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Pouvoir-presse privée : une relation tumultueuse depuis la libéralisation du secteur par Hamrouche
© par AiT amara /aLgérie patRiotIque , 2. juillet 2014
La libéralisation du secteur de la presse au début des années 1990 par Mouloud Hamrouche, alors chef du gouvernement, dans le cadre des réformes qu’il avait engagées au lendemain des événements d’Octobre 1988, avait permis à des journalistes du secteur public de créer leur propre organe de presse. Issus des quotidiens et hebdomadaires étatiques El-Moudjahid, Echaâb, Algérie Actualité, Révolution africaine, Horizons, El-Massa, mais aussi de l’Agence Presse service (APS), beaucoup de journalistes ont choisi de se jeter à l’eau et de s’affranchir du Bureau de sécurité et de prévention (BSP) qui relevait de la Sécurité militaire et dont le rôle était de contrôler les écrits des «fonctionnaires» du ministère de l’Information et de surveiller leur ligne de conduite politique. De nouveaux titres commencèrent à apparaître sur les étals des buralistes avec des contenus différents de ce à quoi le lecteur avait été habitué depuis l’indépendance du pays. Les journaux, qui avaient un format plus grand, connurent une montée en puissance rapide et l’expérience de la presse privée intéressa de plus en plus de journalistes qui s’en iront, à leur tour, créer de nouveaux titres, en tentant d’en diversifier le contenu et la forme. Cette période faste durera quelques années, avant que les «patrons de presse» en herbe ne commencent à découvrir l’envers du décor.
Premières difficultés et premiers sauvetages
Les premières années, la presse privée était appelée par pudeur «presse indépendante», car les nouveaux titres, portés par des sociétés commerciales (des Sarl en général), n’en étaient encore qu’à leurs balbutiements et leur gestion administrative et financière souffrait du manque d’expérience de leurs fondateurs. L’obligation était faite par les autorités publiques aux créateurs de nouveaux journaux de faire partie de la corporation. En contrepartie, le gouvernement offrait trois années de salaire à tout journaliste qui ferait part de son souhait de fonder son propre journal. L’enthousiasme et l’euphorie qui ont suivi les premières années de la libéralisation du secteur au même titre que d’autres dans le cadre des réformes que Mouloud Hamrouche avait initiées à la va-vite, sans prendre le temps d’approfondir la réflexion sur les grands choix stratégiques du pays, pressé qu’il fut de tourner la page de plus de trente ans d’économie dirigée et de centralisation excessive de l’Etat, seront freinés par les premières difficultés financières. Des difficultés qui, pour des raisons sociologiques, avaient touché les journaux arabophones de plein fouet et épargné la presse francophone qui, elle, avançait à grands pas. Les journaux d’expression arabe mettaient la clé sous le paillasson l’un après l’autre. Le gouvernement dut alors intervenir pour sauver au moins un titre, le quotidien El-Khabar, qui croulait sous une dette faramineuse et qui était proche de la faillite. Le pouvoir voyait d’un mauvais œil la prolifération de journaux d’expression française et avait voulu équilibrer le champ médiatique national en aidant ce titre qui émergeait déjà par rapport aux quelques autres qui se comptaient sur les doigts d’une seule main. La dette d’El-Khabar auprès des imprimeries publiques fut ainsi effacée et sa caisse renflouée pour lui permettre de sortir la tête de l’eau. D’autres journaux arabophones seront créés jusqu’à devenir majoritaires et, mieux, caracoler en tête des ventes, conséquence directe de l’arabisation de l’école et de l’université au début des années 1980.
Premières tensions politiques, premières suspensions
Après une stabilisation toute relative du champ médiatique national, un nouveau problème surgit, celui de la relation tendue avec les pouvoirs successifs. Après son départ précipité du gouvernement, Mouloud Hamrouche laissa un «cadeau empoisonné» à ses successeurs qui ne s’accommodaient que trop difficilement de la liberté de ton des journalistes. Les premières suspensions de journaux commencèrent avec la désignation de Belaïd Abdesselam à la tête du gouvernement. Cet ancien ministre de l’Industrie sous Boumediene était venu avec son «économie de guerre» dans ses bagages ; un concept qu’il avait décidé d’appliquer à la lettre. Première cible du nouveau chef de gouvernement, quelques journaux qui le gênaient dans sa politique de redressement d’une économie nationale agonisante et pour le sauvetage de laquelle il devait travailler sereinement et sans «parasitage». Plusieurs titres sont interdits d’impression d’un coup, pour avoir révélé des informations «portant atteinte à l’intérêt national» ; une formule rebattue qui conférait au pouvoir tous les droits dans un contexte aggravé par un terrorisme islamiste sanguinaire. Les journaux suspendus ne reviendront sur les étals qu’après le limogeage de Belaïd Abdesselam et son remplacement, en 1993, par Réda Malek, moins rigide et plus ouvert au dialogue. L’ancien membre du Haut Comité d’Etat leva la suspension des journaux, mais la crise entre la presse privée et le pouvoir n’en était qu’à ses débuts.
