HISTOIRE-
PERSONNALITÉS- SAÂD DAHLEB
Saâd Dahlab s’impose
naturellement comme celui d’un artisan discret mais fondamental de la
libération nationale. Moins médiatisé que d’autres figures du mouvement
indépendantiste, Saad Dahlab a pourtant joué un rôle
central dans les négociations qui ont conduit aux Accords d’Evian, mettant fin
à plus de sept années de guerre et consacrant l’indépendance du pays. Il fut
l’un des piliers de ses accords et son rôle fut
déterminant pour garantir une indépendance claire, totale et juridiquement
irréprochable.
Né le 18 avril 1918 à Rechaïga,
dans la région de Médéa, il entame sa carrière comme fonctionnaire des impôts
sous l’administration coloniale. Très tôt, il rejoint les rangs du
nationalisme, militant au sein de l’Etoile nord-africaine, du Parti du peuple
algérien (PPA), puis du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques
(MTLD). Son engagement actif dans la cause nationale lui vaut l’emprisonnement
après les massacres du 8 Mai 1945, une épreuve qui ne fait que renforcer sa
détermination.
Homme de conviction, de rigueur et de réflexion Saâd Dahlab s’illustre non pas «par les armes», mais par «sa capacité d’analyse», «sa
plume affûtée» et sa fidélité aux principes «de souveraineté», «d’unité» et «de
dignité nationale». Son profil de juriste, doublé d’une solide culture
politique, le conduit à occuper des fonctions de premier plan au sein du
Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), où il est d’abord
directeur de cabinet du ministre de l’Information M’hamed
Yazid, avant d’être nommé ministre des Affaires étrangères en août 1961. Dans
les coulisses des négociations d’Evian, il joue un rôle décisif.
Calme, méthodique, redoutable dans l’art de la
formulation juridique, il participe à toutes les phases du dialogue avec la
partie française-depuis les premiers contacts jusqu’aux discussions officielles
lancées en mars 1962 à Evian. Travaillant en étroite collaboration avec Krim
Belkacem, M’hamed Yazid et Réda Malek, il veille à la
cohérence et à la solidité des textes. C’est à lui que l’Algérie doit en grande
partie la rigueur de certaines formulations, le rejet des pièges juridiques et
l’affirmation sans équivoque de l’unité territoriale de l’Algérie, notamment
sur des sujets sensibles comme le Sahara ou les bases militaires françaises.
Avec Réda Malek, chargé de la rédaction technique des accords, il forme un
tandem parfaitement complémentaire.Tous
deux partagent la même ligne de fermeté : une indépendance pleine, sans
conditions ni arrière-pensées. Dans ses mémoires, Réda Malek raconte plusieurs
épisodes révélateurs de l’attitude inflexible de Saad Dahlab.
L’un d’eux, resté célèbre, se déroule lors d’un huis clos sur la question du
Sahara. Tandis que la délégation française tentait d’imposer un statut spécial
pour les gisements pétroliers sahariens, Saad Dahlab
aurait refermé calmement son dossier et déclaré : «Nous
sommes venus ici pour négocier une indépendance, pas pour organiser une
nouvelle dépendance.» Cette sortie force le respect et oblige les Français à
revenir à une position plus modérée.
Aussi les relations avec M’hamed
Yazid sont également marquées par une profonde complicité. Yazid, alors
ministre de l’Information, pilote la stratégie de communication du GPRA à
l’échelle internationale, tandis que Saad Dahlab
assure le socle juridique du discours politique. Le premier prépare le terrain
diplomatique ; le second en assure la stabilité technique et conceptuelle. Le
18 mars 1962, lorsque les Accords d’Evian sont signés, Saâd
Dahlab en maîtrise chaque mot. Il a veillé à chaque
détail du texte, qui régit le cessez-le-feu, le retrait des troupes françaises,
les droits des Européens d’Algérie et les principes d’une coopération
temporaire. Il incarne la figure du négociateur de l’ombre, attaché au fond
plus qu’à la forme, dont le travail a permis de transformer une victoire
politique en une souveraineté juridiquement incontestable.
Après l’indépendance, Dahlab
est nommé ambassadeur d’Algérie au Maroc. Très vite, il prend ses distances
avec les joutes du pouvoir post-révolutionnaire. Il
fonde en 1988 les Éditions Dahlab, où il publie ses
mémoires et des témoignages précieux sur les coulisses de la Révolution.
Jusqu’à sa mort, le 16 décembre 2000, il reste une figure respectée, discrète,
jamais éclaboussée par les querelles politiques qui ont marqué les débuts de
l’Algérie indépendante. L’université de Blida porte aujourd’hui son nom. Un
hommage silencieux mais mérité à celui qui, dans la complexité des négociations
internationales, a su défendre sans faiblir les droits inaliénables d’un peuple
à disposer de lui-même.
À l’heure où l’Algérie rend hommage à ses héros, le
parcours de Saâd Dahlab
rappelle que certaines victoires se forgent dans le calme des salles de négociation,
à la force des principes, et par une fidélité sans faille à la cause de la
liberté.