COMMUNICATION – ETUDES ET ANALYSES- PRESSE ECRITE -MILIANI HADJ (I/V)
LA PRESSE ECRITE EN ALGERIE
POSITIONNEMENTS MEDIATIQUES ET ENJEUX LINGUISTIQUES
© Par MILIANI Hadj, Université de Mostaganem – CRASC/2013
Résumé
Cette étude s’astreint à analyser les développements des supports journalistiques écrits
au regard de leur distribution linguistique. Après avoir établi un état des lieux de la
presse écrite en Algérie, cette recherche met notamment en exergue les discours
d’évaluation et de compétition de quelques journaux. Il s’agit de déterminer la
manière dont ces discours se manifestent et soulignent des postures au sein du même
groupe linguistique et par rapport aux autres expressions linguistiques. L’analyse
suggère que, peu à peu, les oppositions linguistiques servent à la fois à gagner les
adhésions idéologiques des lecteurs et des positionnements économiques pour chacun
des titres de presse.
Mots-clefs : Presse écrite - El Watan - El Moudjahid - Le Quotidien d’Oran - La
Tribune - Echourouk -
Abstract
This study attempts to analyze the developments of journalistic media written with
regard to their linguistic distribution. After establishing a state of the art of the written
media in Algeria, this research highlights mainly the discourse of evaluation and
competition of some newspapers. It is to determine the manner in which these
discourses manifest themselves and stress postures within the same linguistic group
and compared with other linguistic expressions. The analysis suggests that, little by
little, the linguistic objections serve both to gain ideological membership of readers,
and the economic positions for each of the media titles.
Keywords: Written media - El Watan, El Moudjahid - Le Quotidien d’Oran - La
Tribune - Echourouk -
TEXTE
La presse écrite et les médias en Algérie connaissent un développement
indiscutable ces dix dernières années. En effet, ils représentent de plus en plus un
support essentiel de la communication sociale et culturelle. Les pouvoirs publics et les
entreprises privées qui interviennent dans ces secteurs entretiennent une collaboration
évidente, mais sont également en compétition pour contrôler, maîtriser ou s’approprier
des segments importants du marché de la presse et des outils médiatiques liés aux
nouvelles technologies de la communication1. Si l’enjeu économique est patent, celui
des usages des langues est un facteur déterminant. Cette importance tient au fait que
ce sont des secteurs qui connaissent le plus d’investissements des langues écrites et
parlées dans l’échange, la consommation et l’expression culturelle et sociale. De ce
fait, ils présentent l’avantage d’être des observables essentiels pour tenter d’évaluer la
réalité d’un plurilinguisme dynamique et de mesurer les caractéristiques les plus
marquantes de ce qui se définirait comme une forme de pluriculturalisme.
Cette étude met en exergue la part la plus visible du dispositif structurel et
économique de la presse dans son articulation avec les langues en présence en Algérie.
C’est dans ce contexte que nous considérons que la lecture de la presse et les usages
de l’Internet profilent, entre autres, des pratiques qui mettent en concurrence des
langues et des univers culturels et sociaux2 . Ces pratiques définissent par conséquent
une composante essentielle du paysage de la diversité culturelle en Algérie3 et
déterminent de nouveaux espaces publics/privés d’expression :
Techniciens de la mondialisation ou simples acteurs-participants, à la fois
producteurs et consommateurs, les uns et les autres constituent à leur échelle des
communautés qui, à l’image des grandes multinationales, sont interstitielles,
fluides, fondées sur l’échange de communication, autant de traits qui constituent
une définition très minimale d’un "espace public". (Anderson, Eickelman, 2009 :
28)
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NOTES : 1 / Dans le secteur de la presse, la grande majorité des quotidiens sont détenus par des SPA à capital privé,
alors que les médias dits ‘lourds’ ( télévision et radios) sont détenus par les pouvoirs publics.
2 / Le sujet est d’actualité et fait débat ; lire à ce sujet l’article de Belkacem Ahcène-Djaballah, « Presse
écrite, radio, télévision, affichage en Algérie : multiplicité des langues et chocs des langages », Le
Quotidien d’Oran, jeudi 9 septembre 2010, ainsi que celui de Belkacem Mostefaoui, « Deux décennies de
presse privée algérienne : pléthore de titres et tentation de marchandisation », El Watan, 5 juillet 2011.
