Livresque
Les auteurs algériens orphelins de distinctions
Ressusciter le Prix national des lettres ?
Par © Rachid Hammoudi/Horizons , mardi 14 janvier 2014
La culture peut se développer et fleurir davantage avec l’institution de prix et de distinctions qui récompenseraient et encourageraient les créateurs.
Aujourd’hui, ces formes de reconnaissance n’existent presque plus dans notre pays. Hormis le prix Ali-Maachi attribué le 8 juin à l’occasion de la journée nationale de l’artiste, peu d’organismes consentent encore à distinguer le talent d’un auteur. Créé en vertu d’un décret présidentiel en 2006, le prix Ali-Maachi est destiné aux jeunes créateurs de moins de 35 ans. Le premier prix est fixé à 500.000 DA, le second à 300.000 DA et le troisième à 100.000 DA. Au-delà de l’aspect financier souvent honorifique, un prix rend plus visible un titre et suscite l’envie de lire. Par la valorisation du travail et de l’effort de l’écrivain ou du chercheur, le savoir acquiert une-plus value sociale.
Expérience avortée
Pourtant, il fut un temps pas si lointain où même l’association des libraires choisissait le meilleur des ouvrages parus sur la place d’Alger. En 2006, il échut à l’ouvrage « Le livre de l’Emir » de Wassiny Laradj. De nos jours, l’absence de tels prix se fait cruellement sentir. Lors de récentes journées littéraires à Oum El Bouaghi, en hommage au chercheur et universitaire l’Abou El Kassem Saâdallah, l’idée d’instituer un prix annuel en son nom figurait en tête des recommandations. Cette situation est d’autant plus regrettable et paradoxale qu’au détour d’une dépêche de l’APS, nous découvrons qu’un ouvrage écrit par Ahmed Tahar Ben Mohamed, un ancien enseignant de lycée à Mostaganem, a décroché « le prix de traduction en Algérie » en… 1942. Une distinction destinée alors à récompenser un ouvrage consacré à un poète populaire. Souvenons-nous. Tous les premiers romans parus dans les années 50 ont reçu des prix qui ont dû être des encouragements à des écrivains comme Dib, Feraoun ou Mammeri qui débutaient alors leur carrière. L’auteur du Fils du pauvre s’est vu remettre, le 5 avril 1951, le prix de la ville d’Alger pour ce premier roman. Une année plus tard « La Grande maison » de Dib se voit attribuer le prix Feneon. Les prix ont continué à exister après l’indépendance mais ils se sont progressivement effacés du paysage. En décembre 1964, un prix national a été décerné à titre posthume à Frantz Fanon. L’Union des écrivains, deux années plus tard, a récompensé Dib et Mohamed Laid El Khalifa d’un prix qu’il est peut être opportun de ressusciter. En 1969, le ministère de l’Information et de la Culture avait créé le prix Rédha Houhou récompensant la meilleure nouvelle en langues arabe et française. Plus tard, en 1991, dans le sillage de la naissance de sa fondation, le regretté Noureddine Abba avait décerné un prix à Mounsi, Tahar Djaout et Malika Mokedem. L’initiative, comme tant d’autres, a fait long feu. Une association en Kabylie avait plus récemment créé le prix Tahar Djaout qui sera attribué deux fois avant que l’homme qui en eut l’idée, sans crier gare, ne disparaisse dans la nature. La fondation Dib constituée en 2001 n’a pas fait mieux. Le prix qu’elle avait remis à quelques auteurs comme Habib Ayoub et Benachour ne fait plus parler de lui. Les hommes de théâtre, les chanteurs lors de festivals organisés çà et là obtiennent encore des prix, la littérature est par contre totalement oubliée. Le romancier Merzak Bagtache, distingué à Alger le 17 du mois dernier par l’association « El Kalima » a eu raison de déplorer l’absence de prix littéraires algériens « permanents ». Il n’est pas rare de lire que tel ou tel auteur s’est adjugé un trophée dans des pays étrangers qui honorent leur talent mais nul n’étant prophète chez soi, les écrivains algériens demeurent peu considérés et reconnus dans leur pays. De nombreuses distinctions décernées à des romans algériens, dont celui de Samir Kassimi Yaoum Raiya Lilmawt » (belle journée pour mourir), premier roman algérien d’expression arabe à obtenir un prix mondial en 2010, traduisent la vitalité de la littérature algérienne. Une œuvre récente de Wassiny Laradj « Assabi’e Lolita » a été distingué du Prix de la création littéraire arabe, attribué chaque année par la Fondation de la pensée arabe à Beyrouth (Liban). Assia Djebbar, Yasmina Khadra ou Boualem Sansal ont également obtenu des prix prestigieux.
