CULTURE – ETUDES ET ANALYSES – ARTS PLASTIQUES, ARTS MUSULMANS, DESIGN 2010 – ABROUS MANSOUR, AUTEUR
(Troisième partie)
L’Annuaire artistique de l’Algérie 2010 (Fondé en 1998) - Un an / 1 numéro
Directeur de la rédaction : Mansour Abrous
Tél. : 06.85.18.77.47
E-mail : mansour. abrous@gmail.com
Objectifs : L’Annuaire des arts en Algérie se veut fidèle à sa
mission d’outil d’information et de source de références pour toute la
communauté artistique, les étudiants, les chercheurs et les praticiens.
« Ce qui est révolutionnaire, c’est le bouillonnement culturel permanent, et
c’est précisément pour cette raison qu’on l’empêche en Algérie » (Kateb
Amazigh)
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re-porter sur l’Etat la prise en charge, quasi-intégrale, de la culture. C’est un
modèle de politique culturelle très centralisé, souhaité, et son département
ministériel, de fait, concentre l’exclusivité des moyens financiers et des leviers
d’intervention (ressources humaines, équipements, législation, aménagement
territorial déconcentré…), sans contre-pouvoir d’aucune sorte.
Culture de l’émeute, émeute dans la culture ? El Moudjahid construit sa
théorie du bonheur national, fantasme un renouveau culturel national et
déroule la mercuriale des structures culturelles inaugurées, à construire,
réhabilitées ou en projection, dans les différentes régions du pays43. Une partie
de la presse (44) cède à la tentation du bilan positif et quelques articles s’échinent
soit à vanter la qualité de l’animation culturelle, littéraire ou à enregistrer le
nouveau dynamisme du secteur. Certes, il existe des infimes îlots de bonheur
culturel.
Toutefois, la réalité dans son ensemble est toute autre. Une instance officielle,
la commission de la culture et du tourisme de l'assemblée de wilaya de
Constantine, conclue son enquête effectué sur les centres culturels de la
wilaya (45) en ses termes « l'état des lieux a été jugé déplorable et laissant à désirer,
sur bien des aspects », révélant les difficultés de statut de ces structures victimes
de « chevauchements inextricables des prérogatives de plusieurs tutelles ».
La protestation contre la mauvaise gestion du secteur de la culture est dans
l’air du temps. Les actions des artistes sont nombreuses et s’expriment dans la
rue. Le discrédit est jeté sur les responsables locaux de la culture. A Bejaia, un
sit-in des artistes dénonce la gestion du secteur de la culture, « le mépris affiché
à l'égard des artistes de la région » (46), exige « une commission d’enquête sur la
gestion » (47) et « la suspension du directeur de la Maison de la culture » (48).
A Batna, des artistes occupent à plusieurs reprises le centre-ville de Batna pour
« exprimer leur marginalisation », dénoncer la gestion des établissements
culturels, réclamer le départ du directeur de la culture et exiger une enquête sur
l’utilisation des moyens financés alloués à la région (49). Ils condamnent l’accès
aux projets artistiques « distribués aux proches » et la non-participation des
artistes à la vie institutionnelle « écartés par toutes les instances culturelles de la
ville », le fonctionnement de l’école des beaux-arts les indignent (« Dans cette
école, les étudiants sont exploités, les travaux qu’ils réalisent sont confisqués par
l’établissement »).
Notes
43 / El Moudjahid 22 novembre 2010
44/ La Nouvelle République 25 novembre 2010; L’Expression 12 mai 2010, 25 novembre 2010, 8 décembre 2010
45/ Le Quotidien d’Oran 26 novembre 2010
46/ Le Courrier d’Algérie 8 février 2011
47/ Le Jour d’Algérie 13 février 2011
48/ La Dépêche de Kabylie 10 février 2011
49/ El Watan 14 janvier 2011, 24 janvier 2011
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Les hommes de l’art confessent régulièrement leurs conditions de vie. A la
question « L’art fait-il vivre ses créateurs en Algérie ? » (50). Le plasticien
Ahmed Hamidi regrette « l’impossibilité de vivre et faire vivre leurs familles à
travers les seuls « cachets » des ventes de leurs toiles, qui restent pour le moment
« plus une passion qu’un moyen de vivre ». En marge des Journées d’arts
plastiques de Guelma (51), l’artiste peintre Khaled Khodja s’exprime sur le coût
de réalisation de ses oeuvres « Bien sûr que nos toiles ont un coût. Le matériel de
peinture (tube de peinture, rouleau de toile, pinceaux) est excessivement onéreux… ces
produits sont hors de prix » et leur vente « En plus, personne n’achète nos toiles à
Guelma. Il faut aller à Alger, et nous revenons généralement bredouille ».
