TOURISME - ENQUETES ET REPORTAGES - GOULMIM - HAUT LAC D'ALGERIE - EL WATAN.COM/DJAMEL ALILAT
Randonnée dans l’un des sites magiques et secrets du grand Djurdjura
Promenade près de Goulmim, le plus haut lac d’Algérie
© El Watan .com/Djamel Alilat, Jeudi 24.04.14
Jusqu’aux années 70’, Tamda Uguelmime, comme on l’appelle localement, était l’un des frigos de la Kabylie. On venait à dos d’âne ou de mulet y chercher des blocs de glace dans des crevasses ou au fond de ravins où elle se conservait jusqu’à la fin de l’automne. Cette glace était ensuite vendue dans tous les villages pour faire des sorbets ou conserver la viande consommée à l’occasion des fêtes et des mariages.
Dérangée par notre présence alors qu’elle s’abreuvait à un ruisseau, une buse féroce, c’est son nom scientifique, nous fixe d’un regard perçant avant de battre lourdement des ailes dans un ciel d’un bleu insolent. Il est près de 10 heures du matin, mais le soleil commence à peine à réchauffer le versant nord de Tikjda, station climatique du Djurdjura sise à quelque 1500 mètres d’altitude. Partis du chalet Bleu, sis à Tighzert, nous marchons depuis deux bonnes heures. L’avancée est pénible. Nous quittons souvent la piste boueuse pour couper à travers des sentiers étroits qui n’en finissent pas de monter. Nos chaussures s’enfoncent dans la neige ou la terre gorgée d’eau avec un bruit d’éponge pressée. La fonte accélérée des neiges fait que l’eau suinte de partout, ruisselle gaiment avant de former des torrents rugissant au fond des vallées.
Hamouche, un jeune sportif natif du coin est notre guide de randonnée. C’est lui qui est chargé de nous mener jusqu’au but ultime de cette randonnée pédestre : le lac Goulmim, situé à 1700 mètres d’altitude, ce qui en fait le lac le plus haut d’Algérie. L’un de ces sites magiques et secrets du grand Djurdjura inconnu du grand public car situé en dehors des grandes pistes touristiques.
Pareille expédition demande quatre à cinq heures de marche à l’aller comme au retour. Il convient aussi d’être bien équipé, de prévoir une paire de solides godasses, de bons mollets, des poumons qui ne soient pas trop encrassés, et un guide de montagne expérimenté. Pour le déjeuner sur l’herbe tendre, il faut impérativement ramener des victuailles et se garder de laisser derrière soi sa poubelle. C’est le minimum pour oublier, l’espace d’une journée, la pollution et les embouteillages et le stress des villes sales et surpeuplées.
Paysages bucoliques sur fond de pics montagneux
En ce samedi printanier, deuxième jour de week-end, la station de Tikjda est prise d’assaut par des hordes de citadins assoiffés d’évasion. Nous ne sommes donc nullement fâchés de laisser derrière nous cette agitation et ce tintamarre qui ne conviennent guère à cet endroit classé réserve naturelle. Après une heure de marche, les dos sont en sueur et le souffle se fait saccadé. Mais le premier col franchi nous offre déjà une première récompense : paysages bucoliques de vaches ruminant placidement dans des prés sur fond de pics montagneux et de cimes neigeuses. Tout le monde veut prendre sa photo de vaches ruminant sur fond de montagnes enneigées à publier sur Facebook.
Pour faire croire qu’on a passé le week-end en Suisse. Les vaches, elles, n’apprécient que modérément ces étranges créatures munies de boîtes bizarres qui lancent des flashes. Elles se montrent pressées de retourner à leur fonction de tondeuses à gazon. Petite halte dans la belle prairie d’Alma Nath Reggane d’où l’on peut découvrir différents sommets comme Tamgout n Lalla Khedidja à 2308 mètres d’altitude, Ras Timedouine ou encore Tizi n Tsenant.
Les touristes qui s’aventurent sur ces sommets sont toujours surpris de voir des vaches paître sans berger, en toute liberté. En général, ils mettent le pied dans un monde dont ils ne connaissent pas grand-chose. La semaine passée, Hamouche, notre guide, a rencontré un petit groupe d’Algérois qui fuyaient à toutes jambes. Questionnés sur la raison de cette fuite éperdue, ils avaient répondu qu’ils ont entendu des chacals japper et décidé de rebrousser chemin précipitamment. Habitués des documentaires animaliers et des films d’action, ils pensaient avoir affaire à des loups affamés prêts à les dévorer.
