COMMUNICATION - ETUDES ET ANALYSES - NOUVEAUX MEDIAS - AGENCE APS (I / II)
50è anniversaire de l'APS: Colloque international - Alger, 27 et 28 novembre 2011
Intervention de Maâzouz Rezigui sur l'Agence et les nouveaux médias. Extraits
Du modeste bureau de 1961 à Tunis, au building de verre qui lui sert aujourd’hui de siège, du stencil et de la ronéo de la courte période de ses premiers débuts dans l’exil, au desk informatique et au service d’information on line du temps présent, l’APS (Algérie Presse Service) n’a pas cessé d’évoluer et de se développer.
L’agence de presse nationale qui fête ces jours ci, son cinquantenaire, demeure toutefois confrontée à de nouveaux défis qui de toute évidence, engagent à terme, le maintien de sa place et de son rôle en tant que « média des médias » et de « grossiste de l’information » dans le paysage médiatique national .
A l’instar de ce qui s’est passé durant la décennie pour ses homologues dans le monde, l’APS doit continuer à s’adapter aux mutations technologiques, économiques et politiques qui imprègnent l’activité des médias depuis le début de ce siècle.
Au stade actuel de son développement, la gageure à tenir par l’agence, ne concerne pas tant la mise à niveau des infrastructures et des équipements, elle porte beaucoup plus sur la diversification des produits et des services en direction d’une nouvelle clientèle.
*Avec l’accélération du développement d’internet en cours dans notre pays, l’agence doit s’attendre à une rude concurrence de la part de nouveaux acteurs sur le marché des médias . Elle devra faire face à l’émergence accrue des nouveaux médias, propulsés par les possibilités qu’offrent les TIC et l’informatique en matière de segmentation et de personnalisation des services d’informations d’actualité, en plus bien sur du cout réduit de la diffusion numérique, et de ses avantages liés à l’instantanéité , à l’interactivité et à la couverture planétaire. Pour cela, l’agence de presse est appelée à s’orienter davantage sur une démarche basée sur la demande au lieu qu’elle s’en tienne à une approche de son marché uniquement à partir de l’offre de services proposés aux médias et autres clients traditionnels.
L’APS, tout comme nombre d’autres agences de presse nationales, est déjà passée par une situation critique dans les années 90, et pour ce qui la concerne en particulier, du fait seulement de la libéralisation de l’activité de la presse écrite ( internet n’existait pas encore en Algérie). La multiplication des titres de journaux qui auraient pu constituer autant de clients potentiels, a joué surtout comme une diversification des sources d’information, et donc une possibilité de choix élargie, ce qui s’est traduit par une perte d’influence notable de l’agence.
Ainsi, au moment même où l’établissement de service public avait le plus besoin de ressources pour se moderniser (au début des années 90, un premier plan d’informatisation venait à d’être entamé), il perdait ses clients, y compris des clients institutionnels qui ont résilié leurs contrats d’abonnement au fil APS.
Comme quoi le financement public n’est jamais assuré de manière inconditionnelle, les subventions publiques souvent insuffisantes, parfois tardives, seront toujours mesurées à l’aune de l’impact obtenu ou attendu du média. Les pouvoirs publics peuvent, le cas échéant, se désintéresser de l’agence défaillante et lui préférer d’autres sources d’information alternatives plus efficaces et moins onéreuses. Une précision, à propos de la réduction de revenus de l’APS au début des années 90, ce n’est qu’à partir de 1998 qu’un plan de réhabilitation et de consolidation a été envisagé par les pouvoirs publics, afin de tirer de la précarité ce média lourd du service public de l’information.
*Le rappel des considérations qui précèdent avait pour objet de souligner la nécessité de diversification des contenus et services que la nouvelle donne d’internet a imposé aux agences de presse n’ayant d’autre choix que de s’adapter au nouveau modèle de collecte et de diffusion des informations.
Ainsi, le sujet de notre intervention : « l’APS face aux nouveaux médias » est replacé dans son contexte de transition vers un nouveau modèle d’agence. Il sera développé à travers deux axes de réflexion :
1/ Les enseignements à tirer de l’expérience internationale qui nous permettra d’évoquer les stratégies internet et multimédia qui ont été suivies tant au niveau des agences mondiales que des celui des agences nationales ( Ex. de Reuters, de l’agence multimédia LUSA , et des agences maghrébines)
2/ L’appréciation des données qui prévalent dans l’environnement immédiat de l’APS, et cela en pleine phase de déploiement de l’ambitieux programme « e Algérie 2013 » et à la veille d’une libéralisation imminente de l’activité audiovisuelle, aux radios, télévisions et autres providers privés. C’est sous cet éclairage qu’on tentera d’évaluer les possibilités d’adaptation de l’Agence au paysage médiatique et au marché des nouveaux médias en voie d’émergence dans notre Pays.
