DEFENSE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- RECIT
ZOULIKHA FARDEHEB- « LES FOSSOYEURS DE TON IDEAL.... »
Les fossoyeurs de ton idéal. Les assassins
de mon époux. Récit de Zoulikha Fardeheb (Préface
de Hassan Remaoun et biographie de Hassan Remaoun et Benabou Senouci) . Inas
Editions, Alger, 2014 ?2015?(date d’édition non
précisée), 820 dinars, 215 pages
26 septembre 1994 au matin, Abderrahmane Fardeheb ,
50 ans à peine, professeur d’économie à l’Université d’Oran , père de deux
enfants dont un garçon, Mourad, âgé de 8
ans , est assassiné à la sortie du domicile familial, Cité Grande -Terre à
Oran. Sous les yeux de sa fille, alors âgée de 17 ans (elle devait être déposée
au lycée) . Assassiné par un jeune terroriste islamiste.
Son « tort » : une vie militante d’abord au sein de l’Unea, puis du Pags (clandestin)
......délégué syndical au sein de l’Ugta.....bref, un homme de progrès engagé pour la justice sociale et partisan
des causes justes de par le monde, féru de principes républicains, et aimant
passionnément son pays. Surnommé l’« incorrigible utopiste » car
veillant au bonheur des autres, rêvant d’abolir la « hogra »,
combattant la condamnation de l’autre pour ses idées ou son appartenance.... . Un « Chouyouii », un communiste, un homme qui
dérangeait.....Donc, naturellement surveillé (et parfois recherché) en
permanence par les services de sécurité....mais aussi ,et
surtout, devenu une cible pour le
terrorisme de ceux qui instrumentalisaient l’Islam. Comme bien d’autres
intellectuels, enseignant(e)s, artistes, journalistes, imams, policier(e)s,
militaires, magistrats, fonctionnaires .....Toutes les élites étaient visées.Tout ceux qui avaient....un cartable, une cravate,
des lunettes de vue, un uniforme, un stylo.....
La suite est un autre cauchemar pour la
veuve et ses enfants : la peur et la méfiance, la douleur, le déménagement
(mais aussi le soutien des amis et de la famille), puis le grand départ vers
l’inconnu....l’exil contraignant .....les difficultés (et les facilités
apportées par les amis ) rencontrées lors de la
nouvelle installation...la
nostalgie....les interrogations des enfants et des petits-enfants , la
recherche d’un nouvel équilibre et , toujours, l’Algérie au cœur des
préoccupations et des discussions, le terrorisme ne s’étant pas arrêté (100,
200,300 000 morts et blessés.... et des centaines de milliers de traumatisés
pour la vie ) .....mais toujours le souvenir
douloureux d’avoir perdu l’être cher....et la volonté de défendre une Histoire
qui dénonce les crimes « pour que nul n’ignore » ou n’oublie.
L’Auteur : Epouse
et veuve de Abderahmane Fardeheb. Professeure de langue française au collège, à
Oran, de 1973 à septembre 1994. Elle vit en France avec ses enfants et y
enseigne depuis décembre 1994.
Extraits : « A
sa mort, Abderrahmane avait cinquante ans
et le monde où nous vivons était en période de transformation
rapide ; et il l’est encore plus aujourd’hui, plus de vingt ans après sa
mort ( Hassan Remaoun et Benabou
Senouci, p 14) , « De façon prémonitoire et
moins d’une semaine avant sa mort, il terminait sa contribution sur « le
difficile passage à l‘économie de marché » qui sera publiée quelques
années plus tard (Casbah Editions, Alger 2000) dans « L’Algérie ,
histoire, société et culture », avec
cette dédicace : « A toutes celles et tous ceux morts pour la
République » (Hassan Remaoun et Benabou Senouci, p 15). « Oran m’appelle, Oran me
manque.....Et puis.....par-dessus tout, ce qui me manque le plus,
c’est....toi » (p 153)
Avis : Un
texte mélangeant prose et poésie. Une écriture simple mais de grande qualité,
chaque mot étant à sa place. De la
douleur, de la souffrance, de l’amour , de la
tristesse et de l’émotion plein les pages, toutes les pages !....l’exil
forcé n’yant
pas arrangé les choses.
Citations : « Nos
jeunes sauront d’où vient le vent qui murmure la solution » (A. Fardeheb, p 64), « C‘est le destin des enfants / De
ces hommes éternellement blessés/Qu’on désigne pourtant du nom farouche de
révolutionnaires/De naître à moitié orphelins... »(p
47) , « La gangrène est telle que nous oublions les gestes rassurants et
réconfortants. Les marques de sympathie concrètes, régulières, nombreuses. Les
visites sincères à ceux qui vivent dans le chagrin le plus profond.....Les
soupçons devenaient un rite et la méfiance jouait un rôle mesquin et
honteux » (59), « On ne meurt jamais totalement, une partie de nous
continue à exister. Il ne tient qu’aux vivants de la perpétuer par la mémoire
et l’exemple » (p 81), « Le devoir de mémoire doit s’inscrire dans le
temps. L’histoire doit être l’antidote de l’amnésie. Elle devra comptabiliser
les crimes, les dénoncer, les décrire et ne rien ignorer » (p 186)