INFORMATIQUE- ENQUETES ET REPORTAGES – RESEAUX SOCIAUX AU MAGHREB – NADIA BOUARICHA/EL WATAN
Une enquête maghrébine le révèle
Lier réseaux sociaux et révoltes arabes est obsolète
© Nadia Bouaricha/ El Watan, 1er Décembre 2014
Au lendemain des révoltes dans certains pays arabes, les médias avaient vite désigné les réseaux sociaux comme la source et le point de départ de l’organisation de la colère citoyenne.
Hier, alors que les cartes sont encore plus brouillées et que de l’eau a coulé sous les viaducs des dictatures arabes, cette théorie s’est réduite en peau de chagrin tant elle n’a pas quitté le cadre virtuel. Une enquête maghrébine s’est intéressée à l’impact des réseaux sociaux sur les révoltes arabes et a largement prouvé qu’ils n’ont pas du tout été déterminants. Les résultats préliminaires de cette enquête, effectuée en Tunisie, en Algérie et au Maroc, ont été exposés lors d’un colloque universitaire, à Alger, sur les révoltes arabes. «Qualifier les révoltes arabes de révolution des réseaux sociaux est obsolète», indique la dite enquête révélant que pour les connectés du Maghreb, internet et les réseaux sociaux ne représentent qu’une ouverture sur le monde et un outil de communication.
«Il faut déconstruire la notion de novation technologique comme une révolution, tous les mouvements sociaux dépendent de la sociologie des acteurs et non pas de la technologie. Il est important de relativiser la révolution par facebook ou Twitter», précisent Lotfi Maherzi (professeur à l’université Saint Quentin, Versailles) et M. Dadani (professeur à l’université Moulay Ismaïl de Meknès).
Les contestations dans les pays arabes ont émané aussi des non-connectés et la communauté des cyberactivistes est loin de représenter la plus grande partie des contestataires.
Effectuée sur une population de 200 personnes par pays, à raison de 60% d’hommes et 40% de femmes, âgés à 98% de 18 à 30 ans, l’enquête maghrébine – la première du genre depuis les évènements de 2011 – continue de poser des questions sur le lien entre la connectivité et la dissidence. Il se trouve que la connectivité dans les trois pays échantillons est faible. Le taux de pénétration du téléphone fixe dans les trois pays maghrébins n’est que de 10 lignes fixes pour 100 habitants avec 10% au Maroc, 8% en Algérie et 10% en Tunisie.
L’usage de l’internet grand public pour les utilisateurs résidentiels est embryonnaire. La région ne compte que 17 millions d’internautes sur une population globale de 86 millions d’habitants, soit 19 internautes pour 100 habitants contre une moyenne de 70 internautes pour 100 habitants en Europe. «La Tunisie et le Maroc sont plus avancés par rapport à l’Algérie grâce à un volontarisme politique plus soutenu dans ces pays», explique L. Maherzi en notant que si le Maroc, la Tunisie et l’Algérie sont dans le top 10 en Afrique en matière de connectivité, il y a lieu de noter que l’Algérie est dernière du classement alors que le Maroc et la Tunisie talonnent l’Egypte en tête de classement.
Accès à l’internet : L’Algérie à la traîne
L’évolution de la technologie de troisième génération au Maroc, déjà en 2009, a boosté le nombre d’abonnés, qui est passé de 707 000 l’année de son lancement à 2 millions en 2013. La Tunisie arrive derrière avec 201 330 en 2011 à 580 000 en 2013. En l’absence de statistiques fiables sur le cas algérien, où la 3G n’a été introduite qu’en 2014, le nombre d’abonnés approximatif oscille entre 250 000 et 300 000. Le réseau mobile connaît une croissance importante au Maghreb, contrairement au réseau fixe.
Le nombre d’abonnés a doublé en cinq ans : 12 millions en Tunisie, 41 millions en Algérie et 42 millions au Maroc. Une amplification encouragée par les technologies de 3e et 4e générations. Pour ce qui est des réseaux sociaux, l’enquête révèle aussi que le taux de connexion à a atteint 18 millions dans les trois pays du Maghreb en 2013 avec 5 millions d’abonnés au Maroc, 4,6 millions en Tunisie et 4,1 millions en Algérie. Autre aspect souligné par cette enquête : le recours à l’appropriation des TIC pour un usage marchand, surtout au Maroc et en Tunisie.
«Le paradoxe est que l’Algérie, qui jouit d’une manne financière importante, est à la traîne…Un pays présenté comme rentier n’accorde que peu d’importance au développement local par la technologie en matière d’éducation, de santé, etc., des concepts qui semblent étrangers aux différents gouvernements», explique Lotfi Maherzi, en notant que la crainte de l’Algérie de l’effet des réseaux sociaux sur la dissidence fait perdre au développement et à l’économie nationale énormément d’argent.
Au lieu de développer l’usage des technologies de l’information et de la communication, l’Algérie a préféré freiner leur essor. «C’est un grand gâchis pour le développement économique», estime le professeur Maherzi en évoquant une note de l’OCDE établissant qu’au lendemain du blocage, par l’ex-président égyptien Hosni Moubarak du service internet, suite au déclenchement des évènements de 2011, une perte de 3 et 4% du PIB a été enregistré en Egypte, soit 18 millions de dollars par jour. «Que ce soit pour l’accès ou l’usage d’internet, l’Algérie demeure à la traîne.»
© Nadjia Bouaricha/ El Watan