Donc, une démarche marketing pour parler de l’avenir de l’entité APS, appréhendée comme une entreprise opérant sous le régime du pluralisme de la presse et au sein d’un marché concurrentiel, une démarche qui nous semble parfaitement compatible avec la mission de service public ainsi qu’avec le maintien et la consolidation de la structure existante avec son métier de base : l’information générale sur l’actualité.
*Définition : les nouveaux médias
On entend généralement par « nouveaux » médias différentes forme de communication électronique s’appuyant sur la technologie informatique. Le terme implique la transmission de données entre les ordinateurs et les médias d’où les données sont extraites. Comme exemples de nouveaux médias on peut citer :
-internet, les sites web, les cybercommunautés ou réseaux sociaux tels que face book et twitter,
-le téléphone portable, tablette (« IPAD »)
-les DVD et les CD ROM.
La sophistication des TIC (voir les fonctionnalités du WEB 2.0) autorise des fonctionnalités très puissantes notamment de personnalisation ou de configuration du message et de collecte d'informations en ligne par des agences de presse, qui fournissent les rédactions des médias abonnés.
II / Internet : une menace ou une chance historique pour l’avenir des agences de presse
1/ Les agences en situation de crise à la fin des années 90
A la fin des années 90, les agences de presse connaissent une situation désastreuse, à telle enseigne qu’on parle de crise .La multiplication et la globalisation des réseaux de télécommunication par satellite, réduisent considérablement et le temps et le cout de la collecte et de la diffusion des informations. L’ancien modèle étant battu en brèche. Les agences n’avaient pas suffisamment de ressources pour pouvoir profiter des nouveaux couts, car il fallait s’informatiser et investir dans les infrastructures.
La pression d’internet aggravera les choses, avec la prolifération de sites web incluant la diffusion d’informations d’actualité, émanant tant de sites d’informations (des médias ) que de sources d’informations (entreprises et institutions), avec l’inapplication des droits de copyright et la porte ouverte à la cannibalisation des sites qui s’ensuivra au détriment des agences . Conséquences de cette situation : des agences subissent une crise financière dangereuse, certaines d’entre elles risquant la fermeture.
Lors d’un atelier organisé en 2001 par l’UNESCO sur l’avenir des agences nationales, le professeur Oliver Boyd-Barrett ( Phd) de l’Université d’Etat Polytechnique de Pomona ( Californie) explicite dans son diagnostic les préoccupations majeures qui caractérisent durant ces années 90, la situation vécue par les agences nationales.
Faible potentiel de croissance des recettes (un chiffre d’affaires limité, qui, pour le groupe des 39 agences européennes en 1999,se situe en moyenne autour 16, 5 millions d’Euros/ correspondant à un effectif moyen 200 salariés dont 132 journalistes). Commentaire de l’auteur du rapport : « certaines agences fonctionnent avec une culture qui ne conçoit qu’elles puissent être rentables, d’autres sont habituées à s’orienter vers l’Etat en cas de besoin financier ».Il poursuit : « ceci a des implications évidentes sur la disponibilités des ressources quand il s’agit de répondre avec rapidité et souplesse à des problèmes nouveaux résultant par exemple des mutations politiques , économiques et technologiques ».
Dans le même chapitre le rapport fait état de la structure des recettes par produits et par clientèle qui se présentaient de la façon suivante en 1999 pour certaines agences :
Répartition du CA par produits (en 1999) :
-ventes d’informations générales………………………………………………………… : 80%
- services d’informations spécialisés (banques de données, archives, pages toutes faites ) : 18%
-services techniques …………………………………………………………………... : 02%
Répartition du CA par clientèle (en 1999) :
-presse écrite .………………………………………………………………………..…: 51%
-médias électroniques………………………………………………………………… : 27%
- clients hors médias *………………………………………………………………… : 22%
*Au sein des agences concernées on considérait que la part des clients hors médias devait augmenter.
2/ Internet et la remise en cause du modèle de l’agence confinée dans le rôle exclusif de grossiste
Le marché des médias est travaillé par de nouvelles tendances chez les clients traditionnels des agences.
