Nom d'utilisateur:
Mot de passe:

Se souvenir de moi

S'inscrire
Recherche:

Rente pétrolière- Démocratie

Date de création: 10-06-2018 15:18
Dernière mise à jour: 10-06-2018 15:18
Lu: 1196 fois


POLITIQUE- ETUDES ET ANALYSES- RENTE PETROLIERE- DEMOCRATIE

Des chercheurs anglo-saxons décryptent/Rente pétrolière et démocratie sont-elles compatibles en Algérie ? Par © www.algerie-focus.com/ Abdou Semmar F | 25 septembre 25, 2015 Hossein Mahdavy, dans les années 1970, en travaillant sur l’idée d’un “Etat rentier” avec l’Iran, fut l’un des premiers chercheurs à conceptualiser le problème auquel font face une majorité des Etats disposant d’une rente pétrolière. Depuis l’élaboration de cette notion, plusieurs travaux brillants ont suivi cette tentative conceptuelle, en développant et en consolidant une théorie de l’Etat rentier, qui puisse expliquer les difficultés politiques que traversent généralement les Etats ayant des sources constantes de revenus exogènes, notamment avec les rentes pétrolières. L’un des arguments les plus célèbres de cette théorie concerne l’incompatibilité d’une rente étatique et du développement durable de structures démocratiques. Dans le cas algérien, cette théorie est séduisante sur plusieurs points, mais il convient, néanmoins, de comprendre en quoi elle ne correspond pas totalement à la réalité politique de l’histoire de l’Etat algérien. Le premier point établit un lien entre les revenus directement perçus par l’Etat et la manière dont celui-ci va utiliser ces ressources pour satisfaire un certain nombre de demandes populaires, et empêcher l’émergence de toute potentielle contestation du système. Un régime peut, par exemple, comme ce fut le cas lors des premières décennies après l’indépendance, avec Ahmed Ben Bella puis avec Houari Boumediene, dépenser les revenus issus de la rente dans des projets de redistribution ambitieux : construction d’écoles, d’usines, d’hôpitaux, éducation gratuite, allocations de chômage, soutien de la consommation et de l’agriculture par des subventions. Tant que les prix ne baissent pas et que les revenus de la rente sont stables, l’Etat n’a pas trop à s’inquiéter de la « loyauté » de la population, et un régime autocratique peut perdurer sans craindre sa remise en cause. De plus, les revenus de la rente permettent de financer les dépenses militaires, et donc d’encadrer un système de répression qui peut faire pression sur la population en cas de chocs politiques ou économiques. En science politique, on peut mesurer ce degré de répression en observant l’importance de la part des dépenses militaires, notamment en calculant la taille de ce budget par rapport au PIB de l’Etat. Pour l’Algérie, les chiffres sont flagrants. A partir des années 1980, les revenus de la rente pétrolière ont commencé à baisser, et l’Etat n’a pas pu maintenir le rythme de ses dépenses publiques. Un certain nombre de chercheurs se permettent donc d’associer ces deux variables, et de voir dans les mouvements sociaux de cette décennie la répercussion directe de la chute des revenus issus du pétrole. De plus, malgré la baisse sensible des dépenses publiques, on peut voir une hausse significative des dépenses militaires de 1985 à 1994, qui appuie fortement l’argument du système répressif. Le deuxième point concerne la structure sociale de l’Etat-nation. Les recherches menées sur le sujet font l’hypothèse d’une structure sociale radicalement altérée par la domination économique d’une rente pétrolière. Camilla Sandbakken, en 2006, a expliqué comment les classes marchandes et les élites traditionnelles étaient progressivement remplacées par une classe de rentiers, constituée de haut-fonctionnaires technocrates et d’officiers militaires. Leonard Wantchekon, en 2004, montrait lui qu’une classe ouvrière, potentielle source d’opposition au pouvoir, était en effet effacée par l’absence de grands groupes industriels, et plus largement, par le manque d’activités productives, empêchant l’émergence de syndicats puissants et contestataires. Cet argument est intéressant lorsqu’on l’analyse sous la lorgnette de la nation algérienne, car on peut en effet observer un bouleversement des rapports entre classes sociales après la découverte et l’exploitation de la rente pétrolière en Algérie. La structure de classes après l’indépendance était uniforme, mais les trois décennies fastes qui ont suivi cette période l’ont profondément affectée. D’une part l’élite du FLN, composée de bureaucrates et de militaires. D’autre part l’absence d’une classe moyenne ou d’une véritable classe ouvrière, dotée d’une conscience de classe, qui puisse s’opposer à la politique du gouvernement. On observe aussi que les principaux syndicats sont sous contrôle du gouvernement. Lorsque la situation économique a commencé à se dégrader, dans les années 1980, et que l’Etat fut mis progressivement sous pression de mouvements populaires, on constate que ceux-ci étaient le fruit d’une contestation étudiante et/ou religieuse, et que syndicats et mouvements ouvriers n’étaient pas organisés dans cette perspective. Le troisième point de la théorie de la rente parait en revanche moins convainquant, car il suppose une corrélation entre un Etat rentier et un faible niveau de taxes. L’argument tente de montrer que le peuple aura moins de revendications sociales du fait de la maigre taxation imposée par l’Etat. Les travaux actuels montrent que ce lien n’est pas statistiquement prouvé, et qu’un faible niveau de taxes ne signifie pas une moindre implication politique du peuple. Dans d’autres Etats rentiers, à l’instar de la Libye ou du Nigeria, on retrouve des situations politiques qui confirment les hypothèses des deux premiers points évoqués, et les études entreprises par des chercheurs tel que Sandbakken, Wantchekon ou Michael Ross appuient en effet ces conclusions. La rente pétrolière constitue donc une variable importante pour comprendre les racines des régimes autocratiques, mais tout un certain nombre d’autres facteurs doivent être mobilisés pour saisir les difficultés qu’ont ces nations à implanter des structures démocratiques durables. Le taux de chômage, les bouleversements démographiques, les tensions ethniques et sociales, doivent en effet aussi être pris en considération. De plus, la méfiance à l’égard de ce type d’analyse structuraliste, avec toute sa dimension déterministe, doit être de rigueur. Kiren Aziz Chaudhry montre en effet que nous ne devons pas oublier l’importance du libre arbitre des individus et des particularités culturelles, qui peuvent expliquer les trajectoires étonnantes que prennent les Etats au cours de l’Histoire, allant à rebours, dans bien des cas, de tous modèles jusqu’ici élaborés. D’ailleurs, si ces arguments semblent expliquer certaines trajectoires politiques de l’Etat algérien depuis l’indépendance, d’autres chercheurs (Charity Butcher notamment) minimisent l’influence anti-démocratique de la rente pétrolière, notamment en s’appuyant sur les récents événements du printemps Arabe et sur la reconnaissance depuis les années 1980, par l’Etat algérien, de nombreux groupes issus de la société civile. En réalité, ces chercheurs montrent moins le lien entre « rentiérisme » et démocratie que la montée en puissance de certains groupes de la société civile grâce aux processus de libéralisation et à l’appui des nouvelles technologies. Néanmoins, ces processus-là nous rendent certainement optimistes, et nous font réaliser que la rente pétrolière ne constitue en rien un mur infranchissable pour un peuple qui souhaite s’affranchir de la tutelle d’un Etat autoritaire.