COMMUNICATION - ETUDES ET ANALYSES - AUDIOVISUEL - MECANISMES DE REGULATION
Ouverture du secteur de l’Audiovisuel : les mécanismes de régulation possibles
(Par REZIGUI Mazouz, intervention au Centre d'études d'Echaâb, conférence-débat organisée ,le 25 avril 2011, par le Club des anciens de l'ENSJ sur "L'audiovisuel : enjeux et défis" )
Dans la perspective de la démonopolisation du secteur de la radiodiffusion sonore et télévisuelle, quels sont les mécanismes de régulation possibles ? Pour répondre à cette question nous allons, à travers l’étude comparative des institutions de régulation existantes à l’étranger, passer en revue leur statut, leur composante leur mode de nomination et leurs attributions avec quelques remarques sur leur fonctionnement. Dans notre exposé, nous évoquerons ensuite l’expérience, chez nous, du Conseil Supérieur de l’Information mis en place par la loi d’avril 90 et qui a fonctionné de juillet 90 à octobre 1993, date du décret législatif abrogeant les dispositions de la loi y afférentes. Cela nous permettra après analyse d’ouvrir quelques pistes de réflexion.
La régulation jouera un rôle clé dans la reconfiguration du paysage audiovisuel et le redéploiement du service public de radiodiffusion dans un contexte ouvert à la concurrence avec des télévisions et des radios commerciales. Parce qu’il ne s’agira pas seulement d’établir des règles et des bornes pour prévenir le remplacement d’un monopole de l’Etat par le monopole de l’argent, mais l’essentiel est qu’il faudra s’assurer que ces règles soient respectées et appliquées par tous.
Qu’est-ce qu’on entend par régulation ? La régulation n’est apparue que récemment dans le domaine de l’audiovisuel. Sa définition varie d’une discipline à une autre.
En mécanique elle signifie « l’ajustement conformément à une règle ou norme, d’une pluralité de mouvements et d’actes et de leurs effets ».
Pour les sciences de la vie « c’est la capacité d’un organisme à contrôler, à maintenir dans certaines limites ses propres réactions à des perturbations exogènes »
En philosophie on pourrait retenir « un arbitrage entre des libertés fondamentales ».
Par ailleurs s’il fallait faire le rapprochement entre Réglementation et Régulation, on dirait que si « la règlementation fixe les bases du système la régulation est chargée de le faire fonctionner pour une bonne mise en œuvre de la règlementation ».
Depuis la déferlante de la déréglementation des années 80 et le démantèlement des monopoles étatiques sur l’audiovisuel qui s’en est suivi, la régulation s’est avérée indispensable. C’est ainsi que les nouvelles législations sur l’audiovisuel en Europe particulièrement, ont presque toutes institué des instances de régulation. Sous différentes appellations, « Autorité audiovisuelle indépendante » , « Conseil Supérieur de l’Audiovisuel » , « Conseil Supérieur de la communication », la plupart de ces instances de régulation ont le statut particulier « d’autorité administrative indépendante ». Instance, définie par les termes qui la désignent à savoir :
-une véritable autorité qui a le pouvoir de prendre des décisions, tout en relevant du pouvoir exécutif,
- une entité administrative confinée dans l’administration, non concernée donc par l’exploitation et la gestion,
--une entité indépendante (non pas autonome puisque relevant du pouvoir éxcutif) qui n’est pas subordonnée à une autre autorité.
C’est une forme de délégation par l’Etat du pouvoir réglementaire et de contrôle, au profit d’une instance disposant d’une réelle autonomie au sein de l’administration de l’Etat et cela afin de l’isoler par rapport au gouvernement et aux différents départements ministériels.
Remarque : ce type d’autorité administrative indépendance préexistait dans les autres secteurs d’activités (pour l’Algérie on en compte déjà une bonne douzaine : ARPT, Comité de l’organisation et de surveillance des opérations de bourse, Conseil de la monnaie et du crédit, Agence Nationale des Produits pharmaceutiques à usage de la médecine humaine, Conseil de la Concurrence, l’Autorité de régulation du transport…)
Quelles sont les activités couvertes par la régulation ? Et d’abord une première question qui vient l’esprit pourquoi une autorité indépendante pour l’audiovisuel et pas pour la presse écrite.