Le terrorisme cible les journalistes
Dès son arrivée au Palais du gouvernement, Réda Malek avait lancé son fameux slogan : «La peur doit changer de camp !» Son soutien à la presse était entier, conscient du rôle important que celle-ci jouait dans le combat contre les forces obscurantistes. Ce n’est pas par hasard que les terroristes cibleront les journalistes jusqu’à tant que le Fida, un groupe affidé du GIA qui s’était spécialisé dans l’assassinat des intellectuels, fût démantelé et ses membres arrêtés ou abattus. Près de cent journalistes seront tués, tandis que la corporation connaît une hémorragie ; beaucoup de ses membres ayant eu peur pour leur vie se sont disséminés à travers plusieurs pays étrangers et ont posé leur valise notamment en France, en Belgique et au Maroc, où séjournera plusieurs années l’actuel ministre de la Communication. La presse vivra alors les pires moments de son histoire, mais gagnera la sympathie des médias internationaux pour son courage et sa résistance face à la menace intégriste. Un courage qui lui permettra également d’être épargnée, momentanément, par le pouvoir avec lequel elle combattait dans la même tranchée contre les groupes islamistes armés. Ce qui fit dire à un officier de l’ANP, s’adressant à des journalistes : «Vos plumes sont autrement plus efficaces que nos kalachnikovs. Si nous combattons les terroristes, vous, vous combattez leur matrice, c’est-à-dire leur idéologie.» La relation tumultueuse entre la presse et le pouvoir connaîtra une accalmie au firmament de la décennie noire. Mais ce modus vivendi ne durera pas longtemps.
Mohamed Betchine et la poule aux œufs d’or
Quand Liamine Zeroual fut élu en novembre 1995, il nomma le général à la retraite Mohamed Betchine comme conseiller politique. Ce dernier concentrera alors toutes les prérogatives entre ses mains, faisant la pluie et le beau temps, nommant par-ci, dégommant par-là, à sa guise. Ses prérogatives n’avaient pas de limites, au point que d’aucuns le prenaient pour le véritable chef de l’Etat. Pour espérer obtenir un agrément pour la création d’un journal, il fallait montrer patte blanche et essayer de parvenir jusqu’à l’omnipotent conseiller du Président. Seuls deux nouveaux quotidiens verront le jour à cette période, dont un cessera de paraître quelque temps à peine après son lancement. L’ancien patron de la DGPS, ancêtre du DRS, comprendra alors tout l’intérêt de créer lui-même des journaux pour brasser une fortune à travers la manne publicitaire institutionnelle. Il fondera deux titres, L’Authentique et Al-Acil, qu’il gavera de publicité et dont le tirage sur les imprimeries de l’Etat se faisait non pas sur bon de commande mais sur ordre verbal. Mohamed Betchine faisait d’une pierre deux coups : imprimer ses journaux sans payer et récupérer une bonne partie des budgets des collectivités locales destinés aux annonces légales, inaugurant ainsi une pratique mafieuse qui aura la peau dure, jusqu’à ce qu’Algeriepatriotique dévoilât le pot aux roses. Combien de milliards ont-ils été détournés par ce procédé depuis cette période jusqu’à nos jours ? Une «enquête sérieuse» est en cours, nous dit-on, mais il n’est pas dit que l’Etat récupère tout l’argent dilapidé et qui a servi à certains directeurs de petits journaux de se payer de grosses cylindrées, des haras et des villas ici et à l’étranger.
