HISTOIRE-BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN
KITOUNI HOSNI- « CE QUE LA MORT M’A PRIS DE
TOI »
Ce que la mort m’a pris de toi. Roman de Hosni Kitouni
(Préface de Amin Khan) . Casbah Editions, Alger 2025,
159 pages, 1 300 dinars.
Plusieurs décennies après, et malgré la
mort matériellement constaté, l’auteur, bien qu’il s’y soit habitué -ayant
étudié et écrit plusieurs ouvrages et/ou études sur la période coloniale
et ses atrocités et sur la guerre de libération nationale – est resté , non pas
prisonnier d’un traumatisme datant de son enfance (à peine sept ans,
deuxième enfant d’une fratrie de quatre ....mais enfant mâle ardemment attendu
) suite à la brusque séparation avec son père, forcé de rentrer dans la
clandestinité afin de poursuivre son combat - , mais surtout d’un amour
infini doublé d’une admiration sans bornes à l‘endroit de son père-héros
et de sa maman-courage. « Il y avait le soleil et Père, l’un rythmait les
jours et l’autre nos vie .......Depuis qu’il était parti, je me sentais
comme une espèce de chose sans nom, inutile ; un jouet démembré qu’on
aurait oublié dans un coin de la chambre.Je
n’étais plus rien, une loque pleureuse qui n’intéressait personne » ,
écrit-il.
On a donc un récit relativement court, clair et
direct ( romancé afin
,surtout, de faciliter la lecture et de faire corps avec le lecteur )
très personnel à la subjectivité pleinement de l’intime. Tellement intime
qu’il nous paraît très difficile de le commenter.
Seulement reprendre une
partie de la préface : « A tout point de vue, ce récit est
saisissant de vérité, inaltérée par les années écoulées depuis 1955.Vérité des
émotions de chacun des protagonistes, l’amour, la pudeur, la peur, le courage,
vérité qui résonne à l’intérieur du silence imposé aux adultes et qui atteint
les enfants, vérité de la douleur, évidente et indicible , de celui qui fait
son devoir jusqu’au sacrifice de sa vie..... »
Tout est dit.
L’Auteur : Etudes en
économie (Paris VIII Vincennes), enseignant durant quelques années
avant de rejoindre la télévision algérienne où il écrit et réalise des
émissions culturelles et de nombreux documentaires historiques et sur
le patrimoine, chercheur associé à l’Université d’Exeter en Angleterre
entre 2018 et 2021. Chercheur indépendant en « Histoire du fait
colonial ». Déjà auteur d’une monographie sur « la Kabylie orientale
dans l’histoire » (2013), d’un essai
sur le « