COMMUNICATION - ETUDES ET ANALYSES - DIFFUSION DE LA PRESSE ECRITE - HISTORIQUE
BREF HISTORIQUE DE LA DIFFUSION DE LA PRESSE ECRITE. Par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jusqu’à la création de la Société nationale d’édition et de diffusion (Sned) en 1966, l’importation et la diffusion de toutes les publications , journaux , périodiques, revues, livres scolaires…étaient le monopole quasi-exclusif des Messageries Hachette-Algérie.
En France, le champ d’activités de la maison-mère , un super-géant, se déployait dans les secteurs principaux de la communication : édition-librairie, distribution-presse, édition-presse ….Et, en en Algérie, une ex-colonie (où les avantages étaient, bien sûr, plus nombreux que ceux de « métropole » : « Lorsque la France colonise, Louis Hachette suit la France. Là où flotte le drapeau, il y aura une librairie Hachette. La première : Alger, 1838… » écrivait Le Nouvel Economiste, no 260, 17 novembre 1980) , quatre années après l’Indépendance, « le trust vert régnait sur le marché national en maître absolu » (Algérie Actualités)
Par des conventions antérieures à 1962, Hachette avait, ainsi, entre autres, l’exclusivité de la distribution et de la vente de la presse française et étrangère sur tout le territoire. Rares étaient les libraires qui recevaient directement des éditeurs, exception faite pour eux des pays de l’Est et de certains pays arabes, nouveaux venus sur le marché depuis 1962.
60% de la vente générale des livres scolaires du primaire et du secondaire profitaient à Hachette.De plus , il y avait la papeterie, le matériel scolaire (craie, cahiers…), le matériel de bureau, et même d la parfumerie.
L’entreprise occupait 300 employés et avait en Algérie 425 points de vente-presse dont les kiosques de gare. Le chiffre d’affaires en 1963, considérée pourtant comme une année de crise, s’élevait à plus de 3 milliards d’anciens francs et celui de 1964 à 3,6 milliards d’Af.
La puissance de Hachette-Algérie inquiétait depuis 1962 et les reproches et autres critiques officielles ne manquèrent pas. Cependant, c’est seulement en novembre 1964 que l’on poussa à la création des Editions nationales algériennes (Ena) dans le but de concurrencer Hachette sur le plan de l’édition-librairie. Dans les faits, les Ena durent se contenter d’éditer quelques poètes et écrivains à faible succès commercial. Les auteurs consacrés s’adressaient à l’ex-métropole et leurs œuvres se voyaient importées et diffusées en Algérie par Hachette.
Le grand tort des Messageries Hachette-Algérie était d’être une société à la fois privée et étrangère, à but essentiellement commercial, pour le profit financier rapide , maximum et exportable en totalité en France. Elle n’avait pas voulu adapter sa politique économique à celle du pays où elle détenait un monopole de fait et en matière de diffusion ses structures n’avaient subit aucun changement.
Liée à toutes les grandes maisons d’édition française, Hachette sélectionnait à l’importation toute la librairie, selon des considérations de rentabilité n’excluant pas une certaine affectivité. Aussi, n’était-il pas surprenant de voir dans les vitrines des libraires du pays, des ouvrages dont le contenu pouvait paraître inadmissible à beaucoup d’Algériens. Les ouvrages « progressistes » se frayaient difficilement un chemin dans le circuit de distribution. Quant au livre scolaire, le secteur le plus rentable, il était alimenté normalement, bien que l’on trouvait beaucoup de manuels contenant des pages entières consacrées à la gloire du colonialisme.
C’est dans le domaine de la presse que Hachette exerçait la plus forte domination : plus de 2000 titres de publications étrangères (3000 titres en 1964-1965), dont la qualité allait du meilleur au pire, étaient importés et diffusés…à la façon Hachette .