D’autres artistes évoquent le peu d’intérêt et de considération des pouvoirs
publics pour leurs projets. Auteur d’une exposition et d’un livre « Algérie, le
littoral et les zones humides », le photographe M’Hamed Kerrouche fustige les
entreprises qui « jettent de l’argent pour des opérations folkloriques qui n’apportent
rien à la société et se détournent des projets sérieux qui aident à découvrir l’Algérie »
et regrette que l’on refuse de l’aide aux photographes algériens, alors qu’elle
est accordée « y compris des hélicoptères, à des étrangers » (52).
Je suis à l’écoute d’autres avis et propositions, réceptif aux argumentaires
déployés, même si l’expression d’un point de vue contraire, au « politiquement
correct » du landerneau culturel, me transforme (et bien d’autres) en « croquemorts
de la pensée », un esprit chagrin, qui a de voeu pour la culture qu’un
« emmaillotements de momies » (53).
D’autres plaidoyers sont recevables, encore faut-il qu’ils résistent à l’examen
des faits ?. Des observateurs avisés de la vie culturelle nationale, développent
un certain nombre de réflexions sur ce qui leur semble être des éléments
factuels du renouveau culturel national :
- A propos des grandes manifestations culturelles (Djazaïr 2003 en France,
Alger capitale arabe, le festival Panafricain), il est certifié qu’elles sont
structurantes du projet culturel, qu’elles contribuent « à la reprise de la vie
culturelle », permettent « de remettre à l’ouvrage de nombreux artistes, groupes et
associations ». Je questionne : quelle est l’échéance et la portée (durabilité
d’impact) de leur effet structurant ? à quel prix ?. Quelle est la place de la
société civile dans la co-production de ces événements ?. Au-delà de la
satisfaction immédiate du besoin et de la « commande », je m’interroge, sur
l’évanescence des mobilisations humaines, des ressources et des projets.
Notes
50/ Liberté 22 novembre 2010
51/ El Watan 27 décembre 2010
52 / El Watan 28 mai 2010
53/ El Watan 25 décembre 2010
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- On plaide pour un débat associant l’Etat, le ministère et les acteurs culturels,
débat « vital à l’essor de la culture », mais on y voit deux contraintes « l’absence
de lieux ou d’espaces consacrés à ce débat » et « les pratiques d’échanges et de
critiques dans notre pays », considérées comme inexistantes ou frictionnelles. Je
souscris à l’idée d’un débat et m’essaie à la vérité : la seule contrainte à cet
échange, à cette re-dynamisation du champ culturel national, sont l’Etat et le
ministère qui ne souhaitent pas l’intrusion de la société civile dans la cogestion
et l’évaluation des affaires culturelles ?.
- Invoquant le soutien de l’Etat, il est constaté que « le développement de la
culture demeure en Algérie largement tributaire du soutien de l’Etat ». A l’appui de
« l’effort financier et organisationnel de l’Etat », le soutien de la société est
souhaité pour « tisser un formidable essor culturel ». S’agit-il de plaider pour un
soutien de la société au projet culturel officiel ou d’ouvrir ce projet à la
validation des forces vives (et intègres) du champ culturel ?. De même, il est
du devoir de l’Etat de soutenir financièrement le développement de la culture -
en veillant à diversifier les sources de financement - et tout aussi essentiel que
ce développement soit d’intérêt général, qu’il serve les publics, les aires
géographiques, dans leur grande diversité, d’une façon égale.
Bonheur nomade
- La villa Abdeltif retrouve « sa vocation d’antan » (54), en accueillant, l’été
2010, une résidence de jeunes étudiants de l’école supérieure des beaux-arts
d’Alger « ce séjour artistique renoue avec une tradition ancienne de la villa Abdeltif,
sauf qu’elle ne s’inscrit pas dans la continuité de la visions des orientalistes. Dans
notre cas, on va accaparer le patrimoine national et tenter de retrouver l’expression
picturale algérienne et donner une vision ou une version contemporaine de ce
patrimoine ». En novembre, une résidence algéro-européenne de photographie
est organisée, avec l’intention de porter un regard croisé sur le patrimoine
architectural de la ville d’Alger, « travailler ensemble, échanger des expériences et
surtout développer un dialogue autour d’un métier qui les passionne » (55). Alger
encore, comme thématique de la résidence de dessinateurs et de graphistes,
initiée par les éditions Barzakh et l’agence de dessin graphique Ganfood, pour
créer une revue graphique et « montrer notre Alger, le Alger de ceux qui le vivent
tous les jours, à travers un bus, un café, un quartier… » (56).