La vraie considération
Contrairement à des pays moins nantis, nous ne possédons pas un prix national. Même une association comme El Djahidia a baissé pavillon. Certaines associations à l’échelle des wilayas continuent heureusement d’honorer des artistes, des hommes de lettres, qui se sont distingués sur la scène locale et nationale. Parmi les lauréats récompensés récemment à Djelfa, il est à citer le poète Amdjad Mekaoui pour son recueil de poésie « Un peu de silence suffit », ainsi que le romancier Abdelwahab El Aissaoui, auteur de « Cinéma Jacob » qui avait déjà obtenu le prix Ali Maachi. « La Tempête du démon », un roman écrit par Khellil Hachlah, et « Le vent de la solitude », un recueil de poèmes épiques de la poétesse Hamida Miloud ont été également primés. Dans le domaine de l’histoire, la distinction est revenue à Slimane Kacem pour son livre consacré à « l’histoire de la wilaya VI, depuis sa création jusqu’à la fin de Belounis ». Il serait judicieux de créer déjà à l’échelle des villes des prix. Il nous plaît d’imaginer et de rêver d’un prix que les édiles d’Alger remettrait par exemple à Samir Toumi qui, par son récent roman « le cri », a sublimé la ville. Un tel prix avait existé du temps du CPVA. La wilaya de Béjaia a-t-elle un jour songé à honorer un Djoudi Attoumi qui a tant écrit sur l’histoire de la région ? C’est au prix d’une vraie considération que des chercheurs, qui peinent à entretenir la mémoire, à enrichir notre imaginaire, cesseront d’être marginalisés. Les organismes publics devraient rompre avec cette politique facile des hommages sans lendemain et conforter par des prix la création qui fait honneur à la culture dans ses diverses expressions (poésie, roman, théâtre, conte, recherche….). L’Union des écrivains algériens, le HCA, le Haut conseil de la langue arabe, diverses fondations et des journaux qui naguère contribuaient à l’éclosion de nouveaux talents ont le devoir de s’ébrouer. La télévision et la radio peuvent aussi choisir et élire les meilleures œuvres. Ils peuvent susciter une dynamique qui stimulera la production. Elle peut avoir un effet plus bénéfique que les journées d’étude budgétivores. Il est significatif que le dernier prix littéraire attribué à Alger ait lieu sous l’egide de Sofitel Hamma Garden, en partenariat avec la délégation de l’Union européenne en Algérie. Sarah Haïdar avait remporté le prix du Premier roman « Virgules en trombe » et Habib Ayyoub a remporté le prix de l’auteur confirmé, pour son récit « Le Remonteur d’horloge ». Cet évènement existe depuis 2009, et il est organisé, chaque année, dans l’un des hôtels de la chaîne. Des chèques avaient été remis aux vainqueurs. Des chercheurs algériens comme ces lauréats de la 3e édition de « Scopus Awards » se sont vus récemment distingués pour leurs performances en sciences exactes. La direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique en partenariat avec la société néerlandaise Elsevier a retenu 12 chercheurs dont deux femmes pour le prix « Scopus Awards ». Des villages propres ont obtenu des prix et des concours pour le quartier vert ont été relancés. Songera-t-on un jour aux écrivains ?
R. H.