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Presse écrite - Période coloniale

Date de création: 27-09-2011 12:56
Dernière mise à jour: 27-09-2011 13:05
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COMMUNICATION - ETUDES ET ANALYSES - PRESSE ECRITE - PERIODE COLONIALE

Par Mohamed Arezki Himeur - Journaliste
Djiri Magazine, mai 2011, Alger (Extrait)

Ce n’est pas une anecdote ou une blague à la mascarienne. Après avoir été la capitale de l’Émir Abdelkader - pour ne pas remonter trop dans le temps - puis le berceau de l’excellent «jus de raisin» préféré de Bacchus, ensuite la terre fertile de la pomme de terre, après l’arrachage de la vigne décidée, à fin des années 1960, sous le règne du président Houari Boumédiène, Mascara fut aussi une ville ayant vu pousser, comme des champignons, de nombreux journaux durant la période coloniale. Le réveil, Le Progrès, Le Petit mascarien, L’Avenir de Mascara, L’Impérial, La Liberté, La Tribune, Mascarien, Le Caméléon, etc. faisaient partie des titres fondés dans cette ville de l’ouest algérien.
À des centaines de kilomètres de là, un petit village côtier de Kabylie, Tigzirt, avait son canard, Le Réveil de Tigzirt (1896), un hebdomadaire tiré à quelques dizaines d’exemplaires, destinés aux premiers colons ayant jeté l’ancre dans le coin, en détruisant les vestiges antiques pour construire leurs maisons. Ce qui fera écrire à un de leurs coreligionnaire, à la fin du 19ème siècle, Mr Boissier, que «trois siècles de domination turque ont fait moins de mal aux ruines de l’Algérie que les soixante années de domination française qui viennent de s’écouler.»
Le village mitoyen de Dellys, qui fut pendant les premières années de la colonisation, la rampe de lancement, la plaque tournante de la soldatesque coloniale, lâchée comme une nuée de sauterelles sur la Kabylie du Djurdjura, comptait, lui aussi, une gazette : L’Étoile de Dellys (1921). Ce fut le cas aussi pour Ménerville (actuel Thénia) où furent édités, entre autres, Le Réveil (1923) et L’Avenir (1921). Du côté du versant sud du Djurdjura, la presse locale fut florissante.
L’ancien fort romain d’Auzia, actuel Sour El-Ghozlane (Aumale durant la colonisation), comptait plusieurs titres, dont Le Journal (1895), Le Réveil (1896), L’Écho (1908) et Le Courrier. Ce fut le cas aussi pour Bouira qui abritait Le Réveil de Bouira (1896), Le Réveil des colons (1896), Le Petit Bouira, Le Pauvre colon (1895) et Le Cèdre (1911). Ce dernier couvrait une zone géographique allant de Lakhdaria à Tazmalt, en passant, entre autres, par Bouira, Sour El-Ghozlane, Beni Mansour, M’Chedallah, Aïn Bessem et Dra El-Mizan.
On peut citer encore, à titre indicatif, le petit village de Rouiba (Le Progrès, 1896), Sédrata (L’Écho, 1923), Touggourt (Le Scorpion), Médéa (L’Écho du Sud, 1868, et Le Courrier de Médéa publié au 19ème siècle), Batna (L’Aurès et L’Écho du Sahara), Guelma (L’Avenir, Le Fouet, Le Courrier et La Marouna), Jijel (Le Patriote ,1895, Le Croissant Djidjellien,1921, L’Avenir,1932, La Lanterne, La Guerre aux abus, L’Impérial), Tébessa (Tébésien), Biskra (L’Avenir), Mostaganem (Le Petit Mostaganémois et Le Messager, 1890), Sétif (Le Réveil, 1884, Le Courrier et Le Progrès), Ténès (Écho ténésien) et Cherchell (Le phare de Cherchell).
Les petits faubourgs de Bab El-Oued et Bouzaréah et le village de Aïn Taya (à Alger) avaient, eux aussi, leurs périodiques. Ce fut le cas également pour Boufarik, Miliana, Aïn Témouchent, Mila et El-Eulma (ex-Satint Arnaud).
En fait, presque chaque ville ou village d’Algérie, où des colons avaient pris pied, en expropriant et en chassant de leurs terres les Algériens, disposait de son ou ses journaux (quotidiens, hebdomadaires, bihebdomadaires, bimensuels, mensuels etc.)
Les grandes villes de l’époque comme Alger, Oran, Constantine et les villages tels que Tizi-Ouzou, Bejaïa, Blida et Skikda avaient vu naître et disparaître une panoplie de journaux. Une quinzaine de titres furent lancés successivement à Tizi-Ouzou, dont Le Djurdjura (1885), Le Courrier (1885), Le Petit Kabyle (1886), La Kabylie pittoresque (1887), Le Réveil (1893), Le Montagnard de la Kabylie (1897), Kabylie, L’Écho de Kabylie (1914), L’Écho de Tizi-Ouzou (1921) entre autres.
De nombreux journaux furent édités à Bejaïa (ex-Bougie), dont Le Bougiote, L’Avenir, Le Phare, Bougie Soir, La Vérité, La Matraque, Le Canard, l’Oued-Sahel, Le Cri de Bougie et Le Blagueur. Il en fut de même pour la ville des roses. Blida comptait, en effet, de nombreux titres. Skikda, ex-Philippeville, figurait parmi les villages ou la presse locale fut très développée. Au moins une vingtaine de titres y furent édités, entre 1887 et 1939.

