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COMMUNICATION- ETUDES ET
ANALYSES- REPORTERS SANS FRONTIERES –
RAPPORT 2018
L’édition 2018 du Classement mondial de la liberté de la
presse établi par Reporters sans frontières (RSF) témoigne de
l’accroissement des sentiments haineux à l’encontre des journalistes.
L’hostilité revendiquée envers les médias, encouragée par des responsables
politiques et la volonté des régimes autoritaires d’exporter leur vision du
journalisme menacent les démocraties.
S’agissant de l’Algérie, le classement de situation de la
presse dans cette région a perdu 2 places par rapport à 2017.
L’Algérie se classe à 136e position en matière de liberté d’expression. Les cas
du journaliste Saïd Chitour emprisonné
depuis juin 2017 et de Hadda Hazam directrice
du quotidien généraliste et arabophone Al-Fadjr qui
avait entamé une grève de la faim pour protester contre la « mise à mort
programmée » de son journal par les autorités algériennes ont été cités par
RSF.
Le Classement
mondial de la liberté de la presse, qui évalue chaque année la
situation du journalisme dans 180 pays, révèle un climat de haine de plus en
plus marqué. L’hostilité des dirigeants politiques envers les médias n’est plus
l’apanage des seuls pays autoritaires comme la Turquie (157e, -2) ou l’Egypte
(161e), qui ont sombré dans la “média-phobie” au point de généraliser les accusations
de “terrorisme” contre les journalistes et d’emprisonner arbitrairement tous
ceux qui ne leur prêtent pas allégeance.
De
plus en plus de chefs d’Etat démocratiquement élus voient la presse non plus
comme un fondement essentiel de la démocratie, mais comme un adversaire pour
lequel ils affichent ouvertement leur aversion. Pays du Premier amendement, les
Etats-Unis de Donald Trump figurent désormais à la
45e place du Classement, en recul de deux places. Le président adepte du
“media-bashing” décomplexé, en qualifiant les
reporters d’“ennemis du peuple”, use d’une formule utilisée autrefois par
Joseph Staline.
Dans
certains pays, la frontière entre la brutalité verbale et la violence physique
est de plus en plus ténue. Aux Philippines (133e, -6), le président Rodrigo Duterte, coutumier des insultes et des menaces à l’encontre
des médias d’information, a prévenu : être journaliste “ne préserve pas des
assassinats”. En Inde (138e, -2), les discours de haine envers
les journalistes sont relayés et amplifiés sur les réseaux sociaux, souvent par
des armées de trolls à la solde du Premier ministre Narendra
Modi. En l’espace d’un an, dans chacun de ces deux
pays, au moins quatre journalistes ont été froidement abattus.
Les
violences verbales des leaders politiques à l’encontre de la presse se sont
multipliées aussi sur le continent européen, pourtant celui où la liberté de la
presse est la mieux garantie. En République tchèque (34e, -11), le président
Milos Zeman, s’est présenté, en octobre dernier, à une conférence de presse
muni d’une kalachnikov factice sur laquelle était inscrite l’expression “pour
les journalistes”. En Slovaquie (27e, -10), Robert Fico,
Premier ministre jusqu’en mars 2018, traitait les journalistes de “sales
prostituées anti-slovaques” ou de “simples hyènes idiotes”. Un journaliste, Jan
Kuciak, a été assassiné en février dans ce pays
d’Europe centrale, après la mort de Daphne Caruana Galizia dans l’explosion
de sa voiture à Malte (65e, -18).
“La
libération de la haine contre les journalistes est l’une des pires menaces pour
les démocraties, constate
le secrétaire général de Reporters sans frontières, Christophe Deloire. Les dirigeants politiques qui alimentent
la détestation du journalisme portent une lourde responsabilité, car remettre
en cause la vision d’un débat public fondé sur la libre recherche des faits
favorise l’avènement d’une société de propagande. Contester aujourd’hui la
légitimité du journalisme, c’est jouer avec un feu politique extrêmement
dangereux. »
Dans
cette nouvelle édition, la Norvège reste en tête du Classement pour la seconde année consécutive,
talonnée comme l’an dernier par la Suède (2e). Traditionnellement respectueux
de la liberté de la presse, les pays nordiques n’en sont pas moins affectés par
la détérioration générale. Pour la deuxième année consécutive, la Finlande (4e,
-1), affaiblie par une affaire où le secret des sources a été menacé, baisse
dans le Classement et perd sa troisième place, au profit des Pays-Bas. A
l’autre extrême du Classement, la Corée du Nord (180e) conserve la dernière
place.
Le
Classement montre l’influence grandissante des “hommes forts” et des
contre-modèles. Après avoir étouffé les voix indépendantes à l’intérieur de ses
frontières, la Russie (148e) de Vladimir Poutine étend son réseau de propagande
à travers le monde grâce à ses médias comme RT et Sputnik,
et la Chine (176e) de Xi Jinping exporte son modèle
d’information verrouillée en Asie. Dans leur répression implacable des voix
critiques, ils confortent ainsi des pays qui figurent déjà en queue de
Classement comme le Vietnam (175e), le Turkménistan (178e) ou l’Azerbaïdjan
(163e).
Quand
ce ne sont pas les despotes, c’est la guerre qui contribue à transformer des
pays en trous noirs de l’information, comme l’Irak (160e, -2), qui a rejoint
cette année les bas-fonds du Classement. Sur la carte de la liberté de la
presse, jamais il n’y avait eu autant de pays en noir.
