvelle gouvernance centrale et locale et d’une
réorientation de la politique socio-économique actuelle.
La raison essentielle
de la faiblesse du dinar réside finalement en la faiblesse de la
production et de la productivité renvoyant au mode de gouvernance interne
de l’Algérie. Cependant, notre pays recèle d’importantes potentialités et il
faudra travailler dur pour obtenir le développement économique qui est une
condition sine qua non pour la stabilité.
Par le Dr Abderrahmane MEBTOUL, Professeur des Universités
et expert international