Historiquement, la presse écrite s’est développée grâce à des capitaux privés tandis que les médias audiovisuels doivent leur premier essor à l’intervention importante de l’Etat qui a pris en charge des frais d’infrastructure et de construction des réseaux que les entreprises privées ne voulaient pas assumer. Aussi, dans tous les pays, à une ou deux exception prés la radio et la télévision et la radio constituaient jusqu’au début des années 1980, un service public relevant de l’Etat qui contrôlait directement le contenu des émissions.
La presse écrite pour sa part a eu recours depuis le début à l’autorégulation, pour ce qui concerne l’observation des règles d’éthique et de déontologie et aux tribunaux pour les autres types de litige .
Paradoxe : l’idée d’une autorité de régulation émane des USA et du Royaume Uni, deux pays champions du libéralisme où l’audiovisuel était ouvert à l’initiative privée. Ainsi aux USA, la FCC (Federal Communication Commission) créée en 1934 en vertu de la loi sur les communications. Cette grande agence de l’Etat dirigée par un collège de cinq membres nommés, par le Président, pour un mandat de cinq ans, avec l’accord du sénat, régente à ce jour la l’attribution de licences pour tout émetteur.
Au Royaume Uni la première autorité de régulation a été instituée en 1949 par « le wireless telegraph act ».Depuis les choses ont évolué pour donner en 1997 deux autorités de régulation pour les médias audiovisuels : « le Broadcasting standards council » et le Broadcasting Complaints Commission ».
Pour revenir aux matières couvertes par la régulation, le champ est assez vaste puisqu’il concerne autant l’accès à la communication audiovisuelle que son contenu.
Pour ce qui concerne l’accès il faut y inclure l’intervention technique à savoir l’accès aux fréquences radio électriques, les conditions juridiques imposés aux opérateurs par la loi, les engagements économiques et ceux relatifs aux contenus .Les services de programmes relevant du régime d’autorisation, la concession de l’usage d’une fréquence est assortie d’engagements de contenus à produire.
Concernant le contenu de la communication audiovisuelle, la régulation porte sur le respect des normes et règles en matière de protection des mineurs (enfance et adolescence), le respect de l’ordre public et des bonnes mœurs, la diffusion de la publicité ( réguler la durée , les moments ).Au titre des contenus, figurent bien sur les programmes informatifs avec l’obligation d’impartialité, d’objectivité et l’obligation de pluralisme et du respect du contenu culturel des émissions .
Enfin et compte tenu de l’internationalisation du marché de l’audiovisuel et de l’hégémonie des pays anglo-saxons pour ne pas les citer, tous les pays y compris ceux qui possèdent des industries culturelles de taille respectable, assignent à leurs radiodiffuseurs autorisés, des obligations en matière de production par leurs moyens propres et de diffusion d’œuvres et programmes audiovisuels.
Quels sont les opérateurs qui peuvent être soumis à la régulation ? En fait ce sont tous ceux qui font partie de l’ensemble de la chaine audiovisuelle : les radiodiffuseurs, les éditeurs de services, les distributeurs de services, les opérateurs de réseau.
Quels sont les statuts, la composante et le mode de nomination des membres des instances chargés de la régulation de l’audiovisuel ? Bien le concept d’autorité administrative s’universalise, il n’existe pas de formule modèle. Le système adopté varie d’un pays à un autre en fonction des traditions juridiques et de la culture politique.
En Europe y compris les pays de l’Est, le conseil ou collège de médiateurs à la tête d’une autorité administrative indépendante, constitue la dominante. Y dérogent des pays comme l’Espagne qui confie au niveau central la surveillance et la régulation de l’activité des radiodiffuseurs, à une commission parlementaire, les gouvernements des régions disposent d’une autorité de régulation.
En Allemagne, état fédéral, l’autorégulation joue un rôle essentiel .Les établissements publics de l’audiovisuel relèvent de la compétence des länder. Ces établissements disposent d’organes de contrôle, sous forme de conseils dont la composition doit refléter les divers courants de l’opinion publique et des représentants de la société civile.
En Italie, la loi de 1990 confie au Garant responsable du contrôle de la presse, la surveillance des chaines publiques et privées de télévision. Un contrôle à posteriori qui concerne la violence , la protection des mœurs et les horaires des programmes. A côté de cela une commission parlementaire de surveillance des services de radio et tv a été crée en 1975.
Pour les pays qui ont opté pour Autorité Administrative Indépendante de régulation, la composante ainsi que le mode de nomination varient également d’un pays à l’autre.
