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"Printemps noir" - Temlali Yassine (I/II)

Date de création: 14-06-2018 09:49
Dernière mise à jour: 14-06-2018 09:49
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VIE POLITIQUE- ETUDES ET ANALYSES- « PRINTEMPS NOIR »- TEMLALI YASSINE (I/II)

La révolte du "Printemps noir", ou l'histoire d'un gâchis © Temlali Yassine, 19 avril 2016 (déjà paru en 2013) Cet article est une tentative d'analyse de la révolte appelée le « Printemps noir » qui a secoué la Kabylie en avril 2001, 21 ans après la révolte du "Printemps berbère, en avril 1980. Il interroge la thèse selon laquelle il s'agit d'"émeutes ethniques", exprimant principalement, une énième fois, la spécificité culturelle et linguistique kabyle. Surtout, il s'interroge sur les rapports complexes que ces événements ont révélés entre les élites politiques traditionnelles de la région, dépassées par l'ampleur de la contestation juvénile, et de nouvelles élites politiques, à ancrage local plus prononcé sans être toutes pour autant favorables à la revendication d'"autonomie de la Kabylie "*. Le 19 avril 2001, un jeune Algérien, Guermah Massinissa, mourait, atteint par une rafale de mitraillette dans les locaux de la gendarmerie à Beni Douala, en Grande-Kabylie. L'événement aurait pu n'être qu'un énième «fait divers», à inscrire au riche registre des bavures policières. Il n'en a pas été ainsi. La maladresse de la communication officielle aidant (1), la mort de Guermah Massinissa a déclenché en Kabylie un tourbillon d'émeutes et de répression. Elle a fait déborder le vase d'une colère populaire dont une répétition miniature avait été les manifestations qui avaient suivi l'assassinat du chanteur Matoub Lounès le 25 juin 1998. Partie de Beni Douala, la révolte s'est étendue à toute la Kabylie. Elle a eu aussitôt un puissant écho dans les autres régions, malgré une insidieuse propagande tendant à donner du massif kabyle l'image d'un éternel foyer sécessionniste. Si, en Kabylie, toutes les couches populaires ont participé à la protestation, les affrontements avec les forces de sécurité étaient le fait des seuls jeunes. Ce n'étaient pas des étudiants mais essentiellement des chômeurs et des lycéens. Contrairement à la révolte d'octobre 1988, les salariés n'ont pas pris une part active à la contestation en tant que catégorie spécifique. Ils se sont fondus dans la masse, redevenant de simples membres de leur communauté respective (villages, quartiers). Les cibles principales des émeutiers du Printemps noir ont été les brigades de gendarmerie. Les gendarmes étaient chargés de bien d'autres accusations que l'«abus de pouvoir» : implication dans le trafic de drogue et atteinte à l'«honneur des villageois» qui, souvent, perçoivent leur présence comme une intrusion injustifiée dans l'intimité communautaire. Les émeutiers se sont attaqués à d'autres «symboles de l'Etat» comme les recettes d'impôts. La répression a été brutale. Selon Mohand Issad, qui a présidé la commission d'enquête officielle, elle a fait 123 morts. Aux jeunes qui attaquaient ses groupements, la gendarmerie a riposté par des tirs d'armes automatiques. Le rapport de la commission d'enquête, rendu public le 7 juillet 2001, a résumé en ces termes l'ampleur de la répression : «[Le] nombre des civils blessés par balles présente une proportion de morts, variant [...] de un sur dix à un sur trois [qui] n'est comparable qu'avec les pertes militaires, lors des combats réputés les plus durs en temps de guerre» Plus ou moins épargnée par la déferlante terroriste, la Kabylie n'a pas connu les massacres de civils qui, depuis le milieu des années 1990, endeuillent le centre et l'ouest de l'Algérie. Elle a vu, à travers la répression gouvernementale un douloureux instantané de la violence qui, dix années durant, a régné dans les autres régions. La révolte du «Printemps berbère», déclenchée le 20 avril 1980 par l'interdiction d'une conférence de l'écrivain Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle ancienne, ne s'était soldée par aucun mort. Le «Printemps noir» l'a définitivement surclassée dans l'histoire répressive du régime en Kabylie. Des émeutes ethniques ? La tentation de la facilité a souvent fini dans le péché du simplisme. Les