La presse au service de la colonisation

En 1866 déjà, le nombre de journaux édités en Algérie, s’élevait à quinze, sans compter quelques revues littéraires et scientifiques. Ils furent publiés essentiellement à Alger (6), Constantine (5) et Oran (4). Quinze ans plus tard (1884), le nombre grimpa à 74. Les plus anciens titres étaient Le Moniteur algérien (1832), journal officiel des autorités coloniales, et L’Akhbar (1839), également journal colonial, tiré, à ses débuts, sur une feuille pas plus grande « que deux fois la main.»
La grande majorité était éditée en français. Mais il y avait aussi une petite poignée paraissant en espagnol, tels que La Fraternidad et El-Putuet, et en arabe comme L’Akhbar, El-Mountakheb, Mobacher à titre d’exemples. Il y avait des journaux et périodiques de différentes catégoriques et tendances : politiques, partisans, coloniaux mais aussi sportifs, touristiques, humoristiques et artistiques. Certains avaient eu une existence éphémère : le temps d’une campagne électorale.
L’ensemble de ces titres, tous courants et tendances politiques et idéologiques confondus, menaient le même combat, poursuivaient le même objectif : coloniser le pays, s’approprier ses terres agricoles, s’accaparer ses richesses et asservir ses habitants. Leur point commun est qu’ils étaient faits par des colons, pour des colons, pour défendre la colonisation dans toutes ses hideuses facettes.
Quelques périodiques lancés par des Algériens, furent vite torpillés par des confrères, des colons et/ou leur administration. Le premier à vivre cette mésaventure fut El-Hack, un périodique fondé par de jeunes Algériens à Annaba (ex-Bône). Sa création avait été accueillie froidement, suivie d’une menace à peine voilée proférée par des journaux coloniaux.
«Nous souhaitons la bienvenue à notre nouveau confrère, à condition toutefois qu’il ne s’écarte pas du programme qu’il a publié», écrivait le bihebdomadaire La Gazette algérienne dans sont édition N° 61 du 2 août 1893. «En se renfermant purement et simplement dans les questions concernant le bien être et l’instruction des indigènes, les jeunes rédacteurs du Hack peuvent s’assurer la prospérité de leur publication», ajoutait La Gazette algérienne. El-Hack n’avait pu tenir face aux fortes pressions exercées sur lui. Il disparut des étals.
La presse fut utilisée comme arme de combat contre les «indigènes» et pour la colonisation. Après le lancement de L’Akhbar, un interprète arabisant français, Georges Voisin, de son vrai nom Thomas Urbain, écrivait : «nous avons créé un journal en langue arabe qui, deux fois par mois, porte les nouvelles officielles dans toutes les tribus ; c’est une arme puissante pour lutter contre les calomnies et les faux bruits qui étaient colportés sur les marchés hebdomadaires où se forme et se manifeste ce qu’on pourrait appeler l’opinion publique indigène.» (cf : L’Algérie pour les Algériens, Gorges Voisin, 1861).
Une année auparavant, un autre auteur défendait la même thèse. Celle d’une presse ayant joué un rôle important dans la colonisation de l’Algérie. «Personne, du reste, mieux que le ministre actuel de l’Algérie (Ndr : le prince Napoléon), n’est à même de reconnaître l’efficacité de la presse et d’apprécier la nature des services qu’elle est appelée à rendre en matière de colonisation», relevait Wilfrid de Fonvielle, dans son livre L’empereur en Algérie (1860). Huit ans plus tard (1868), Charles Desprez, écrivait dans Alger naguère et maintenant que «la colonisation (…) n’aura pas moins à remercier la presse que l’épée et la charrue de leur concours.»
Lors du 28ème anniversaire du débarquement de Sidi Ferruch, le 14 juin 1830, L’Akhbar s’était insurgé contre le fait que cet anniversaire ne fut pas célébré avec faste. «La France arborant en Afrique le drapeau du christianisme et de la civilisation, tout ce passé, tout cet avenir, toute cette sublime mission qui inaugurait le 14 juin 1830, c’est bien quelque chose dont notre nation peut-être fière. Ce jour devrait être fêté solennellement en Algérie. Comment se fait-il qu’il est passé inaperçu», s’interrogea-t-il.

