CULTURE- ETUDES ET ANALYSES, ARTS PLASTIQUES, ARTS MUSULMANS, DESIGN 2011 - ABROUS MANSOUR (II/III)
L’Annuaire artistique de l’Algérie 2011
Directeur de la rédaction : Mansour Abrous
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E-mail : mansour. abrous@gmail.com
Objectifs : Fondé en 1998.
La Culture : Invention de l’échec (Extraits. Pour texte complet voir auteur))
- Circonstance de parole
Au forum culturel d’El Khabar, en mars dernier, les intellectuels traitent de
« La problématique de la culture en Algérie ». Ils s’accordent à dire que
« le clientélisme et l’étendue du phénomène des alliances politiques
empêchent la mise en place d’un projet culturel réel et capable de relancer
ce secteur en panne ». Ils relèvent aussi que l’intellectuel algérien ne crée
pas « d’espaces de dialogue » et n’a « aucun sens de l’initiative » Des
initiatives, il en existe pourtant, sous forme d’étude - recherche ou de
regroupement. Elles ne laissent pas indifférentes les autorités de tutelle. La
preuve en est, qu’elles réagissent à leur tour, par communiqué, alors
qu’elles étaient traditionnellement économes de réponse à leurs détracteurs
ou leurs contradicteurs. Ainsi, à une interview de Ammar Kessab chercheur
et expert en management culturel48, qui « pointe du doigt les failles de la
gestion d’un secteur en perte de vitesse », dans son rapport 2011 sur la
politique culturelle en Algérie, notamment « l’action de la société civile en
matière de culture (…) réduite à néant » et « la « nationalisation » des
événements culturels »; le ministère de la Culture envoie un complément
d’information - à distinguer subtilement d’une mise au point - publié par la
presse nationale une semaine après. Il acquiesce à certains éléments
d’analyse dont celle de « la relance effective de l'action culturelle à partir
des années 2000 », ajoutant qu’elle a permis « aux artistes algériens et aux
centaines d'associations de trouver des opportunités permanentes pour
mettre en valeur leurs créations et le produit de leur travail ». Il s’inscrit en
faux contre l’assertion « l'action de la société civile a été réduite à néant »,
rappelant que « grâce aux festivals institutionnalisés, c'est la société civile,
notamment les artistes de tout le territoire national, qui agit, travaille et
produit ». Le document insiste à deux reprises sur « la transparence et le
contrôle de la gestion des deniers publics ».
Une réunion d’artistes, d’universitaires, d’écrivains et d’intellectuels, a lieu
à Alger, le 17 décembre. Elle est qualifiée de « première rencontre sur la
politique culturelle en Algérie ». C’est une initiative qui avait pour objet de
discuter de la situation culturelle du pays et d’élaborer une plateforme de
recommandations. Le ministère de la Culture ne commente pas l’initiative.
La nature du pouvoir algérien est de refuser à la société civile le droit de
construire son avenir sur des principes démocratiques. Dans « Route de
feuilles », le responsable de la page culturelle d’El Watan est critique. Il
« applaudit », puis est interrogateur sur la forme de l’initiative « rendezvous
ou appel préalable », « feuille de route ou recommandations déjà
rédigées », il est ensuite dubitatif sur le fond en recommandant « plus de
communication entre professionnels des arts et de la culture ». J’attendais
de la sympathie automatique et de l’appétence pour ce regroupement, une
forte adhésion intellectuelle pour les initiatives de la société civile, car
l’idée première de cette réunion était, avec « le plus grand nombre » (cela
ne se décrète pas dans un pays fragilisé par les ukases), de parler de
« situations culturelles concrètes ».
- Eveils périphériques
Il y eût l’idée, à l’occasion de l’ouverture du musée d’art moderne et de la
rénovation de la cinémathèque, de créer un « véritable pôle culturel au
coeur de la ville ». Seraient venus s’agréger à ces deux établissements
culturels, le potentiel culturel et intellectuel de proximité (la cinémathèque,
l’université, les librairies, les salles de cinéma, le théâtre national…). En
favorisant la réhabilitation des lieux, en mettant de la méthode et de la
concertation et en y insufflant un investissement productif, le pari était de
voir « ce programme de réhabilitation de la fonction culturelle du centre-
ville (…) dynamiser, du même coup, les autres fonctions ». Aujourd’hui,
le musée d’art moderne équivaut, dans son fonctionnement actuel, à
l’activité d’une galerie d’art. Un projet « avorté ». L’architecte en chef du
projet déplore « Le vrai MaMa n’a jamais été livré », sacrifié pour les
besoins d’un agenda politique et de « Alger capitale de la culture arabe »54.