émeutes du Printemps noir ne seraient qu'une répétition grandeur nature du Printemps berbère d'avril 1980. Le RCD - implanté essentiellement en Kabylie et qui n'a quitté le gouvernement que plusieurs jours après le début des émeutes - a été le principal promoteur de cette analogie. Tout au plus concédait-il que la misère sociale s'est agrégée au «déni identitaire» dont souffrait cette région (2). Il va sans dire que la principale faiblesse d'une telle lecture est qu'elle ne tient compte ni du caractère national des émeutes qu'a vécue l'Algérie à partir du printemps 2001, ni du fait que ce sont les jeunes qui ont été leur principal moteur. Utilisée comme unique référence pour comprendre la tempête kabyle d'avril 2001, la littérature du mouvement de contestation, notamment la plate-forme d'El-Kseur (3), a fourvoyé les analyses. Or, cette littérature a été produite par une direction dans laquelle les émeutiers étaient peu représentés ; elle traduit essentiellement les opinions hétéroclites des membres de cette direction. Le résultat est un consensus sur cette image d'Epinal d'une révolte quasi ethnique, au mieux «démocratique» (4). Ce consensus a été nourri sciemment par le Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK). En réclamant la protection de l'ONU contre les «massacres perpétrés par le pouvoir contre les Kabyles», il a implicitement agréé la thèse d'un soulèvement ethnique réprimé par un «pouvoir central arabe». L'échec de la révolte par l'émeute Quelle est la place de la revendication berbère dans ce «soulèvement jeune» ? La combinaison entre exigences sociales et linguistico-culturelles paraît plus subtile que ne le laissent entendre les points de vue tranchés. La «revendication culturelle», la reconnaissance officielle du tamazight a toujours été un ferment de la conscience politique en Kabylie. Depuis la répression de la révolte de 1980, la négation de la langue berbère a contribué à verser les Kabyles dans le réservoir des irréductibles opposants au régime. Elle est le terreau initial sur lequel ont germé toutes sortes d'oppositions. Les «événements de Kabylie» n'auraient pas pu durer aussi longtemps sans l'histoire chargée de combats culturels qu'est celle de cette région. D'octobre 1988 au «printemps noir» L'aspect pour ainsi dire «communautaire» de la contestation est réel. Il a eu des manifestations multiples : le refus de tout dialogue avec le gouvernement, considéré essentiellement comme l'«ennemi de la communauté», la résurgence des appartenances tribales et le rôle central joué par les traditionnelles assemblées de villages dans l'encadrement de la contestation. Cependant, on ne saurait réduire ce soulèvement à un violent pic du « combat identitaire » ni, dans ce sillage, agréer l'idée d'une autonomie complète de la vie politique en Kabylie par rapport au reste du pays. La réalité est plus complexe. L'Algérie indépendante, née dans le feu d'une guerre de libération à laquelle l'apport de la Kabylie a été fondamental, ne peut être assimilée à un «Etat arabe» opprimant sa «minorité kabyle», laquelle aurait évolué politiquement en complète autarcie par rapport aux autres régions. Les équilibres régionalistes ont toujours été un souci majeur des dirigeants algériens. Les élites kabyles, associées aux différentes institutions du pouvoir depuis 1962, n'étaient pas aussi marginales que le laisse entendre un certain berbérisme à la mode (5). Il suffit de se souvenir que, lors de la révolte du FFS, en 1963, la Kabylie comptait autant d'insurgés contre le régime d'Ahmed Ben Bella que de soutiens à ce même régime. Elle n'a pas non plus toujours été fermée aux influences du parti unique, le FLN, et de l'islamisme. Si l'idéologie arabo-islamique est en déclin dans cette région, notamment depuis les émeutes d'avril 1980, elle ne l'avait pas toujours été. Les cellules du FLN existaient dans chaque localité dans les années 70 (6). La Kabylie n'a pas été non plus le parent le plus pauvre du processus de développement post-indépendance. Il serait illusoire d'interpréter sa révolte comme le soulèvement d'une région sciemment délaissée par un «pouvoir islamo-baathiste». L'idée selon laquelle la solidarité villageoise et les transferts de fonds d'émigrés ont pourvu aux besoins