On relève en premier lieu les premiers signes de la régression de la presse papier avec la réduction des titres et une concentration dans de grands groupes de presse qui ont tendance à créer leur agence maison.
Effets de la mondialisation financière, les conglomérats internationaux moins sensibles aux besoins nationaux, s’intéressent peu à la gamme d’informations d’actualités locales fournies par les agences nationales. Dans le sens inverse il y a le risque d’une présence directe des agences mondiales qui sont désormais en mesure de se placer sur des marchés d’information nationaux alors qu’avant elles passaient par le partenariat des agences nationales pour vendre leurs fils par.
L’ancien modèle central, dans lequel les agences fonctionnaient comme grossistes vendant à d’abord à des détaillants, les médias est également remis en cause. Avec internet les agences ont commencé à s’intéresser au potentiel de la distribution directe aux consommateurs à travers une multitude de services en ligne .Ce qui est mal perçu par les clients détaillants qui se considèrent court-circuités par leur fournisseur .
Dans le cas des agences au statut de coopérative, la tension est parfois très grande entre les cadres de l’agence et les propriétaires des médias membres de la coopérative.
De plus en plus, l’important est de se positionner comme fournisseur le plus compétitif d’actualités aux sites web. De ce point de vue là les agences de presse peuvent s’avérer les mieux placés parmi les médias, pour réaliser des profits sur le marché de l’internet , la couverture actualité étant leur vocation originelle et leur métier de base . « Certaines d’entre elles bénéficiant déjà d’une expérience dans la production de photos, de sons, de représentations graphiques et d’images en mouvement qui s’incorporent facilement dans les vidéos et autres formats en ligne » .
Internet ne constituerait plus une menace mais une chance de développement pour les agences de presse qui s’engagent dans la diversification de leurs produits et services en ciblant les nouveaux médias.
3/La diversification des produits et services : stratégies de « l’agence 100% internet » et de « l’agence multimédia »
Donc, l’avenir des agences nationales de presse est dans la diversification des services et produits, la troïka des agences internationales (Reuters, AP, AFP) ont été les premières à réagir et répondre dès la fin des années 90, aux exigences de la société d’information.
En quoi consiste la diversification ?
C’est au premier lieu l’alimentation en actualités multimédias des sites web des clients, des programmes de radio et de télévision, des reportages spéciaux à la demande de la clientèle, des banques de données interrogeables à distance, la vente d’archives, des services d’informations économiques, sur les entreprises, des banques de données sur le développement local, la diffusion d’informations météorologique adapté à la demande.
La distribution pouvant se faire par abonnement ou bien encore selon des modalités d’accès variant avec la nature du service (accès gratuit avec possibilités de recettes publicitaires).
Les nouveaux médias « bousculent les médias traditionnels »
La diversification concernera surtout les nouveaux médias et le multimédia. Pourquoi ? Parce qu’internet est une source d’information qui grandit sans cesse.
En attestent les chiffres des tableaux ci-après.
-Les résultats d’une récente enquête par sondage réalisé CSA (France octobre 2011) nous montrent qu’une large majorité des internautes consultent l’information sur les portails d’internet (27%) , sur les sites des grands médias (32%) et 3% sur les blogs soit un total de 62% pour les médias numériques, contre 16% pour la TV , 15% pour la radio et 4% pour les journaux. Concernant les préférences internet se classe en premier pour la rapidité d’accès, et les sites médias premier vecteur d’une information sérieuse devant les journaux télévisés.
Un sondage réalisé en 2008 par l’observatoire du « PEW research center » nous révèle que les Américains ont davantage tendance à ouvrir les sites web plutôt que les journaux pour s’informer et cela dans la proportion de 40% contre 70% pour la TV. Le chiffre pour les sites web était de 24% seulement en 2007 et de 21% en 2006.
La même tendance se confirme chez les internautes des pays fortement numérisés (selon de récents sondages au Canada et aux USA) ainsi que ceux dans les pays tels que l’Algérie où l’internet se trouve encore au stade de média émergeant.
D’après un sondage du site web « Webdialna@ »internet serait la première source d’information des internautes algériens, loin devant les médias traditionnels. L’étude révèle que 74% des internautes algériens déclarent préférer internet comme outil d’information. Menée sous forme de sondage en ligne a duré quatre semaines (19 juillet au 21 aout 2010) et aurait touché 18 000 internautes à partir notamment de sites de presse , sites professionnels , et de sites pour jeunes.
