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Presse écrite en Algérie - Mobilité linguistique

Date de création: 08-09-2011 06:43
Dernière mise à jour: 13-04-2013 21:10
Lu: 3138 fois


COMMUNICATION - ETUDES ET ANALYSES - PRESSE ECRITE EN ALGERIE - MOBILITE LINGUISTIQUE

         


MOBILITE LINGUISTIQUE (FRANÇAIS -ARABE) DANS LA CONSOMMATION DE LA
PRESSE ECRITE EN ALGERIE, DE L’INDEPENDANCE A NOS JOURS :
 GLISSEMENT NATUREL OU INVERSION FORCEE DES TENDANCES
Par Belkacem AHCENE-DJABALLAH 
(Rédigée en juin 2011)
                                         



La rupture politique et idéologique née des « événements » d’octobre
1988 (une véritable Révolution allant dans le sens de la démocratie)
a forcé le pouvoir en Algérie à adopter une nouvelle Constitution
favorisant le multipartisme et la liberté d’expression, ainsi qu’une
nouvelle loi relative à l’Information (le 3 avril 1990). Cette
dernière a permis la naissance, en très peu de temps, de dizaines de
titres de presse écrite indépendants ( c’est-à-dire relevant du statut
juridique privé).
Avant avril 1990, il n’y avait qu’une cinquantaine de titres de presse
écrite, tous relevant du secteur public , c‘est-à-dire appartenant  à
l’Etat (ministère de l’Information  au départ puis, sur le tard, à la
fin des années 80,  ministère de la Communication) , au Parti unique
(Fln) et à ses organisations de masse  et à l’Armée, tirant à peine
650 000 ex/jour pour les 6 quotidiens existants  et 670 000 ex/semaine
pour le reste des périodiques, surtout des hebdomadaires.  Le  gros du
tirage était en langue française : 1 million d’exemplaires au total
pour 17 titres contre 520 000 ex pour les 25 titres en arabe, le reste
des publications étant bilingues.
Une tendance lourde et  des habitudes de consommation de l’information
et de lecture  au niveau de toute une génération ; habitudes héritées
de la période coloniale et qui perduraient malgré les tentatives
d’arabisation (du secteur éducatif et de la presse ) menées, bien
souvent au pas de charge, à partir de la fin des années 60 et du début
des années 70.
Après la promulgation de la loi 90-07 du 3 avril 1990, le paysage
médiatique , tout particulièrement celui de la presse écrite (et de la
publicité) allait donc connaître une véritable révolution avec
l’apparition de titres privés: En quelques mois , des dizaines de
titres allaient  paraître : 12 quotidiens en 1991 (dont 8 en français
et 4 en arabe seulement) , 18 (dont 8 en arabe seulement) en 1992 et
21 en 1993 (dont 13 en arabe). Les tirages des journaux en français
allaient rapidement « crever » le plafond en atteignant des tirages
dépassant les 100 000 à 200 000 ex/jour (El Watan, Le Soir d’Algérie,
Liberté), alors que ceux édités en arabe peinaient à trouver un
lectorat. Ainsi El Khabar, le premier titre quotidien privé a même
failli fermer ses portes en 1995-1996 n’eût été l’aide financière  de
l’Etat. Certains titres de langue française créèrent même des titres
périodiques d’informations générales en arabe , mais ce fut l’échec
rapide.
En 1996, sur les 85 titres , toutes périodicités confondues, la presse
tirait un total de 1 600 000 ex/jour dont les 3/4 étaient en français