de la Kabylie en infrastructures (routes...) devrait prêter tout au plus à sourire (7). Elle est la preuve d'une méconnaissance totale du rôle primordial de la politique économique d'«équilibre régional» dans le dispositif de domination du régime. Les tentatives de présenter le Printemps noir comme un mouvement en tous points semblable au Printemps berbère d'avril 1980 restent marquées par le refus de mettre en question, au-delà du caractère antidémocratique du régime, sa politique économique et sociale. Curieusement, elles convergent avec le discours des médias étatiques, inspirés par le gouvernement. Ces médias ont tout fait pour qu'apparaisse au premier plan des revendications l'exigence de reconnaissance de la langue berbère. Le pire cauchemar pour le gouvernement était, en effet, que la nature sociale de la révolte en Kabylie suscite des sympathies dans le reste du pays. Il a tout tenté pour que cette révolte soit perçue comme la manifestation d'un inquiétant particularisme linguistique, qu'il serait prêt, toutefois, à prendre en charge en reconnaissant le berbère comme langue nationale (8). Des émeutes principalement urbaines Il serait plus juste de distinguer dans les émeutes de Kabylie leurs particularités des traits qui les rapprochent des autres émeutes sociales qu'a connues l'Algérie depuis les années 1980, point de départ de l'offensive de libéralisation économique. Ouvrant brèche sur brèche dans le corps ramolli de l'économie administrée, cette offensive envisageait d'insérer le pays de façon cavalière dans l'économie mondiale. Eclairé de la lumière des révoltes simultanées dans les autres régions - y compris dans celles considérées comme des réservoirs électoraux pour le régime -, le soulèvement de la Kabylie au Printemps 2001 est à insérer dans la chronologie des émeutes urbaines (9), expression violente, politiquement confuse, de l'extension du champ de la marginalité. Il est ainsi plus comparable aux émeutes d'octobre 1988 qu'à la révolte d'avril 1980. Comme lors des émeutes d'octobre 1988, le vide laissé par les mouvements sociaux traditionnels (le mouvement syndical, etc.) a été occupé par la révolte chaotique des jeunes marginaux. Cette révolte est urbaine. Les principaux foyers de tension en Kabylie sont pour l'essentiel d'anciens grands villages, promus dès les années 1970 au rang de petits centres urbains, grossis par l'exode rural (10). L'analyse des émeutes de Kabylie suivant le modèle explicatif élaboré par Saïd Chikhi (11) pour décrire les émeutes d'octobre 1988 passe par l'étude du «champ de la marginalité». Ce champ est structuré par deux phénomènes socio-économiques, le chômage et la déperdition scolaire. Le chômage a aggravé la crise du travail salarié, à l'œuvre depuis l'amorce du mouvement de désindustrialisation en 1984 qui s'est traduit par la baisse des investissements productifs et le démembrement des grandes sociétés étatiques (12). Cette crise a réduit l'importance du secteur étatique dans la redistribution du revenu national. Quant à la déperdition scolaire, conséquence indirecte de la crise du travail salarié, elle a réduit à néant la fonction d'intégration sociale de l'école. Sinistre social et économique Selon une enquête de l'Office national des statistiques (ONS) menée en juin 2000, soit 10 mois avant les émeutes, le taux de chômage était de 28,89%. Les pertes d'emplois se sont chiffrées, rien qu'en 2000, à 217.000 (13). Les chiffres officiels (octobre 2001) indiquent que 70,79% des demandeurs d'emploi ont moins de 30 ans. La majorité des chômeurs n'a ainsi jamais exercé de travail salarié et ne possède donc aucune culture du salariat. Le tableau de la déperdition scolaire est aussi sinistre. Selon le Recensement général de la population et de l'habitat effectuée par l'ONS en 1998, entre la première année du primaire et la dernière année du secondaire, sur 100 élèves, seulement 27 en moyenne obtiennent leur bac. La baisse des budgets de l'éducation nationale est une autre indication de l'ampleur de la sélection scolaire. La part du budget de fonctionnement affecté à ce secteur dans le budget de fonctionnement de l'Etat est passée de 29% en 1990 à 13,7% en 2000. Ce tableau général mérite d'être complété par le contexte économique immédiat des