CULTURE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI
MOHAMMED ARKOUN- « LECTURES DU CORAN »
LectureS du Coran. Essai
de Mohammed Arkoun. Editions Sedia, Alger 2016,
2 200 dinars,567 pages.
C’est un ouvrage paru initialement en 1982 puis republié en 1991.
Un opus fondamental, un recueil d’articles rédigés dans les années 1970 . On le sait, on le constate. La pensée de
Mohammed Arkoun, foisonnante et tout en nuances,
n'est pas d’un abord facile . Pour l'assimiler, il
faut du temps et des instruments critiques que peu de personnes maîtrisent.
Mohammed Arkoun avance à pas de loup dans un corpus des
plus touffus. À plusieurs reprises, dans son ouvrage, il se déclare conscient
de l'inégalité du combat qu'il mène contre l'interprétation idéologique et
politique de l'islam. Son objectif : restituer le Coran dans sa fonction
d'élan religieux, après son dépouillement de ce que les sciences humaines
peuvent légitimement s'approprier du texte, en tirant au clair son mode de
production formel. Ainsi , l'islamologue espère
rajeunir non pas le Coran, mais sa lecture et, tout en lui gardant son
intégrité de Tout signifiant, introduire ,pour le comprendre et l'analyser, un
appareil critique lourd.Pour ce faire, il mobilise
toutes les ressources de la linguistique, de la sémiotique, de l’histoire des
mentalités, de la sociologie, de la critique littéraire....pour déconstruire le
discours classique sur le Coran. Ce faisant, , il
s'aventure dans « l'impensé et l'impensable » d'une interprétation
figée au XIIIe siècle par « la fermeture des portes de l'ijtihad », réfractaire à toute nouveauté. Une
fermeture qui a codifié et réorganisé le Coran, en a balisé la lecture,
atrophiant par là même la raison, pour la plier à la littéralité du texte,
l'obliger à accepter comme vérités ce qui n'est que termes de métaphore, à
prendre pour sens propre ce qui n'est que sens figuré, etc. Une entreprise qui
n'était pas sans risques pour l'islamologue. Les travaux de Mohammed Arkoun ont été critiqués, même s'il a été suffisamment
prudent pour éviter les accusations péremptoires.
Des articles « revisités » durant
plus de quarante ans. Des articles presque tous remaniés, un seul non modifié
(« Lecture de la Fatiha ») , certains
inédits....ce qui démontre la fécondité
des pistes de recherche ouvertes près d’un demi-siècle plus tôt. Les sujets abordés sont parmi les plus
brûlants : statut du Coran comme Parole de Dieu, Shari’a et statut de la
femme, Jihad, Islam et politique, Islam et société , merveilleux et
métaphore ...Problématiques toutes liées entre elles ....ce qui donne plus
de force au mot d’orde de l’auteur, « La
critique de la Raison islamique » aux accentes
kantiens.
La table des matières est ,
à elle seule,parlante :
En introduction : Bilan des études
coraniques, introduction à toute approche critique du fait coranique / Comment
lire le Coran aujourd’hui ?/ Le problème de l’authenticité divine du
Coran/ (Re)lecture de la sourate 18/ De l’ijtihad à la critique de la Raison islamique :
l’exemple du statut de la femme dans la shari’a/
Peut-on parler de merveilleux dans le Coran ?/ Introduction à une étude
des rapports entre Islam et politique/ Religion et société d’après l‘exemple de
l’Islam/ Le Hadj dans la pensée islamique/ Révélation, Histoire , Vérité/ Pour
une relecture métacritique de la sourate 9/
L’organisation métaphorique du Discours coranique.
L’Auteur : Né à Taourirt Mimoun /Tizi Ouzou, le 1er
février 1928, décédé en 2010 en France et inhumé au Maroc .
Etudes à Oran et à Alger puis à la
Sorbonne-Paris. Enseignant et conférencier à travers le monde. Un des islamologues les plus importants de
l’époque contemporaine. Penseur exigeant et militant pour une refondation
humaniste de l’Islam. Il a produit une œuvre qui a révolutionné l’islamologie
mondiale.....en encourageant l’émergence
d’une nouvelle discipline scientifique, « l’islamologie
appliquée ». Plusieurs ouvrages.....et un livre d’entretiens (R.Benzine et J-L Schlegel) ,
« La construction humaine de l’Islam ». Décédé en France et inhumé au
Maroc.....l’Algérie (celle de la « Pensée islamique » radicale ) ne l’ayant pas reconnu en temps voulu , l’ayant même
(presque) rejeté.
Extraits : « Le concept de discours religieux est loin d’être libéré de la
persistante terminologie théologique qui impose toujours les expressions
« Parole de Dieu », « Livre révélé », « Ecritures
saintes », « Révélation »... » (p 12), « Du côté musulman, le vide intellectuel et
scientifique est dû à la très faible présence, voire à la totale absence des
sciences de l’homme et de la société, surtout dans les facultés ou les
départements d’études islamiques.Et, quand il s’agit
du Coran, il y a soit l’autocensure imposée par un environnement militant, soit
le conformisme desséchant à une « orthodoxie » fixée dès l’époque de
Tabari, mais plus que jamais rigidifiée par l’actuel « radicalisme
islamiste » (p 13).
Avis :
Une lecture croyante du Coran, mais libre, contemporaine, affranchie des
diktats (notamment vestimentaires) et des commandements et interdits de tous
ordres qui en alourdissent la lecture idéologique et politique.Une
attitude philosophique ouverte aux apports et aux interrogations des théologies
classiques et modernes. A lire pour franchir le pas décisif qui fera , peut-être, entrer v(n)otre
pensée philosophique et/ou théologique dans l’investigation
scientifique.
Citations : « Les
musulmans ne peuvent rester plus longtemps en retrait par rapport à cet élan
universel de la pensée scientifique vers de nouveaux modes d’intelligibilité et
d’appropriation du réel » (p 19), «L’idée principale est qu’on constate
une disproportion croissante entre la consommation idéologique et imaginaire du
Coran au jour le jour et la prise en considération , par une pensée libre
et critique , de tous les problèmes qu’il pose , aujourd’hui, non
seulement aux musulmans, mais à tous les esprits soucieux de renouveler notre
connaissance du phénomène religieux » (p 35)