Gutenberg dans un bivouac

La presse, comme le précisent les écrits coloniaux de l’époque, avait joué un rôle d’appui important à la colonisation. Ce fut son «bras écrit». D’ailleurs, le tout premier journal publié sur la terre algérienne avait vu le jour dans les bivouacs du corps expéditionnaire français à Sidi Ferruch.
C’était le 26 juin 1830, soit 13 jours après le débarquement du Maréchal de Bourmont et de ses troupes embarqués à bord de 500 bâtiments, 60 chalands, 150 chaloupes et 200 canots. Son titre : L’Estafette, devenue après la prise d’Alger, le 5 juillet, L’Estafette d’Alger.
Sa mission : donner les nouvelles de l’armée et de son avancée. Son éditeur, Jean Toussaint Merle, était venu - avec une imprimerie, deux compositeurs et deux imprimeurs - à bord d’un vaisseau de l’armada du Maréchal de Bourmont. Il était reparti le 7 juillet 1830 pour Toulon, son point d’embarquement, deux jours après la chute d’Alger.
M-J. Merle n’était pas seulement journaliste. Il était aussi le secrétaire particulier du Maréchal de Bourmont, selon Le Journal des débats politiques et littéraires (n° 981) du 23 mars 1943, édité à Clermont-Ferrand (France).
Deux tentes «suffirent pour abriter» l’imprimerie, écrira Jean-Toussaint Merle, qui introduisit la machine Gutenberg en Algérie, baptisée l’Africaine. Il présenta son journal comme «un bulletin de l’armée française.» Des cris à la gloire de la France et de son roi «éclatèrent quand on distribua à tout le monde les premiers exemplaires d’une relation de notre débarquement et de nos premières victoires», indiquait-il dans un livre intitulé Anecdotes historiques et politiques pour servir à l’histoire de la conquête d’Alger en 1830.
L’idée d’utiliser la presse pour soutenir la colonisation, comme il l’avait fait, lui, pour le corps expéditionnaire, fut reprise et employée, pendant plus de 130 ans, par les colons à travers le pays, dans tous les villages et toutes les régions où ils s’étaient installés, sur des terres confisquées aux «indigènes» algériens.
La grande majorité des journaux qui avait emboité le pas à l’Estafette, utilisait le même sous-titre : «pour la défense des intérêts de la région.» Il s’agissait, bien entendu, des intérêts des colons. Ceux des Algériens, des indigènes, comme on appelait les Algériens à l’époque, étaient ignorés, bafoués, inexistants. Certains journaux dénonçaient parfois des abus, d’autres prônaient le rapprochement avec les Algériens. Mais ils se gardaient de remettre en cause la colonisation, de scier la branche sur laquelle ils étaient assis, sachant qu’eux-mêmes faisaient partie de la colonisation de peuplement pratiquée à grande échelle en Algérie.
La presse nationaliste, venue un siècle après le début de la colonisation, pouvait difficilement faire contrepoids au rouleau compresseur de la presse coloniale mise en place depuis 1830. Il y avait eu plusieurs périodiques créés depuis cette date jusqu’à la veille du déclenchement de la guerre de libération nationale en 1954.
Leur existence fut éphémère, du fait des pressions et des interdictions exercées par l’administration coloniale. Certains disparurent au bout de quelques numéros seulement.