Avant 1962, les points de vente-presse étaient, pour la plupart, gérés par des européens. A l’Indépendance, la population européenne partie, les gérants abandonnèrent leurs locaux ou les vendirent à des algériens. Or, si l’on examine la qualité des contrats qui lient les messageries de presse aux dépositaires de journaux, on peut voir que le contrat qui lie les messageries à un libraire –papetier est un contrat de dépôt conclu « intuitu personae », incessible et intransmissible, l’organisme de répartition se réservant le droit de choisir et de conserver son agent de diffusion en fonction de la confiance qu’il estime pouvoir lui prêter et des garanties que le dépositaire présente à ses yeux. Il en résulte qu’en cas de vente du fonds de commerce, le contrat de dépôt de journaux se trouve automatiquement anéanti par la vente et ne peut être inclus dans les éléments cédés. L’acquéreur du fonds ne peut donc exiger le rétablissement à son profit du contrat de dépôt primitif mais, lorsque dans l’esprit des contractants le fonds cédé comprenait le dépôt de journaux, il ne peut en cas de refus d’agrément des messageries Hachette se retourner contre le vendeur tenu à garantie et lui réclamer une réduction de prix. Les nouveaux gérants, en Algérie, en la période assez mouvementée de 1962, n’étaient nullement au courant de cette qualité des contrats, d’autant que les transactions et acquisitions se firent dans la précipitation.
Devant cette situation, les messageries Hachette pouvaient ainsi refuser de livrer à un nouveau gérant (qui n’avait, pour sa part, aucune possibilité de se retourner contre le vendeur, alors « rapatrié »).
Le point de vente-presse ou le libraire-papetier devait passer par les voies commerciales que lui tracerait Hachette !
On vit, de ce fait, surtout fin 1962 et en 1963, des points de vente n’offrir que de la presse étrangère et refuser la presse nationale, distribuée par ses propres moyens. Ceci était visible surtout à Alger, et dans les grandes villes comme Oran, Constantine et Annaba. Les mal situés durent se contenter de vendre de la presse nationale, ce qui était d’une rentabilité financière faible et il était clair , pour ceux-ci, que Hachette avait fait valoir ses « droits » en matière de contrats de dépôts.
Les points de vente-presse et les librairies, alimentés par Hachette offraient, de ce fait, au lecteur algérien (un certain lecteur vivant dans les quartiers résidentiels et au revenu moyen élevé) tout ce qui était importé par l’entreprise. Le volume de cette presse ou de la librairie était tel que, même si la production algérienne en ces produits avait été diffusée par le même circuit, elle n’aurait pu qu’occuper une mauvaise place, surtout à l’exposition.
Cette situation, les critiques aidant, va entraîner le gouvernement à intervenir, afin d’y mettre un terme. Le 28 janvier 1966, il retire aux messageries Hachette-Algérie ce qu’il appelle leur « monopole de fait » en décidant la création , sous tutelle du ministère de l’Information, d’une Société nationale d’édition et de diffusion (Sned) qui se voyait octroyer des monopoles : De l’édition commerciale, de l’importation de toutes publications de presse et livres, de leur diffusion sur l’ensemble du territoire, et celui de l’exportation de toutes publications et livres produits en Algérie ;
A la décision lui retirant son « monopole », ce qui avait aussitôt entraîné la prise de possession immédiate par le gouvernement algérien des locaux et des propriétés de la société Hachette sur le territoire, à Paris, au siège , on « élève la plus ferme protestation contre la décision » ….que l’on qualifie « de parfaitement injustifiée ».
Dès la mesure connue, Hachette France bloque ses fonds à Alger et suspend toutes les expéditions de livres et de journaux vers l’Algérie.
Du côté algérien, on s’attendait à ce que la distribution de journaux et autres publications importées par Hachette soit interrompue pour peu de temps, quelques jours au plus. Cette suspension va durer près d’un mois, jusqu’au 25 février 1966. Car, la maison-mère Hachette demandait, à la nouvelle entreprise de distribution, des garanties de paiement des livraisons des journaux et des publications)
Après sa création, la Sned avait intégré progressivement le personnel de Hachette-Algérie. Un commissaire du gouvernement avait été installé par arrêté ministériel en date du 28 janvier 1966, au siège algérois de l’entreprise Hachette –Algérie : il devait, d’une part, procéder avec l’ancienne direction, à sa liquidation et, d’autre part, faire en sorte que l’établissement puisse discuter avec les représentants de la Sned, des modalités de transfert de compétence.
Le 24 février 1966, à l’issue de négociations, Hachette et la Sned conclurent, à Paris, un accord de coopération qui a amené , entre autres, la reprise immédiate des livraisons de la presse et des produits de l’édition.
( Extrait d'ouvrage)