Mi- 2010, sur les 299 publications  officiellement  autorisées tirant
4 500 000 ex/jour, les 78 quotidiens édités  sont arrivés à tirer ,à
eux seuls,  plus de 3,5 millions d’ exemplaires………dont plus de 2 500
000 ex en arabe (pour 4 quotidiens) et plus de 800 000 ex/jour pour
les 38 quotidiens francophones. Deux quotidiens en arabe (El Khabar et
Ech Chourouk sont arrivés à des tirages record de 1 à 1, 5 million
d’ex/jour lors de la phase finale de la Coupe du monde de football
2010 en Afrique du Sud, l’équipe d’Algérie s’étant qualifiée au dépens
de l’Egypte dans une ambiance plus que survoltée , révolutionnaire ,
ayant même créé une crise profonde entre les Etats et ayant fait
descendre dans les rues de toutes les villes  du pays durant plusieurs
jours et soirées des millions de citoyens , de tous âges et de tous
sexes. Du jamais vu  depuis le premier jour de l’Indépendance du pays,
avec une Algérie qui ne comprenait que 9 millions d’habitants alors
qu’aujourd’hui, il y en a plus de 30 millions.  Aujourd’hui, (2011)
les deux grands quotidiens arabophones tirent respectivement 500 000
ex/jour et 600 00 ex/jour rejoint par En Nahar El Djadid qui tire 250
000 ex/jour …alors que seuls trois quotidiens francophones arrivent à
se maintenir au-dessus de la barre des 100 000 à 200 000  ex/jour (El
Watan, Le Quotidien d’Oran et Liberté).
Que s’est-il donc passé entre-temps pour aboutir à une sorte
d’inversion et/ou  de déplacement des habitudes de consommation
….après  le début des années 2000 , vers l’année 2005 ?
Rappels :
I/  1988 :
 Presse francophone quotidienne largement dominante en nombre de
titres et en tirage. Six (6)  quotidiens tous propriété publique : 2
en français (tirant 500 000 ex/jour au total)  et 4 en arabe (tirant
100 000 ex/jour) : Total de 600 000 ex/jour
II/  1991:
Presse francophone quotidienne assez dominante en nombre de titres et
en tirage. Onze (11) quotidiens : 7 en arabe (avec 300 000 ex/jour) et
4 en français (avec 800 000 ex/jour) : Total de 1 100 000 ex/jour.
III/  2004 :
 Presse francophone quotidienne légèrement dominante en nombre de
titres et de tirage. Quarante-six (46) quotidiens  en 2004 : 20 en
arabe tirant 730 000 ex/jour et 26 en français tirant 780 000 ex/jour)
III/  2011:
Presse arabophone quotidienne largement dominante en nombre de titres
et en tirage. 91 quotidiens : 51  en arabe (2 200 000 ex/jour) et 40
en français (730 000 ex/jour)



I/ AU COMMENCEMENT,  L’INVERSION FORCEE
Pour bien comprendre les deux premières  périodes, durant lesquelles
le lectorat en langue française dominait avec des lecteurs formés à
l’école française et/ou francophone (durant la guerre d’Indépendance
ou durant la première décennie post -indépendance) ,  il faut remonter
à la période coloniale, tout particulièrement à la période de la lutte
de libération nationale .
Celle-ci est caractérisée, sur le sol algérien,  par un paysage
médiatique limité à des journaux d’information générale (édités sur
place ou importés de « métropole » ) , tous écrits en français . Le
système éducatif , dans son entier , était centré sur la langue
française ,avec quelques exceptions abâtardies d’enseignement en
langue arabe ( Belkacem Ahcene-Djaballah, étude  " Communication médiatique en Algérie: multiplicité des langues et chocs des langages ". Déjà paru dans Le Quotidien d'Oran, jeudi 9 septembre 2010)  .
A partir des années 60, le pouvoir politique en place, pour des
raisons assez politiciennes, a tout fait pour que son image publique
et son idéologie arabo-socialiste teintée d’islamité soit diffusée
aussi largement que possible auprès de masses pratiquant l’arabe
dialectal (ou parlé) sans pourtant l’écrire ou le lire et où
l’analphabétisme était encore important , dans un pays qui avait pour
langue de travail le français tant dans l’Administration que dans la
sphère économique…et où les lettrés en arabe académique (dit
littéraire)  formaient un groupe assez restreint activant surtout dans
les cercles culturels ..et politiques .
 La première cible fut l’Ecole et l’Université qui subirent une
arabisation « au pas de charge », presque imposée quels que soient les
conditions et les moyens à  partir des années 70. Ainsi, le début des
années 80 vit les dernières promotions francophones universitaires (au
niveau des sciences sociales  , administratives économiques,
politiques et humaines)