En général l’instance de régulation est crée par la loi qui détaille avec précision ses attributions et pouvoirs et moyens de fonctionnement. La nomination s’effectue soit en Conseil des Ministres, soit par le Chef de l’Etat soit encore après élection ou désignation par le bureau du parlement.
Les membres du collège de régulateurs étant irrévocables et désignés pour la durée d’un mandat non renouvelable.
Pour la Turquie le Conseil Supérieur de la Radio Télévision ( RTUR) crée au terme de la loi de 1994 se compose de neuf membres , élus par le parlement : cinq par les partis au pouvoir et quatre par les partis d’opposition, tous nommés par le Président pour un mandat de quatre ans reconductible une fois , leur révocation étant impossible .
En 2002 le parlement a amendé la loi en révisant notamment le mode de nomination prévoyant l’élection de cinq membres seulement par le parlement et la désignation de quatre autres en conseil des ministres, sur proposition de divers organismes dont un par le Conseil National de la Sécurité. La juridiction constitutionnelle, saisie, a jugé non conforme cet amendement ainsi qu’un deuxième portant sur la propriété des médias. L’application de ces deux articles reste a été suspendue.
Les Etats de l’Afrique subsaharienne francophone ont adopté avec le modèle du CSA français, avec cependant des adaptations. Le Maroc dispose aussi, depuis cinq ans , de son HACA, qui se compose en vertu d’une nouvelle loi libérale, d’un collège nommé par le Roi, à la tête d’une instance qui englobe la direction générale de la communication. Les premières licences attribuées l’ont été sans respecter la procédure d’appel à candidatures.
Concernant les critères de choix ou de sélection des personnalités devant diriger l’autorité, il est admis dans le discours , que c’est la compétence dans le domaine et la spécialisation qui doit prévaloir en premier, vient ensuite le caractère consensuel de la personnalité du candidat et son impartialité. L’instance administrative en question n’étant pas une juridiction, mais s’en rapprochant beaucoup à travers ses arbitrages et son activité d’interprétation et d’application de la loi et de la réglementation.
Remarque :
Entre l’organisation théorique et la réalité de la pratique l’expérience de ce type d’autorités administrative indépendante est passée dans la plupart des cas, par une phase de tâtonnements et connu beaucoup de difficultés pour être intégrée dans l’appareil de l’Etat. Citons l’exemple de l’organisme français qui au cours de ses premières années d’existence (1982 /1990 ) a changé plusieurs fois de dénomination, de statut, de composante et de prérogatives au gré des amendements de la loi sur l’audiovisuel et des changements de majorités parlementaires.
Quelles sont les attributions de l’autorité administrative indépendante de régulation ?
Pour l’essentiel, les principales attributions conférées ou à conférer à l’autorité de régulation visent à concrétiser ou régissent les missions qui suivent :
-l’exigence du principe d’égal accès aux médias aux médias, au pluralisme et à l’équilibre de l’information, (particulièrement dans les médias publics qui doivent par expérience constituer la référence)
-l’octroi des autorisations (notamment aux sociétés de TV et Radios privées, qu’elles soient hertziennes ou par câble, éventuellement aux providers de services internet)
-le contrôle et du respect des cahiers de charges et de missions des sociétés des radiodiffuseurs publics et privés
-le respect des clauses des conventions d’exploitation passées avec les radiodiffuseurs privés
-la lutte contre la concentration des médias audiovisuels en application des dispositions prévues en la matière par la loi
-le respect de l’éthique et de la déontologie
-la réglementation de la diffusion de la publicité
-la protection de publics vulnérables, l’enfance et l’adolescence, notamment en ce qui concerne les contenus et d’images illustrant la violence et la licence
-la réglementation des émissions pouvant porter atteinte aux droits et intérêts des consommateurs
-l’allocation équitable et judicieuse des aides publiques et subsides de l’Etat aux médias
-la nomination des dirigeants des médias publics (à travers des propositions)
En période électorale tout particulièrement l’autorité de régulation doit veiller à l’égal accès des partis et candidats aux médias du service public ainsi qu’au respect des règles de déontologie par les médias privés sur la base de dispositions contractuelles.
L’instance de régulation a aussi la charge de favoriser en permanence la libre et saine concurrence entre les médias en prévenant la concentration.
Quels sont les instruments d’intervention de l’autorité de régulation ?