émeutes. Grâce au redressement des prix du pétrole dès décembre 1999, l'Algérie vivait une aisance financière sans pareille dans le passé ; les réserves de change étaient estimées à 11,9 milliards de dollars, à la fin 2000. Mais l'austérité budgétaire était toujours de rigueur. Elle était jusque-là justifiée par la crise financière et le poids de la dette. Ce discours ne pouvait plus convaincre puisque le Trésor affichait un bulletin de santé des plus satisfaisants. Il a exacerbé la frustration des couches sociales marginales, revenues de l'illusion de la «prospérité partagée» promise par Abdelaziz Bouteflika en 1999. Les Algériens ne comprenaient pas qu'autant d'argent frais dorme « dans les caisses » et n'ait aucune incidence ni sur les réseaux d'eau potable, ni sur l'état des routes, ni sur l'emploi (14). En Kabylie, la crise du travail salarié et la déperdition scolaire se sont conjuguées à une importante mutation sociologique que le sociologue Abdelnasser Djabi résume en ces termes : «Le village kabyle n'est plus un village de femmes, d'enfants et de vieilles personnes, les hommes étant partis travailler ailleurs. Le chômage a restreint les possibilités d'émigration [intérieure]» (15). Non seulement le massif kabyle ne dispose pas de ressources agricoles considérables, mais ces maigres ressources se sont taries sous l'effet de l'urbanisation anarchique. Cette urbanisation a fait que les jeunes, bien qu'appartenant souvent à des communautés villageoises, ne se projetaient plus dans un quelque ''avenir rural'' que ce soit.» Sans être à lui seul une explication suffisante aux événements d'avril 2001, ce contexte économique offre une clé pour les comprendre. La crise du travail salarié a accru l'importance du secteur économique informel. L'historien Daho Djerbal expose en ces termes ce processus: «L'économie informelle n'a pas tardé à [s'intégrer] au système de l'économie plus ou moins contrôlée par l'Etat. [Ce faisant], elle a marginalisé certains segments des activités informelles. [...] Les jeunes ne trouvaient de modalités d'intégration ni dans le monde du travail productif, ni dans celui de l'échange. Cette génération n'est [même plus] un élément de la marge plus ou moins intégré. Elle est hors-système... Il n'existe pas de canaux par lesquels elle peut s'exprimer, hormis celui de l'émeute(16).» La faillite des élites politiques kabyles traditionnelles Comme l'explique Saïd Chikhi à propos des émeutes d'octobre 1988, le «champ hors-système, celui de la marginalité», est aussi celui d'une «marginalité symbolique». Celle-ci se manifeste à travers une rupture entre générations et un refus des jeunes de se reconnaître dans l'idéologie des «aînés», quels qu'ils soient, parents ou dirigeants politiques (17). Un des faits marquants des émeutes de Kabylie demeure la marginalisation des élites politiques traditionnelles de la région ; il est à ce propos significatif que les meetings organisés par les partis se soient souvent transformés en de simples échauffements pour de rudes affrontements avec la police. Ces élites appartiennent essentiellement au FFS et au RCD. Elles comptaient également des «militants indépendants» du Mouvement culturel berbère (MCB). La presse a rapporté les saccages de locaux du FFS et du RCD et le peu d'emprise de leurs députés, dépêchés en Kabylie, sur les jeunes révoltés. Elle s'est aussi fait l'écho de l'influence limitée qu'ont eue sur eux des figures du MCB, jusque-là charismatiques. Le divorce de la Kabylie d'avec le pouvoir s'est approfondi dès l'ouverture multipartite. Il s'est manifesté à travers l'affaissement de la présence politique de l'ancien parti unique (FLN), dont l'influence était significative, contrairement à une idée reçue qui veut que cette région ait été gouvernée par le fer et le sang, sans le relais de notables bien intégré dans le système FLN (18). Ce divorce s'est doublé, durant la décennie 1990, d'une perte de crédibilité certaine des élites politiques traditionnelles appartenant au FFS et au RCD. «L'assimilation des anciennes élites kabyles s'est opérée à travers l'intégration au jeu politique au niveau central, mais aussi à travers l'intégration, par la bourgeoisie nationale, d'une bourgeoisie kabyle énergique. Pendant que l'élu ou