PAYSAGE MEDIATIQUE NATIONAL(II/II)
Par Belkacem AHCENE-DJABALLAH,
Pr. associé à l’ENSJSI (ahdjab@gmail.com)
-Au secteur privé …..puisque « l’aventure intellectuelle » commencée en 90 est terminée et l’on en est en train d’aborder une autre étape , avec l’argent – roi et où les Spa sont en train de remplacer , peu à peu , les Sarl du départ
De toute façon , il ne faut pas oublier que les méthodes rigoureuses de gestion économique des entreprises de presse ont mis 10 années avant que les règles ne s’imposent aux Usa , et 20 années en Europe .
En Algérie , avec la libéralisation du marché de la presse écrite et avec l’ouverture du marché à la presse étrangère ( depuis 1998 pour la presse périodique et 1999 pour la presse quotidienne ) , la généralisation de l’Internet, le règne des Ntic , et la concurrence de l’audio-visuel satellitaire étranger, les choses se sont accélérées. Le champ de la presse écrite paraît déjà saturé .Paraît seulement ! Car il reste encore des créneaux vierges …..dont celui de la presse périodique spécialisée et , aussi et surtout , celui de la presse régionale et locale .
Pour la presse périodique spécialisée , les difficultés sont liées d’abord et avant tout à la rareté des moyens d’impression adaptés (couleurs , formats spécifiques, délais ) et aux coûts de production encore très élevés . Il y a , aussi, l’inexistence de journalistes spécialisés et de publics assez larges ou restreints demandeurs de produits de grande qualité, pour permettre la rentabilité .
Le dernier champ a été le moins exploité , certainement à cause de la concentration des imprimeries de presse à Alger (9) avec celles d’El Watan -El Khabar et de l’Authentique) , à Constantine (2 dont celle d’El Watan-El Khabar) , à Oran (3 dont celles du Quotidien d’Oran et d’El Watan-El Khabar) , à Ouargla depuis 2008 et de journalistes professionnels expérimentés au niveau de ces mêmes villes . De plus , il y a encore , bien ancrée , cette propension (des éditeurs beaucoup plus que des journalistes) à mépriser le « local », et l’information de proximité, et ne vouloir faire que du national, de l’international , ainsi d’ailleurs que du commentaire et de l’analyse . Et ce, pour des raisons évidentes liées à l’influence politique , politicienne et affairiste .
LA NOUVELLE ERE !
Depuis la loi relative à l’Information d’avril 90, qui a libéralisé le champ et, jusqu’à la fin des années 90, la scène médiatique a été occupé surtout, pour ce qui concerne la presse écrite et la publicité, par ce que l’on pourrait qualifier de journalistes « indépendants », un vocable qui cache, en fait, des entreprises créées et gérées par un ou plusieurs journalistes, pour la plupart issus du secteur public, et qui tentaient « l’aventure intellectuelle », avec l’espoir de réussir commercialement. On en est vite arrivé à plus de 250 titres et à plus de 400 agences de publicité et de régie publicitaire, à quelques dizaines de sociétés de production audio-visuelles et à une dizaine, sinon plus, de sociétés de diffusion de la presse.
La presse écrite publique s’est rapidement trouvé quasi-totalement écartée du marché.
Certains journaux de statut privé ont connu un certain succès, avec l’aide, au départ désintéressée, il fallait le croire, d’entreprises n’ayant rien à voir avec la presse : une aide en matériels informatiques (à l’époque ,un micro-ordinateur ou une PAO, c’était cher et rare), parfois en locaux, souvent en publicité, et pourquoi pas en un peu d’argent. A l’image de ce qu’a fait l’Etat, au départ, en 90 - 91 !
La suite est une autre paire de manches : On s’est vite aperçu, l’expérience aidant et les ambitions ou les calculs divers apparaissant sur la scène politico-économique, les partenaires désintéressés d’hier se sont sentis concernés par les affaires de la presse qui pouvait « rapporter » soit de l‘argent directement, soit une parcelle de pouvoir ou d’influence indirectement.