La seconde  cible , fut la presse, dès 1973, avec les quotidiens An
Nasr de Constantine, et de la République à Oran  qui furent totalement
arabisés, alors qu’ils connaissaient un grand succès.  Il y eut ,
aussi, devant la faiblesse des ventes des journaux quotidiens en arabe
(4 sur les 6 existants)  l’obligation, pour les annonceurs
institutionnels de publier leur publicité dans les journaux
arabophones d’abord .Sans tenir compte du tirage ou/et de la vente.
Puis vint la loi du 3 avril 1990 relative à l’information (article 6)
qui permit la création libre et sans autorisation préalable, de titres
de presse écrite en arabe alors que pour « les langues étrangères » il
fallait passer par l’avis du Conseil supérieur de l’information (une
instance administrative indépendante de régulation) … Il y eut aussi,
au début des années 90, l’aide financière étatique qui fut accordée
bien plus largement aux journaux en arabe qu’à ceux édités en
français.
I/ PAR LA SUITE,  LE DEPLACEMENT  NATUREL
L’arabisation quasi-intégrale de l’Ecole à partir des années 70 a
produit une masse de lecteurs, instruit en arabe (pour la plupart,
seulement) âgés de trente-trente cinq ans au plus au milieu des années
2000,  et masse qui forme le gros du lectorat des grands quotidiens de
langue arabe…..accompagné par de plus jeunes qui font la fortune des
journaux populaires (et bien souvent à scandales)  et sportifs (qui
ont fleuri). Le lectorat francophone , pour sa part , formé de
quinquagénaires et plus, a « pris  de la bouteille » et s’est rétréci
comme une « peau de chagrin », avec pour seuls renouvellements ou
apports nouveaux quelques lecteurs arabisants soucieux de s’ouvrir sur
« l’autre » ou voulant améliorer leur connaissance de la langue
française (encore dominante dans la sphère économique , industriel et
scientifique)….et, depuis quelques années, avec la révolution des TIC
(internet entre autres) l’arrivée, sur le marché des lecteurs, de jeunes
 portés sur les langues étrangères et peu soucieux de considérations
idéologiques ou nationalistes. Mais, tout cela ne fait pas des
évolutions rapides et conséquentes . La stagnation du lectorat des
quotidiens francophones est patente. Les lecteurs se « serrent  » de
plus en plus  autour de quelques titres-phares (une dizaine de
quotidiens …et , aussi, de quelques périodiques spécialisés (femmes,
économie , technologies de la communication, automobiles…) , sinon
bien moins, tout particulièrement dans les (grands) centres urbains
et autour des pôles humains économiques, industriels, scientifiques :
El Watan, Le Quotidien d’Oran, Liberté, Le Soir d’Algérie,
L’Expression, El Moudjahid, Horizons, Algérie News….. ).
Mais si, au niveau du tirage,   ils se trouvent désormais dépassés par
certains titres en arabe -  3 ou 4  : Echchourouk El Yaoumi, El
Khabar, An Nahar El Djadid , An Nasr -  , au niveau de l’influence
politique et économique, ils restent à l’avant-garde …..Ceci est bien
démontré par l’afflux encore  important (majoritaire) des annonceurs
publicitaires privés et publics….de plus en plus, tout
particulièrement depuis l’ouverture sur l’économie libérale et les
investissements étrangers en Algérie, soucieux d’efficacité et de
rentabilité.
En effet, la presse de langue française dispose (encore et pour
longtemps) d’atouts majeurs. Elle s’est placée (bien avant la
révolution du 5 octobre  1988 , avec ses journalistes ) et se place
toujours   en avant du processus de démocratisation. Elle a apporté et
apporte encore  une ouverture sur le monde. Surtout , c’est une presse
qui se veut être une véritable alternative, avec un « autre
journalisme » que celui habituellement pratiqué dans la presse de
langue arabe, mis à part quelques exceptions comme El Khabar (dont la
plupart des journalistes sont de très bon bilingues , de la génération
de 88 ).  Le français permet aux rédacteurs de s’exprimer plus
librement, de traiter de sujets plus sensibles,  voire « tabous » (
sexualité, religion, prostitution) . Cela est bien visible dans
d’autres pays maghrébins.  « Nous ne pourrions jamais aller aussi loin
en langue arabe » déclare un responsable d’un journal marocain
féminin.
Lire, comprendre le français, c’est non seulement la marque d’une
appartenance à une « élite nationale » mais c’est ,aussi, bénéficier
d’ « une fenêtre ouverte sur la modernité et la connaissance. ». Et,
de plus en plus,  revenir au français à l’Université reste, malgré les
tentatives de pénétration  de l’anglais, porteur d’avenir.
Rédiger en français, rappelle Gilles Kraemer (La presse francophone en
Méditerranée, Maisonneuve et Larose, Paris, 2002) , ce peut être aussi
un moyen de se protéger contre la répression éventuelle de son
gouvernement, bien que le bouclier ne soit  pas imparable . Publier en
français, estime l’auteur, c’est aussi bénéficier d’une influence
géopolitique beaucoup plus large en s’exposant sur la scène mondiale,
en accentuant la dimension internationale de ses opinions, et peut
être en engendrant un effet plus immédiat sur les acteurs économiques
et politiques. Enfin, évoquant la censure qui frappe certaines
régions, l’auteur considère les publications en français comme un
instrument privilégié de la liberté de la presse….et « elles ont un
avenir »
CONCLUSION
C’est ce qui a amené les titres francophones importants à revoir toute
leur stratégie commerciale, non pour élargir la clientèle ; mais
surtout pour mieux la fidéliser et la conserver le plus longtemps
possible….. en attendant que la ré -ouverture de l’Ecole à la langue
française initiée au début des années 2000, porte ses fruits …….vers
les années 2020, avec l’émergence de nouveaux lecteurs. Et, la
Révolution numérique en cours  , par Internet interposé,  ne fait
qu’accélérer le processus.