Il est attendu d’un musée d’art moderne et contemporain, qu’il puisse
disposer des ressources, d’un mode de gestion et de fonctionnement, qui lui
permettent d’être un conservatoire du patrimoine artistique national, de
créer et d’enrichir les collections, de développer la recherche, de rendre
accessible les oeuvres d’art et les promouvoir auprès des publics. Il n’y a ni
réserves d’art, ni collections, ni budget pour favoriser une politique d’achat
d’oeuvres d’art. Ce musée que l’on voulait voir rayonner, ouvert sur la ville
et sur le monde, un lieu de création et de diffusion, va fermer pour travaux.
Si dynamique il y avait, elle sera enrayée; paralyser par la même ce qui
aurait pu faire « vie » dans ce centre-ville sans âme, sans propreté, sans
projet.
Constantine fondait également des espoirs légitimes d’avoir, en tant que
capitale régionale, son pôle culturel, composé d’une bibliothèque, une
médiathèque, une grande salle d'exposition, une salle de conférences, une
bibliothèque pour enfants et d’ateliers culturels spécialisés. A l’exception de
la nouvelle école des Beaux-arts qui a été affectée aux étudiants et au corps
pédagogique, le calendrier de réception des travaux du reste des
infrastructures est ignoré de tous. La capitale de l’ouest algérien bénéficie
d’une bénédiction atrophiée. Le musée d'art moderne, promis depuis
quelques années, est dans une impasse. La bâtisse affectée au projet, si
l’affectation est avérée, est en état d’abandon56.
- Enclavement singulier
La circulation des oeuvres suscite la colère et l’indignation de nombreux
artistes, ulcérés que « leurs oeuvres (…) considérées comme patrimoine
national, (soient) frappées du sceau d’interdiction d’exportation ou
d’importation ». Ils réclament l’intervention du législateur pour « légiférer
en faveur des artistes peintres et de tous les artistes en général », le vide
juridique est source « d’arbitraire » des douanes et de l’administration57.
Amor Driss Lamine Dokman revendique le droit de voyager « L’artiste (…)
doit sortir, voir ce qui se passe, se mettre en contact avec d’autres artistes,
se frotter à d’autres expériences, c’est important que l’artiste bouge ». Il
regrette les contraintes imposées aux plasticiens pour sortir des oeuvres à
l’étranger « il y a deux solutions : soit une exposition temporaire, soit une
exposition définitive. La première : on fait sortir des oeuvres mais on n’a
pas le droit de les vendre, et cela ce n’est pas du tout intéressant pour un
artiste, puisque celui-ci vit de ses oeuvres. La deuxième : les faire sortir, les
vendre et ramener leur valeur en Algérie, on a un délai de six mois
renouvelable. Or, le problème qui se pose est qu’au niveau des banques,
l’artiste (plasticien) n’existe pas (et n’a pas) le droit d’avoir un compte
bancaire commercial ». Il exige le respect et la reconnaissance des
artistes58.