Il est vrai que, pour les journaux qui réussissaient, les formes de management et de gestion quotidienne devaient obligatoirement changer, ce qui n’était pas une mince affaire pour des gens habitués à écrire et non à compter.
On a donc vu des sortes « d’infiltration » dans les directions des entreprises. Les exemples sont connus !
Juste après (l’insécurité ambiante de l’époque ne favorisant pas la stabilité et la vigilance des rédactions, les journalistes les plus expérimentés obligés de se cacher ou de s’exiler, faute de moyens de protection appropriés, le Conseil supérieur de l’Information étant supprimé), on passa à une autre démarche faite d’appropriation d’une bonne partie du capital (on augmente le capital et l’on obtient ainsi la majorité des actions !). Seuls résistèrent les journaux à composante multiple faite de journalistes dont les statuts ne permettaient pas aux actions de sortir, en tout cas facilement, du collectif originel. Cette appropriation était d’autant plus aisée que la plupart des nouveaux « gros investisseurs », surtout les industriels ou de « gros » commerçants détenaient des parts du marché de la publicité. Certains d’entre-eux, étant arrivés tardivement, ont contourné le processus en s’en allant créer leur propre agence de publicité et de régie (première source de financement de la presse) ou en s’associant, entre autres, avec des multinationales occidentales ou arabo-asiatiques comme Havas, Rscg , Publicis, Dentsu, Mc Cann , MMC DDB ou en facilitant leur entrée sur un marché porteur et prometteur (ex : Karoui et Karoui, Decaux mobilier urbain et affichage)….
Depuis 1999, on assiste à l’accélération du mouvement, non encore de concentration, mais surtout d’appropriation –par « OPA » déguisée - de la totalité des capitaux .Pis encore, les hommes d’affaires et les affairistes créent leur journal (et leurs entreprises de communication, surtout publicitaires ou de diffusion) ….avec l’aide, toujours d’un journaliste ou d’un groupe de journalistes, ces derniers obligés qu’ils sont, alors sans statut et la loi relative à l’Information inappliquée, de « chercher du travail » et tout heureux de le trouver en ces temps de gros chômage, comme pour faire pendant à l’Etat qui, d’ailleurs, pousse à cela ou se tait ou laisse faire, au nom de la liberté d’entreprise et de l’économie de marché ou, tout bêtement et tout simplement, en guise de « punition » (sic !). Les exemples sont connus! Des entreprises industrielles ou commerciales privées sont souvent citées dans les « cafés de commerce »….. Par ailleurs, les partis politiques ne sont pas en reste et, après l’échec, durant la première étape quant à la création de journaux partisans et affichant franchement (ou presque) leur couleur politique, ils créent, par le biais d’entreprises SARL commerciales et d‘ « hommes-écrans », des journaux (surtout des périodiques) qui défendent leurs orientations (après tout, l’Etat a , aussi, ses EURL (devenues des EPE/SPA) , les cinq quotidiens plus exactement).
C’est là, pourrait-on dire, un développement logique ou naturel. Autre temps, autres mœurs !
Ce qui l’est bien moins, c’est que toutes ces appropriations s’effectuent avec l’aide directe ou indirecte de l’Etat, qui trouve son compte pour éliminer les gêneurs, qui peut mieux manipuler les rédactions à l’approche d’élections par exemple, d’autant que le marché des abonnements institutionnels et celui de la publicité (institutionnelle et aussi celle venant de gros annonceurs privés, surtout les partenaires étrangers qui n’osent pas aller à l’encontre des desiderata du pouvoir en place….ou qui, pour certains d’entre - eux , découvrant la force de leur « force de frappe » financière et commerciale « jouent » au Réd – chef, une manie « bien de chez nous » remise à la mode ) sont « entre ses mains » .
Ce qui l’est bien moins, c’est que la plupart des nouveaux propriétaires de la presse sont beaucoup plus des « affairistes » que des « hommes d’affaires », , car ils n’hésitent pas à mettre au service de leur mercantilisme économique et politique égoïste et à court terme, le contenu et l’orientation de leurs journaux, les faisant bien souvent virevolter.