L’autorité de régulation dispose en général de pouvoirs de décisions, de recommandation et de proposition. Toutes ses interventions ont une base légale ou une procédure. Ses décisions peuvent se matérialiser par des mises en demeure ou des sanctions sous forme d’amende, de suspension du service ou d’un programme, voire de retrait de l’autorisation. Ses décisions sont passibles de recours devant la justice.
Les outils dont elle dispose sont l’observation et la veille, l’audit, l’exploitation de rapports, la saisine et l’auto saisine. Elle rend compte de son activité à travers des rapports périodiques (annuels) aux Hautes Autorités de l’Etat.
Bref aperçu sur la brève expérience du Conseil Supérieur de l’Information en Algérie
( juillet 1990/ octobre1993)
*Cadre juridique : Loi du 3 avril 1990 (articles…)
*Composante : Douze membres , trois membres dont le président désignés par le Président de la République, trois par le bureau de l’APN, six élus par la profession (trois pour la presse écrite et trois autres représentant la presse audiovisuelle) tous nommés par décret présidentiel pour un mandat de six ans non renouvelable.
*Prérogatives : très larges couvrant les médias de la presse écrite et de la presse audiovisuelle, avec des pouvoirs de décision et de réglementation notamment en matière d’autorisations de création de services radiodiffusés de création de titres en langues étrangère , de règlementation des émissions d’expression directe en période électorale , de gestion des aides et subsides publiques à la presse , d’éthique et de déontologie, de cartes de presse etc..
*Moyens : Pour les besoins de démarrage, le CSI n’a pas manqué de moyens (siège, structures administratives, équipements et documentation).
*Commentaires sur le fonctionnement :
Le conseil a pu se structurer en un laps de temps assez court et connu rapidement son baptême du feu à travers la règlementation et la supervision directe des conditions de couverture par les médias publics et la presse privée naissante des premières campagnes électorales pluralistes et néanmoins houleuses .
L’instance avait également beaucoup avancé en matière de préparations de procédures et de règlementation , notamment :
-celles relatives au recueil et la sélection des candidatures pour la création de radios et de chaines de tv privées,
- celles concernant la répartition des aides subsides aides de l’Etat aux médias,-
- la délivrance de la carte professionnelle aux journalistes.
L’autorité de régulation s’était également équipée en moyens matériels pour suivre au moins en partie, les émissions de tv et de radios publiques.
Tout cela avant la dégradation de la situation sécuritaire et la proclamation de l’état d’urgence.
Naturellement pour un début, le fonctionnement de l’institution a connu quelques difficultés . Au sein du collège des membres, cela ne s’est pas toujours passé sans crispations ni relations distendues. Les divergences de vision étaient parfois dues à des différences d’itinéraires, et de profils. Parfois aussi le désaccord portait sur l’ appréhension des statuts et de rôles au sein du collège . Parmi les membres élus certains adoptaient parfois des comportements de syndicalistes. Cela a du certainement jouer au détriment de l’image de l’institution à l’extérieur et à son exploitation en vue de sa suppression.
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Quelques observations et éléments d’analyse
1- L’importance de l’ancrage législatif
En 2010 une cour d’appel américaine a jugée inconstitutionnelle une règlementation en matière d’indécence de contenus de la toute puissante FCC. La FCC venait de multiplier par dix le montant des amendes pour ce type d’infraction.
Ce cas nous montre les limites de l’autorité administrative malgré son indépendance.
Le cas du conseil turc dont le parlement a voulu changer le mode de nomination, nous montre aussi que cette autorité reste à la merci du législateur qui en a initiée la création.
2- L’environnement et la consistance du paysage médiatique
Au niveau du CSI , lors de la préparation des procédures , il a été relevé les limites des potentialités nationales en matière de production de contenus .Quels contenus allait-on réguler .La question se posait si les obligations de production de contenu aussi minimales soient elles , allaient rendre infructueuses les consultations et les appels à candidature dans le domaine de l’audiovisuel .
On constatait qu’en matière de marché et de politiques publiques ,l’autorité de régulation ne disposait pas de stratégies de référence.
3- Les conflits relationnels latents évoqués plus haut au sein du collège du CSI , attirent l’attention sur le caractère déterminant du choix des personnalités qui doivent diriger l’instance de régulation.
Cette remarque est aussi valable pour le choix des dirigeants des médias publics et par ricochet pour le statut des établissements publics de l’audiovisuel qui de notre point de vue, devraient régis par des lois.