HISTOIRE-
ENQUETES ET REPORTAGES- EXECUTIF PROVISOIRE MARS 1962
© Mustapha Benfodil/El Watan,
lundi 19 mars 2018, Extraits
La république éphémère de Rocher Noir
Il y a 56 ans, le cessez-le-feu entrait officiellement en
vigueur entre le FLN/ALN et l’armée coloniale en vertu des Accords d’Evian. Les
mêmes Accords prévoyaient la création d’un Exécutif provisoire chargé,
notamment, de gérer la période de transition jusqu’au transfert définitif du
pouvoir aux nouvelles autorités de l’Algérie indépendante. Dans une étude
intitulée : «L’Exécutif provisoire. Les enjeux d’une transition chaotique» (parue
dans l’ouvrage collectif La Guerre d’Algérie revisitée, ed. Karthala, 2015), le
professeur Aïssa Kadri apporte un précieux éclairage sur cette période
charnière qui a vu la naissance du jeune Etat algérien dans un contexte marqué
par des violences inouïes, entre déchaînement meurtrier de l’OAS et luttes de
pouvoir entraînant une «guerre des Wilayas» lors de la crise de l’été 1962.
Il y a 56 ans jour pour jour,
le 19 mars 1962, à midi, le cessez-le-feu entrait en vigueur entre le FLN et
l’armée coloniale. La Guerre de Libération prenait officiellement fin. C’était
au lendemain des Accords d’Evian, signés le 18 mars à Evian-Les-Bains, en
Haute-Savoie.
Entamés le 7 mars 1962, à
l’Hôtel du Parc, les pourparlers entre la délégation algérienne, conduite par
Krim Belkacem, et la délégation française, dirigée par Louis Joxe, ministre
d’Etat chargé des Affaires algériennes, débouchent sur un accord au terme de 11
jours de négociations, avec, à la clé, un document de 93 pages.
L’article 1 des Accords d’Evian
dispose : «Il sera mis fin aux opérations militaires et à toute action armée
sur l'ensemble du territoire algérien le 19 mars 1962 à douze heures.» Les
Accords prévoient notamment l’organisation d’un référendum pour que les deux
peuples «choisissent leurs destins». C’est ainsi que, le 8 avril 1962, un
premier référendum fut organisé en France.
Les électeurs devaient se
prononcer sur cette question : «Approuvez-vous le projet de loi soumis au
peuple français par le président de la République et concernant les accords à
établir et les mesures à prendre au sujet de l’Algérie sur la base des
déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 ?» En clair, il s’agit d’une
validation, par le peuple français, des Accords d’Evian. Le «oui» l’emporta
avec 90,81% des suffrages exprimés.
Le 1er juillet 1962, un
référendum d’autodétermination est organisé en Algérie autour de cette question
: «Voulez-vous que l'Algérie devienne un Etat indépendant coopérant avec la
France dans les conditions définies par les déclarations du 19 mars 1962 ?» Le
«oui», évidemment, triompha avec 99,72% des voix
(..................................................................)
Abderrahmane Farès, notaire de
profession, est désigné à la tête de ce gouvernement de transition. Le poste de
vice-président est revenu à Roger Roth, natif de Sedrata, avocat au barreau de
Philippeville (Skikda), «un homme de dialogue et un ‘‘libéral’’».
Parmi les dix autres membres,
cinq représentent le GPRA : Chawki Mostefaï (médecin ophtalmologue, délégué aux
Affaires générales ; il occupait le poste de chef de mission du GPRA à
Rabat avant d’être désigné chef du groupe FLN au sein de l’Exécutif provisoire),
Belaïd Abdesslam (étudiant, chargé des Affaires économiques), Abderrezak
Chentouf (avocat, délégué aux Affaires administratives), Hamidou Boumediène
(médecin radiologue, délégué aux Affaires sociales) et Mohamed Benteftifa
(pharmacien, délégué aux Postes).