Une autre étude d’audience menée par l’agence conseil « Média Sens » à la même période (entre le 17 et le 23 aout 2010), aboutit à des résultats assez proches des chiffres précités, et fait ressortir : les contenus les plus consultés par les 7000 internautes sondés, sont dans l’ordre : 1/ la messagerie :64,2% , 2/ « les informations et l’actualité » :60,8% , 3/ les sites de téléchargements :36,6% et 4/ les annonces : 25,1%.
Concernant l’usage du téléphone mobile en tant que nouveau média qui plus est permet la connexion à la toile, signalons , les résultats d’un sondage réalisé aux USA en mars 2011, par l’observatoire « PEW research Center » : 47% des Américains adultes utilisent leurs téléphones portables et leurs tablettes pour avoir des informations locales dont 13% au titre de l’actualité générale locale.
Ce type d’usage du téléphone portable a enregistré un taux de croissance de 17% par rapport à l’année précédente au détriment des audiences de tous les autres médias.
Les mesures d’audience se succèdent et les résultats se ressemblent. Ces derniers temps, à chacune des vagues d’enquête la publication des chiffres inspire à la presse des manchettes telles que : « Twitter bouscule le journal de 20h », « Twitter fait trembler les agences de presse ». Qu’en est-il au juste ?
Les agences fournissent la grosse part des news sur Internet
D’autres sondages ont déjà établi que les sites d’information les plus consultés par les internautes, sont dans leur grande majorité, des sites de médias traditionnels tels les grands titres de la presse écrite, d’agences, de TV et de radios.
En mars 2009 déjà, l’institut américain « Nielsen Online » publiait la liste des sites d’information les plus fréquentés aux Etats-Unis d’Amérique, dévoilant que les dix premiers étaient presque tous liés à de grandes entreprises telles que CNN et le New York Times.
Dans le « top ten » figuraient certes trois « entreprises internet » comme « Yahoo News », « AOL News » et « Google News » mais à partir de quelle source leur site est-il alimenté, si ce n’est à partir des agences de presse et des grands groupes de presse avec lesquels ils ont des conventions d’utilisation de contenus et d’abonnement. En vérité, les agences qui fournissent la grosse part du contenu d’actualité sur cette toile où l’on s’informe de plus en plus.
A signaler que les accords intervenus entre les Agences internationales et les majors de la toile ont été passés suite à de gros contentieux comme cela a été le cas entre l’AFP et Google en 2005. L’AFP a réclamé 18 millions de dollars de dédommagement pour atteinte à ses droits de copyright.
Traitant de la pression d’internet sur les agences, un article paru en 2009 dans « The Economiste » observait : « d’un coté les agences subissaient des pertes de revenus par des journaux en difficulté diminuaient leurs abonnements. La part des journaux dans les revenus d’une agence mondiale comme AP, est tombée à 25% en 2008 alors qu’elle représentait 55% , vingt ans auparavant.
Mais d’un autre côté, les sites internet sont affamés de contenus que souvent seules agences peuvent fournir analyser ».
Les agences ont revu leurs stratégies pour développer de nouveaux services pour compenser le manque à gagner des journaux.
En juillet 2000, Peter Job PDG de Reuters déclarait dans le rapport semestriel de la société : « Notre stratégie consiste à faire de Reuters une société 100% internet s’accélère …Alors que jusqu’ici nos clients se comptaient en centaines milliers nous serons maintenant capables de servir des dizaines, voire des centaines de millions de personnes. » .
Durant la même année Reuters annonçait qu’elle investissait 800 millions de dollars pour convertir le noyau de ses activités à l’internet.
Bien que l’activité d’Agence de Presse ne représente que 10% de son chiffre d’affaires, Reuters tient à cette identité, tout en réalisant l’essentiel de son CA ( 1 3,5 milliards de dollars en 2010) en tant que leader mondial (avec l’américain Bloomberg) de l’information financière .
Employant 2500 journalistes et présente dans 150 pays, l’agence Reuters se prévaut du titre de la plus grande firme mondiale d’informations multimédia.
En tant qu’agence généraliste, elle fournit ses services d’actualités en ligne et sous tous les types dE formats, dépêches, infographies, photos, vidéos.Ce qui est aujourd’hui le cas , non seulement des deux autres agences mondiales, Associated Press, et AFP, mais aussi des Agences moyennes telles DPA (Allemagne) , EFE (Espagne) , Ansa (Italie) et de la plupart des agences nationales , dont certaines développent le journalisme multimédia à travers des expériences novatrices à l’exemple de l’agence LUSA au Portugal et de ses kits multimédias.