C’est
en Europe, la zone géographique où la liberté de la presse est la moins menacée
dans le monde, que
la dégradation de l’indice régional est la plus importante cette année. Sur les
cinq plus fortes baisses du Classement 2018, quatre sont des pays européens :
Malte (65e, -18), République tchèque (34e, -11), Serbie (76e, -10) et Slovaquie
(27e, -10). La lente érosion du modèle européen se confirme (cf. notre analyse
régionale, En Europe aussi, on assassine les journalistes).
En
deuxième position, mais cependant loin derrière, avec plus de dix points
d’écart, se situe le continent américain, qui offre une situation contrastée
(cf. nos analyses régionales, Les Etats-Unis dégringolent, le
Canada remonte et Un bilan en demi-teinte en
Amérique latine). En Amérique centrale, la violence
et l’impunité continuent de faire régner la peur et l’autocensure. Avec onze
journalistes tués, le Mexique (147e) est devenu en 2017 le deuxième pays le
plus meurtrier au monde pour les journalistes. Le Venezuela (143e), avec ses
six places en moins, affiche la plus importante chute du continent, le
président Maduro poursuivant sa dérive autoritaire. A
l’inverse, l’Equateur (92e), où les tensions entre le pouvoir et les médias
privés se sont apaisées, remonte de treize positions et enregistre la plus
forte progression cette année. Au Nord, l’Amérique de Donald Trump perd à nouveau deux places en 2018 tandis que le
Canada de Justin Trudeau en gagne quatre et se hisse dans le top 20 à la 18e
place, au niveau où la situation de la liberté de la presse est qualifiée de
“plutôt bonne”.
Vient
ensuite l’Afrique, avec un score qui s’est légèrement amélioré par rapport à
2017 mais qui présente également des situations très variées (cf. notre analyse
régionale Le journalisme de terrain à haut risque en Afrique). La
fréquence des coupures internet, notamment au Cameroun (129e) ou en République
démocratique du Congo (154e), qui s’ajoute aux fréquentes agressions et
arrestations, révèle de nouvelles formes de censure dans la région. La
Mauritanie (72e), qui a adopté une loi punissant de peine de mort le blasphème
et l’apostasie même en cas de repentir, affiche la plus forte régression du
continent : moins 17 places. Le départ du pouvoir de trois des pires prédateurs
de la presse en Afrique ouvre toutefois une ère prometteuse pour les
journalistes du Zimbabwe (126e, +2), d’Angola (121e, +4) et de Gambie (122e),
qui affiche avec un gain de 21 places la plus forte hausse du Classement.
Dans
la zone Asie-Pacifique, qui conserve sa quatrième place au niveau régional, la
Corée du Sud gagne 20 places, la 2e plus forte hausse du Classement, et se
hisse à la 43e position, tournant la page d’une décennie noire après l’élection
du président Moon Jae-In. Cependant les démocraties
d’Asie du Nord peinent à préserver leurs modèles face à une Chine toute
puissante qui exporte sans complexe ses méthodes pour réduire au silence toute
voix critique. Le Cambodge (142e), qui semble dangereusement emprunter la voie
chinoise en fermant par dizaine des organes de presse indépendants, dévisse de
dix places, accusant l’une des plus fortes baisses de la région (cf. notre
analyse régionale Les démocraties de la zone Asie-Pacifique
menacées par le contre-modèle chinois de contrôle des médias)
L’espace
post-soviétique et la Turquie restent pour leur part
aux avant-postes de la dégradation mondiale de la liberté de la presse (cf.
notre analyse régionale Reflux historique de la liberté de la
presse dans l’espace post-soviétique et en Turquie).
Près des deux tiers des pays de la zone pointent toujours autour ou derrière la
150e place du Classement, et la plupart continuent de baisser. A l’image du
Kirghizistan (98e), qui affiche l’une des plus fortes baisses du Classement
(-9) après une année marquée par de multiples pressions contre les médias et
notamment des amendes astronomiques pour “offense au chef de l’Etat”. Au vu de
ces piètres performances, sans surprise, l’indice de la région Europe de l’Est
et Asie centrale est sur le point de rattraper celui de la zone Moyen-Orient et
Afrique du Nord.
Au
regard des indicateurs utilisés pour mesurer les évolutions des pays, année
après année, c’est dans la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord que la
dégradation de l’indicateur environnement, c’est-à-dire du climat dans lequel
travaillent les journalistes, est la plus forte (cf. nos analyses
régionales, Le Moyen-Orient déchiré par les conflits et les
affrontements politiques et Le
journalisme mis à rude épreuve en Afrique du Nord). Les
conflits armés qui perdurent en Syrie (177e), au Yémen (167e, -1), les
accusations récurrentes de terrorisme utilisées contre les journalistes en
Egypte (161e), en Arabie saoudite (169e, -1), au Bahreïn (166e, -2) continuent
de faire de cette région du monde l’endroit où il est le plus difficile et
dangereux pour un journaliste d’exercer sa profession.
Publié chaque
année depuis 2002 à l’initiative de RSF, le Classement mondial de la liberté de
la presse permet d’établir la situation relative de 180 pays en matière de
liberté d’information. La méthodologie du classement s’appuie
sur leurs performances en matière de pluralisme, d’indépendance des
médias, d’environnement et d’autocensure, de cadre légal, de transparence et de
qualité des infrastructures soutenant la production de l’information. Il ne
s’agit pas ici d’évaluer les politiques gouvernementales des pays.
Les
indices globaux et régionaux sont calculés à partir des scores obtenus par les
différents pays. Ces scores sont eux-mêmes établis à partir d’un questionnaire
proposé en vingt langues à des experts du monde entier, doublé d’une analyse
qualitative. A noter que plus l’indice est élevé, pire est la situation. La
notoriété du Classement mondial de la liberté de la presse en fait un outil de
plaidoyer essentiel.