Pour ce qui est des deux autres
membres « d’«origine européenne», il s’agit de Charles Koenig, instituteur puis
professeur de CEG (collège), maire de Saïda ; dans l’Exécutif provisoire, il
est délégué aux Travaux publics puis député de Saïda au sein de l’Assemblée
constituante.
L’autre délégué est Jean
Mannoni, médecin de profession, délégué aux Affaires financières. Enfin, les
autres membres algériens sont : Abdelkader El Hassar, avocat, délégué à l’Ordre
public ; M’hamed Cheikh, agriculteur et éleveur, chargé de l’Agriculture et
enfin El Hadj Bayoud, figure religieuse du M'zab, délégué aux Affaires
culturelles.
En soutien à ces hommes, note
Kadri, il y a tout un aréopage de jeunes cadres, «une jeune élite» qui
«constituera le vivier (…) de l’Etat national en construction». Parmi eux :
Mohamed Khemisti, Missoum Sbih, Abdelatif Rahal, Abdelmalek Temmam, Abdelkader
Zaibeck, Smail Mahroug ou encore Mohand Mahiou, premier directeur de cabinet de
Abderrahmane Farès (.........................................)
Le président de l’Exécutif
provisoire (qui n’est autre que le père de l’écrivain Nabile Farès) est né en
1911 à Amalou, près d’Akbou.
Il s’installe comme notaire à
Collo en 1936 avant de s’engager dans une carrière politique au long cours
après 1945. Il siège au conseil général du département d’Alger puis devient
membre de l’Assemblée constituante en 1946. Marqué par les massacres du
Nord-Constantinois de l’été 1955, il se rapproche du FLN.
Il s’installe à Paris en 1956
où il est chargé par la Fédération de France de collecter des fonds. Il décline
une offre du général de Gaulle qui lui avait proposé un poste de ministre en
1958. Le 4 novembre 1961, il est arrêté pour «atteinte à la sûreté de l’Etat»
et incarcéré à la prison de Fresnes. Il sera libéré le 19 mars 1962, et
quelques jours plus tard, le voici donc propulsé à la tête de l’Exécutif
provisoire (.................................................... )
La grande majorité des
compagnons de Abderrahmane Farès «va être durablement marginalisée pour une
large part ou instrumentalisée». «A. Farès fut emprisonné à la suite de F.
Abbas qui va démissionner de la présidence de l’Assemblée nationale le 15 août
1963.» Kadri indique que c’est Roger Roth qui succédera à Ferhat Abbas.
Il sera dès lors «le premier
président européen de la première Assemblée algérienne». Il explique : «Les
deux autres vice-présidents, Hadj Ben Alla et l’Aménokal du Hoggar, se
désistant, c’est à la demande de Ben Bella que Roger Roth exerça les fonctions
de président en lieu et place de Ferhat Abbas.» «Les autres responsables de
l’Exécutif, à l’exception de Belaïd Abdesselam (…), reprirent leurs activités
professionnelles et se distancièrent de la politique.»
Ce sera notamment le cas du
président Farès. «On sait que l’Algérie indépendante n’utilisa pas longtemps
les talents politiques de A. Farès», écrit l’historien Charles-Robert Ageron
dans une brève note de lecture consacrée à La Cruelle vérité. «Emprisonné à
Fresnes par les Français, il fut arrêté par les Algériens le 7 juillet 1964 et
interné à In Salah jusqu’au 7 juin 1965.
Quelques jours plus tard, le
colonel Boumediène prenait le pouvoir et A. Farès renonçait sagement à toute
vie politique.» Abderrahmane Farès décède le 13 mai 1991, à Zemmouri, près de
Rocher Noir. En mai 2016, l’ancien bâtiment qui avait servi de siège à
l’Exécutif provisoire, et qui est situé à l’intérieur de l’université de
Boumerdès, a été classé officiellement monument historique.