- Dictature des festivals
Il faut se concentrer sur l’essentiel, à savoir le naufrage de l’entreprise
« Culture » qui tourne à vide, et fait bilan en s’appuyant sur l’existence de
plus d’une centaine de festivals, qui fédèrerait, paraît-il, autour d’eux la
société civile consentante, les artistes, les créateurs, les intellectuels. Les
manifestations et sit-in des acteurs culturels dans un certain nombre de
régions d’Algérie érodent ce mythe de l’adhésion à une politique culturelle
consensuelle. Dans le complément d’information adressé par le ministère de
la Culture, en réponse à l’interview d’un universitaire59, il est rappelé que «
ces festivals et les activités culturelles, programmés au niveau local, sont
organisés en coordination et concertation avec les associations culturelles
ainsi qu'avec les femmes et hommes de culture (…) (et) a, par ailleurs,
permis aux artistes algériens et aux centaines d'associations de trouver des
opportunités permanentes pour mettre en valeur leurs créations et le
produit de leur travail ». La presse s’est emparée de cette accroche
promotionnelle et en fait le coeur du bilan culturel national. El Moudjahid
célèbre, dans son bilan 2011, « La désormais succession quasi
ininterrompue de festivals diversifiés et variés, de manifestations et autres
rencontres étalées sur tout le territoire national, (qui) a donné au large
public une palette de produits et une offre culturelle assez consistante pour
satisfaire et combler les goûts et les désirs de citoyens qui ont vite fait de
renouer avec les exigences d’une vie culturelle digne de ce nom »61. Jeune
Indépendant estime que « L’existence des festivals a investi et bouleversé le
champ culturel national, lui donnant plus de vie, de régularité, de
continuité et de présence ». Le projet culturel d’un pays est-il mesurable à
l’existence de festivals ? Que fait-on (ou qu’a-t-on fait ?) de la création
artistique, la gestion du patrimoine, les industries culturelles, l’éducation et
l’enseignement artistique, la sensibilisation et l’accès à la culture et le
développement des publics ? Manifestement, en jachère, ces dossiers
semblent être la préoccupation de la Ministre pour les années à venir. Elle
prédit « une offre de service élargie aux différentes couches de notre
population, le soutien à la création, le renforcement des collaborations
entre acteurs, la formation et la sensibilisation »63.
- La langue du futur
Etre en garde et éveillé pour le futur ! La constitution du patrimoine
national exige une présence, une vigilance, une prospective, un
investissement sans relâche. Je crains que faute de politique d’acquisition
sereine ou agressive, des séquences entières de notre histoire contemporaine
soient menacées, absentes des collections nationales pour les générations à
venir, pour qui voudrait les découvrir, les admirer, les étudier, les valoriser.
Aujourd’hui, et depuis une dizaine d’années particulièrement, un
déséquilibre est manifeste dans la politique d’achat des oeuvres d’artistes
algériens. Nos institutions achètent peu. Les institutions étrangères font
main basse sur les oeuvres d’artistes algériens vivant ou non à l’étranger. Le
décompte établi par mes soins révèle que plus de 150 institutions dans le
monde, nonobstant les collectionneurs privés, ont dans leurs collections des
oeuvres d’artistes algériens contemporains. Elles sont de fait autant
d’oeuvres soustraites au patrimoine national et éloignées du regard de nos
compatriotes. La Tate Modern de Londres a acquis, en 2010, les moules de
l’installation de Kader Attia qui représente le ksar de Beni Isguen. Cette
année, le musée de Doha, présentait une partie de sa collection d’art
contemporain, dans une exposition intitulée « Sajjil : A century of modern
art », avec des oeuvres de Mohamed Racim, Abdellah Benanteur et Rachid
Koraïchi. L’assemblée nationale française vient d’acquérir une oeuvre de
Djamel Tatah pour sa collection. Le Centre Pompidou à Paris recense les
artistes contemporains algériens et prospecte pour enrichir sa collection
d’art. Une galerie parisienne présentera, au mois de janvier 2012, une
rétrospective de l’oeuvre de Abdellah Benanteur, et une monographie de
l’artiste sera publiée64. Deux questions : quelle est notre politique
d’acquisition actuelle (crédits engagés, commission d’achat, institutions
acquérantes, modalités d’inscription au patrimoine national) ? Quelle
transparence peut-on développer autour de cette politique d’acquisition ?
Cinq étreintes et le goût du bonheur :
- L’école des Beaux-arts de Mostaganem secoue son destin, se prend en
charge, innove, rassemble, écoute, s’entoure, produit, grâce à une équipe
pédagogique consensuelle, généreuse, vaillante, emmenée par un directeur
entreprenant. Les « Rencontres de Mostaganem » sont un récit fondateur.
En marge de la culture officielle, ces nouvelles actions culturelles
contribuent à dessiner des lieux de production culturelle et de diffusion,
oeuvrant pour l’émergence de nouvelles pratiques artistiques en relation aux
populations et aux territoires. Ces rencontres témoignent de l’ambition de
créer un « vivre ensemble » fédérateur, créateur de mémoire, une nouvelle
centralité culturelle, plus ouverte sur la cité, ses habitants, ses ressources
artistiques, ses élites universitaires. Pour mémoire, les deux rencontres de
juin et de décembre, l’une en hommage aux martyrs de Nekmaria, l’autre
pour débattre de l’art contemporain. C’est également la reconnaissance des
aînés, et ce fût le cas avec l’encadrement d’un atelier d’art monumental par
Denis Martinez au profit des élèves de l’école régionale de Mostaganem.