L’Anep source d’endettement
Pendant ce temps, les journaux étouffaient sous le poids de leurs dettes détenues auprès des imprimeries publiques, non qu’ils refusaient de s’en acquitter – du moins pour certains –, mais parce que l’Etat avait, par son laisser-aller, créé une situation inextricable. L’Agence nationale d’édition et de publicité (Anep) publiait ses encarts publicitaires dans les quotidiens et ne les payait que tardivement ; le décalage entre la parution de l’annonce et son paiement prenait plusieurs mois. Ce retard avait poussé les journaux à ne pas payer les imprimeries, faute de trésorerie suffisante. Plus tard, l’Anep décida d’apurer sa situation vis-à-vis des journaux qui poussaient comme des champignons et qui devaient, à leur tour, solder leur dette auprès des sociétés d’impression relevant du secteur public. Ce qui fut fait, mais cela n’a pas suffi à remettre de l’ordre dans la corporation. Au contraire. Lorsque les journaux récupérèrent la totalité de leurs créances détenues auprès de l’Anep, une mauvaise habitude s’était déjà installée et les patrons rechignaient à reverser cette somme aux imprimeries qui durent recourir à la justice. Les dettes furent alors rééchelonnées, mais le pouvoir du téléphone étant plus fort que celui d’une décision de justice, de l’aveu même du directeur de la Société d’impression d’Alger (SIA), certains titres continuaient et continuent à ce jour, d’ailleurs, d’être imprimés bien que leurs propriétaires soient impliqués dans un vaste trafic d’influence mis en place par l’ancien directeur du Centre de communication et de diffusion (CCD) qui relevait du DRS, mais qui agissait en électron libre.
Prolifération anarchique des titres depuis 1999
L’arrivée de Bouteflika au pouvoir en 1999 verra la prolifération des journaux dans la région ouest du pays. Une multitude de titres nationaux et régionaux sans assise aucune ont vu le jour, au moment même où la création de nouveaux journaux relevait du miracle. Un ancien responsable a avoué avoir reçu l’ordre de réduire le nombre trop élevé de journaux tout en constatant lui-même que l’émetteur de cet ordre en créait de nouveaux dans sa région à des fins d’enrichissement illicite. On retrouve, pêle-mêle, des directeurs de club de football, des députés appartenant à des partis au pouvoir et des hommes d’affaires. Voici quelques années, Ali Haddad lançait son propre journal dans les deux langues. Les salaires mirobolants qu’il proposait aux journalistes avaient failli créer une crise au sein des rédactions de journaux plus anciens. Mais les observateurs ont vite fait de remarquer le nombre impressionnant de pages de publicité publique qui atteignaient par moment jusqu’à huit par jour. Cette distribution généreuse de l’argent de l’Etat à cet homme d’affaires qui s’est distingué lors de la dernière élection présidentielle par son engagement acharné pour un quatrième mandat a fini par devenir trop voyante. Le «mécène» qui, quelque part dans un salon feutré des centres de décision politique ordonnait au directeur de l’Anep de «donner sans compter» à ce journal qui n’a jamais percé, se vit dans l’obligation de fermer les vannes. En somme, les dernières créations de journaux ne l'ont été qu'après l'assurance de l'Anep, avec le feu vert «d'en haut», d’ouvrir droit à une part du gâteau. Aucun journal fondé après la deuxième génération ne peut donc survivre sans la publicité institutionnelle que près de 140 quotidiens se disputent. Mais l’agence que «dirige» Ahmed Boucenna n’arrive plus à «satisfaire tout le monde». Que faire ? Les premiers éléments de réponse sont livrés par le nouveau ministre de la Communication, à travers ses déclarations itératives et menaçantes.
Valse de ministres et missions floues
Le ministère de la Communication est sans doute le moins stable de tout le gouvernement. Le nombre de ministres qui sont passés par ce département logé chez l’APS faute de siège renseigne sur l’absence d’une vision claire quant au rôle dévolu à cette institution, tantôt ministère tantôt secrétariat d’Etat. Mais aucun ministre n’a réussi à organiser la corporation. Et la raison en est simple. Le ministère de la Communication, hérité du ministère de l’Information et de la Culture, ne jouit d’aucune prérogative claire. Une personnalité littéraire qui avait occupé ce poste récemment se plaignait de ce que le directeur de l’ENTV – à l’époque – bloquait son projet de créer des chaînes thématiques. A la question : «Pourquoi ne le limogez-vous pas ?», le ministre a eu cette réponse significative : «Je n’en ai pas le pouvoir.» Plus tard, un autre ministre, à qui ce poste avait été octroyé conséquemment à une répartition politique des portefeuilles, se verra refuser la désignation de militants de son parti aux différentes directions centrales du ministère. Faute d’avoir pu imposer ses hommes, il remettra sa démission, laquelle lui sera, d’ailleurs, refusée. Le tout nouveau ministre s’agite, promet, vilipende, mais il sait que, comme tous ses prédécesseurs, il sera prié de remettre les clés de son bureau avant même d’avoir pu achever ne serait-ce qu’une partie infinitésimale de [son] «ambitieux programme». Le ministère de la Communication n’avait plus sa raison d’être dès après la chute du régime monolithique ; il aurait dû disparaître en 1989, en même temps que le pourvoir s’ouvrait à la critique et que le citoyen prétendait à la liberté d’expression.
M. Aït Amara