P.S : Il y a une autre raison , celle-ci éminemment politique, à l’ «
essor » du nombre de titres de langue arabe à partir du milieu des
années 2000 , phase préparatoire d’un troisième  mandat présidentiel
du Président Abdelaziz Bouteflika , dont les partisans préparaient
déjà une révision constitutionnelle permettant autant de mandats que
souhaité et les cercles affairistes sympathisants (souhaitant profiter
de la manne publicitaire qui avait cru à la faveur des gros
investissements publics. De  60 millions de dollars américains environ
en 1999 à 200 millions de dollars américains environ en 2010)  ont
créé des titres de presse, en français certes , mais surtout en
arabe…..tout particulièrement pour « toucher » les nouveaux publics ,
surtout populaires, jeunes et d’un niveau culturel moyen (secondaire)

 2 titres en 2004, 2 titres en arabe en 2005, 4 titres en 2006 (dont 2
en arabe et 2 en français) , mais 12 titres (dont 7 en arabe et 5 en
français) en 2007, 10 titres en 2008 (dont 6 en arabe et 4 en
français), 5 titres en 2009 (date de l’élection de A. Bouteflika pour
un troisième mandat, dont 2 en arabe et 3 en français ) , 7 titres
(tous en arabe) en 2010 et 8 titres en moins de trois mois en 2011,
dont 4 en arabe et 4 en français.…..
L’année 2008 (10 nouveaux titres) préparait l’élection présidentielle
de 2009 et des grandes manœuvres alors que  l’année 2010  (avec 7
titres) commençait à préparer soit un quatrième mandat de Abdelaziz Bouteflika lui-même  , soit la candidature  du frère du Président, en 2012 (selon des rumeurs persistantes, non vérifiées) . Mais, la « révolution
arabe » début 2011 a bouleversé tous les plans……Elle a , aussi,
ouvert, les portes de l’espoir à beaucoup d’autres ambitions.