Un lac peuplé de rainettes vertes
Au bout de quatre heures de route à flâner en chemin pour admirer le paysage, nous atteignons enfin le fameux lac. Il forme une grande cuvette au fond d’une petite vallée enserrée entre trois pics montagneux. Le reflet du ciel azur, des roches, les pelouses alpines qui l’entourent qui contrastent avec les étendues de neige, tout cela forme un panorama d’une très grande beauté. Un tableau vivant et continuellement changeant. Le lac vaut vraiment toutes les peines que l’on se donne pour arriver jusqu’ici. On se sent transporté dans un autre monde. On prend plaisir d’en faire le tour et de le découvrir sous tous les angles accompagnés par le chant des rainettes, car le lac abrite une très importante colonie de ces charmantes bestioles vertes dont le concert de chants peut enchanter ou agacer le visiteur. C’est vraiment une chance que l’endroit soit éloigné des grands circuits touristiques. Cela a permis jusque-là de le préserver de la pollution telle qu’on peut la voir à Aswel, Tikjda ou d’autres sites de montagnes.
Pause déjeuner sur l’herbe tendre. Nous profitons du lieu autant que possible avant de reprendre le chemin du retour par le col de Tissegui. La fatigue se fait sentir plus encore en fin de parcours. Une randonnée en montagne est l’occasion idéale de reprendre contact avec la nature, la faune, la flore et ce milieu fragile et vulnérable qui demande respect et attention.
Cependant, ce tableau idyllique recèle des pièges qui peuvent être mortels. Il faut un connaisseur pour affronter la haute montagne qui est un monde à part, avec ses propres règles. Cela peut être fatal de les ignorer.
Des touristes imprudents ont déjà été victimes d’un brusque changement de temps, une tempête de neige, un orage, la montée d’un brouillard qui désoriente, une chute dans un ravin, une avalanche, une chute brutale de la température, la tombée de la nuit. On peut facilement se perdre en chemin et se faire surprendre par la tombée de la nuit avec des températures qui descendent en dessous de zéro. C’est pour cela qu’il ne faut jamais s’aventurer sans guide en montagne.
Jusqu’aux années 70’, Tamda Uguelmime, comme on l’appelle localement, était l’un des frigos de la Kabylie. On venait à dos d’âne ou de mulet y chercher des blocs de glace dans des crevasses ou au fond de ravins où elle se conservait jusqu’à la fin de l’automne. Cette glace était ensuite vendue dans tous les villages pour faire des sorbets ou conserver la viande consommée à l’occasion des fêtes et des mariages.
«Nous ramenons nos déchets dans nos sacs à dos»
Pour Yahia Aouali, guide de montagne de Haïzer et botaniste amateur, la montagne n’a pratiquement plus aucun secret. Il est le président de l’association Mimouna qui organise des activités de ski, d’escalade et de protection de la nature. «Nous sillonnons le Djurdjura d’un bout à l’autre», dit-il. Il a fait plusieurs fois le circuit du lac Agoulmime avec des jeunes de son village ou des touristes. «Nous avons commencé nos randonnées en 2006 avec comme objectif la reconquête des espaces dont les terroristes s’étaient accaparés. Nous avons patiemment balisé le sentier qui y mène. N’importe qui peut y aller de Haïzer en suivant les flèches que nous avons peintes sur les rochers de manière bien visible pour le randonneur», dit-il.
L’association au sein de laquelle Yahia active milite également pour la protection de l’environnement et de la nature. «Nous ramenons nos déchets dans nos sacs à dos et, souvent, les déchets des autres. Nous évitons les sorties de piste et, personnellement, il m’arrive de mentir pour protéger certaines plantes médicinales que les gens arrachent en grandes quantités et par la racine», dit encore ce grand amoureux de la nature qui se consacre presque exclusivement à sa passion de la montagne depuis qu’il a pris sa retraite.
Autrefois, le lac Goulmime, raconte Yahia Aouali, était un passage obligé sur le sentier muletier qui permettait le troc entre les populations des versants nord et sud du Djurdjura. De Haïzer, nos concitoyens partaient chargés de blé, d’orge, de sel ou de piment rouge et revenaient avec des bijoux, des produits de beauté ou des produits manufacturés. Yahia, qui est aussi l’herboriste de l’association, a répertorié plus de 250 de ces plantes médicinales dont les anciens se servaient pour se soigner.
Aujourd’hui, la piste qui mène de Tikjda jusqu’au lac a pratiquement disparu faute d’entretien, raconte Yahia. Il poursuit : «Je suis heureux qu’aucun véhicule ne l’emprunte, sinon il y a longtemps que le lac serait devenu un dépotoir d’ordures.» Tant mieux, car le lac ne se donne à voir qu’aux vrais amoureux de la nature. L’intarissable Yahia nous raconte une dernière anecdote : «Certains Algériens pensent que cette beauté n’existe pas chez nous. Un jour, à Tipasa, un jeune qui admirait mes photos m’a dit : ‘‘Pourquoi
vous nous montrez des photos de l’Himalaya ?’’ Montrez-nous plutôt des photos d’Algérie.»
(c) Djamel Alilat