Promesses d’avenir
- Rétrospective consacrée à M’Hamed Issiakhem au musée d’art moderne et
contemporain d’Alger (57) qui présente de nombreuses oeuvres issues de
collections publiques et privées. Un livre catalogue est publié. « La place de
Notes
54/ Liberté 26 juillet 2010
55/ Liberté 11 novembre 2010 ; L’Expression 9 novembre 2010, 11 novembre 2010 ; El Watan 11 novembre 2010
56/ El Watan 2 juillet 2010
57 / El Watan 4 décembre 2010; Liberté 4 décembre 2010; La Nouvelle République 8 décembre 2010; El Watan 13 décembre 2010, 29 décembre 2010; Le Temps d’Algérie 20 décembre 2010
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l’art dans les pays émergents » est le thème de la table-ronde organisée et
quatre communications portent sur l’oeuvre et l’artiste (58).
L’intérêt de cette initiative est à mettre en résonance avec quelques verbatim
d’étudiants « On ne sait pas qui c’est…tous ces peintres du début sont un peu oubliés
aujourd’hui. Avant de venir aux beaux-arts, on n’avait jamais vu un tableau de notre
vie » (59) et d’un enseignant de l’école des beaux-arts d’Alger « la peinture
d’Issiakhem est assez complexe, difficile à regarder. Cette nouvelle génération a décidé
de rompre la filiation qui la liait avec l’ancienne génération des années 1960 et 1970.
Elle est plus portée par les innombrables possibilités qu’offre le multimédia. On est
dans la globalisation. Les artistes préfèrent l’image au chevalet » (60). Aux Etats-Unis,
à Merrimack, Miloud Chenoufi, enseignant au collège Royal militaire de St
Jean de Toronto, lui consacre une communication « M’Hamed Issiakhem :
Anticipating Cultural Postcolonialism in Algéria ».
- Le développement de l’activité de la galerie Lotus d’Oran. Elle fête le 8
octobre 2010 son premier anniversaire. Moussa Médiène, le maître des lieux,
crée de nombreux événements et rassemblements d’artistes (61), avec une
régularité rare et affirme son lieu de vie comme un pôle de rayonnement
artistique et culturel.
- La formation à la restauration des biens culturels de jeunes étudiants de
l’école des beaux-arts d’Oran, bénéficiant d’un programme de coopération
avec l’association espagnole Restaurateurs sans Frontières (62).
- La poursuite de l’expérience du Festival international de la bande dessinée
d’Alger qui se développe, se densifie, valorise les talents locaux, diffuse la
création des « anciens » et offre un espace d’expression, de qualification, et de
dialogue des compétences et des expertises. Il s’ouvre à des collaborations
internationales, pour exemple la réalisation du dessin d’animation « Papa
Nzenu le chasseur et l’antilope » coproduit par un bédéiste camerounais et le
producteur Djillali Beskri qui déclare sa foi « l’avenir appartient aux relations
interafricaines » (63).
- Ali Dilem est décoré de l'insigne du Chevalier des Arts et des Lettres (64). La
représentante de l’Etat français estime que l’artiste fait « dans la création
intelligente, impertinente et dérangeante parfois ». Au nez et à la barbe d’un Etat,
algérien celui-ci, qui se terre dans « l’incurie de l’ignorance ». Son hommage à
Slim et Saïd Mekbel est l’extrême courtoisie d’un esprit qui a conscience
d’être une conscience, d’un témoin qui prend à témoin d’autres consciences.
Notes
58/ El Watan 5 décembre 2010
59/ El Watan 3 décembre 2010
60/ El Watan 3 décembre 2010
61/ La Nouvelle République 9 décembre 2010; Le Temps d’Algérie 9 janvier 2010
62/ El Moudjahid 24 octobre 2010
63/ El Watan 17 octobre 2010
64 / Liberté 7 octobre 2010, 12 octobre 2010