le dirigeant du FFS et du RCD s'intégrait à la vie algéroise, une nouvelle élite se formait. Elle est plus jeune, et son enracinement local est plus prononcé» (19), fait remarquer le sociologue Abdelnasser Djabi. Alors que la crise sociale s'aggravait, le FFS, par exemple, demeurait prisonnier d'un discours d'opposition axé sur le nécessaire «changement de régime» et surdéterminé par le contexte politique particulier des années 1990, celui de l'affrontement entre deux choix majeurs, la réconciliation avec le FIS et son éradication militaire. Aussi, ce parti ne se construisait-il plus principalement, dans son principal bastion, la Kabylie, autour des «problèmes de la cité» ; tout au plus, ces problèmes étaient évoqués dans le contexte de la dénonciation du régime. Son entrée au Parlement, en 1997, a achevé de détacher une partie de ses cadres nationaux des problématiques locales. Le RCD a suivi le même chemin d'intégration aux institutions même si, politiquement, il s'est situé dans le camp adverse, celui de l'«éradication». Sa participation aux gouvernements Bouteflika a enraciné son image de parti complètement assimilé par le système. Il faut dire à la décharge de ces deux partis que la décennie 1990 a été un vrai laminoir pour la majorité des forces politiques. L'échec puis la répression du FIS ont aggravé la crise du politique faisant mourir l'intérêt des jeunes pour les mouvements d'opposition comme alternatives au régime. Les querelles entre le FFS et le RCD ont renforcé, en Kabylie, l'image de ces partis comme agents de division de la région. Le MCB avait fini, lui, par devenir un état-major sans base après avoir été le fédérateur de centaines d'associations culturelles qui, un certain 20 janvier 1990, avaient fait défiler des centaines de milliers de manifestants devant l'Assemblée nationale. Une nouvelle élite plus «locale» La faillite des élites politiques traditionnelles a fait que le gouvernement n'avait plus de médiation avec les jeunes révoltés. Si les émeutes en Kabylie ont duré aussi longtemps, c'est aussi à cause de l'impossibilité de toute médiation avec les insurgés, comme le souligne l'historien Daho Djerbal. Le gouvernement a tenté, au début des événements, de lancer les appels au calme par le biais des parents et autres anciens militants du MCB, mais ces appels n'ont jamais été entendus. Il a tenté, plus tard, de nouer le fil du dialogue avec quelques délégués des comités de villages et de quartiers. Mais ces délégués n'ont jamais réussi à s'imposer comme une représentation reconnue par la toute population. Les nouvelles élites «locales» se sont rassemblées au sein de la coordination de Kabylie, regroupant les représentants des comités de villages et de quartiers (20) qui ont joué, pour la première fois de leur histoire, un rôle de représentation politique. Les membres de cette coordination étaient pour beaucoup d'entre eux issus du FFS et du RCD, les émeutiers se méfiant surtout des figures politiques intégrées à la vie politique algéroise, députés et autres «responsables nationaux». Mais même quand ils étaient militants de partis, les délégués enlevaient leur «casquette partisane» en intégrant cette instance. Ils redevenaient les représentants de leur communauté restreinte, le village ou le quartier, ou large, la «communauté kabyle». La méfiance à l'égard des partis était telle que la Coordination a refusé de reproduire leur mode de fonctionnement, qui avait, pour elle, produit tant de «politiciens professionnels». Elle n'a jamais eu de direction élue et révocable. Les décisions se prennent par consensus dans de grandes réunions qui, naturellement, sont peu propices au débat contradictoire. A Béjaïa, au nom de l'«autonomie du mouvement», plusieurs syndicats animés par des militants du Parti socialiste des travailleurs (extrême-gauche) ont été exclus de la coordination (21), alors que leur apport avait été essentiel à l'organisation du mouvement à ses débuts chaotiques. Les animateurs de ces syndicats ont été poussés à s'organiser de façon indépendante, dans une coordination concurrente, le Comité populaire de Béjaïa, dont le discours insiste sur le caractère social des émeutes de Kabylie et sur la nécessité d'une « organisation nationale de la révolte populaire ».