3 / L’enjeu que représentent aujourd’hui les médias, pour les politiques linguistiques, est d’autant plus
important qu’ils font l’objet, de la part des institutions chargées de promouvoir la langue arabe en
Algérie, comme Le Conseil Supérieur de la Langue Arabe, de réflexions et de rencontres («Le rôle des
médias audiovisuels dans la diffusion de la langue arabe littéraire», juillet 2008 ; «Le travail de proximité
dans la promotion de la langue arabe», décembre 2009 ; «L’utilisation de la langue arabe dans la presse
écrite», mars 2010). Le Haut Commissariat pour l’Amazighité a organisé, pour sa part, un colloque les
30-31 mai 2011, à Boumerdès, sur le thème : « Les médias, la langue officielle et la langue maternelle en
Algérie : entre prééminence et résistance. Cas de Tamazight ». Signalons également le workshop
international : « les langues de moindre diffusion sur le web : numérisation, normes et recherches »,
organisé par le Centre National Pédagogique et Linguistique pour l’Enseignement de Tamazight - MEN
algérien, les 26 et 27 octobre 2011.
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Il sera également question du dispositif particulier de la presse algérienne dans son
positionnement concurrentiel dans lequel interviennent autant les facteurs
linguistiques qu’économiques. Ce dernier aspect, souvent méconnu, nous incite à
examiner quelques manifestations de cette légitimation de l’image de certainstitres de
presse dans un processus qui est à la fois conflictuel et performatif.
LA PRESSE ECRITE : UNE CONFIGURATION HETEROGENE ET DYNAMIQUE
Le développement de la presse est un des indicateurs les plus significatifs quant
à la singularité du champ médiatique algérien et un cas intéressant de profils
linguistiques en compétition. Il se révèle, depuis une vingtaine d’années, comme un
des secteurs culturels qui a le plus bénéficié de l’ouverture démocratique de la fin des
années 80, et un des segments de l’industrie culturelle qui s’est ouvert le premier aux
investissements privés nationaux. Cette dynamique a mis en perspective une forte
diversification tant dans les orientations idéologiques que dans les contenus. Les
sondages et statistiques autour de la production et de la vente de presse sont
relativement fournis, mais se révèlent plus axés sur le processus commercial que sur
l’impact culturel. Ils ont l’inconvénient pour certains d’entre eux d’être commandités
par les organes de presse eux-mêmes, et d’être commentés souvent dans un esprit de
valorisation et de promotion du journal. La compétition linguistique entre organes de
la même langue ou entre périodiques francophones et arabophones cache à peine des
considérations prosaïques de parts de marché et d’hégémonie commerciale4. Souvent
seuls les tirages sont mentionnés alors que l’on ne dispose d’aucune indication fiable
sur les invendus. Néanmoins, nous pouvons estimer qu’avec certains de ces chiffres,
nous disposons des ordres de grandeur qui permettent d’observer des dynamiques qui
sont tout à fait instructives. Il est de ce fait essentiel de situer l’évolution de la presse à
la fois au plan quantitatif et qualitatif et de montrer la distribution linguistique qu’elle
donne à voir5. Avant le développement de la presse privée à partir de 1989, celle-ci
était représentée en Algérie par 50 titres pour un tirage de 750 000 exemplaires. Près
de vingt ans plus tard, en 2008, elle l’était par 291 titres dont les tirages moyens
quotidiens étaient de 2,43 millions d’exemplaires (APS, El Watan et le Soir d’Algérie
du 23 avril 2008). Ce qui est particulièrement remarquable est que, dans cet ensemble,
la part des quotidiens représente un peu plus du cinquième des titres : 65 quotidiens
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NOTES : 4/ Ahcène-Djaballah montre, par exemple, l’enjeu des retombées publicitaires pour le secteur de la presse
et des médias en 2010: « on s'est retrouvé avec un marché publicitaire qui a littéralement explosé (200
millions de dollars et près de 400 agences de publicité dont une dizaine domine le lot et toutes liées aux
grandes compagnies internationales comme Dentsu, Publicis, Havas, Mc Cann, EuroRSCG…), avec
l'ouverture économique et l'installation de compagnies étrangères en Algérie, tout particulièrement celles
de la téléphonie mobile, de l'agro-alimentaire et de l'automobile » ( Le Quotidien d’Oran, op.cit., p.11).