Retrouvailles émouvantes certes entre les élèves, aujourd’hui pédagogues,
et l’enseignant, mais sa disponibilité pour le pays « afin de perpétuer cette
confrontation d’idées ».
- L’art auquel j’adhère est un art porté par l’échange, le débat et les
créativités libres où l’espace public (places, rues…), apparaît comme
support d’inspiration artistique et scène de représentation pour les artistes.
Ce type d’événement artistique a besoin de « faire événement ». La
démarche de monstration indique une capacité à s’inscrire dans l’espace
social. L’échange culturel Béjaïa - Haute-Normandie, inauguré le 18 juillet,
est au coeur de l’espace public. Saïd Atek a animé un atelier de peinture
d’une quinzaine de jeunes plasticiens, dont des élèves de l’école des Beaux
arts d’Azazga, qui ont réalisé les décors d’une compagnie de théâtre « C’est
une expérience graphique étonnante. C’était étonnant de voir autant
d’engouement et d’implication. En général, les ateliers, c’est deux heures
et demie d’expression mais on a vu des jeunes, présents du matin au soir,
en train de travailler et ne pas lâcher un seul moment d’expression. J’étais
un élément presque observateur ».
- Pour rappeler l’éditorial de Abdou B., le 26 mai dernier, dans Le
Quotidien d’Oran, et étayer son propos « D’autres ont pris le chemin de
l’exil, de l’oubli, du déracinement. Certains ont parfaitement réussi dans
leur art, s’expriment et rayonnent pour le bonheur et le plaisir des citoyens
des pays où ils se trouvent et où ils ont planté des racines, des habitudes,
des amitiés dans un environnement propice à la culture et ouvert sur le
monde », saluons le lieu de culture inauguré par Graïne Olivier Abdeslam
au coeur de Köln (Allemagne), comprenant atelier, salle d´exposition,
d´étude et de conférences. Cet espace culturel est « un point de ralliement
des artistes et intellectuels qui refusent le diktat et le formatage de
l’esthétique de l’omnipotent marché de l’art mondialisé ». Ce lieu - non
délocalisé - aurait fait exister une autre Algérie, une conception autre de
l’art et de la culture, plus citoyenne, avant-gardiste, incluse dans le monde,
l’incluant à son tour67.
- La culture algérienne profite de fidèles compagnons virtuels, formidables
amplificateurs d’audience pour la création et les créateurs. Le site internet
Esprit Bavard écoute avec soin les pulsations de la vie culturelle, donne la
parole et la restitue en publiant « Textes et images, l’Algérie autrement
dite, autrement vue ». Son éditrice Khadija Chouit aime à préciser son
ambition, sa marque de fabrique « créer un lieu de réflexion, d’échanges
d’idées, de créativité (…) de passer en revue l’actualité socioculturelle en
Algérie, mais autrement, en empruntant des chemins de traverse, en évitant
les évidences, les idées reçues ».
- La perception de l’aggravation de l’empreinte humaine sur notre pays est
une réalité. Une dizaine d'artistes plasticiens68, artistes professionnels et
enseignants des arts plastiques dans des établissements scolaires, s'est
regroupée autour de l’exposition « Recup’Art ». Ils ont traité de « l'écologie
et les déchets ». Madjid Guemroud explique le concept « Avant d'être
artiste, on est d'abord un citoyen et le problème des déchets touche tout le
monde. Ces tableaux interpellent le citoyen en lui indiquant que le déchet
peut trouver une autre vie et de surcroît devenir quelque chose de beau. De
ce fait il y a un travail à faire au niveau de l'école afin d'apprendre à
l'enfant dès le jeune âge de récupérer, manipuler, avoir la notion du
toucher pour reconvertir le déchet »69. Le but affirmé de ces artistes est de
considérer l’éducation artistique comme une nouvelle proposition éducative
d’intervention dans la formation, en direction du public jeune, pour ouvrir
la « culture scolaire » à la réalité environnante notamment de création.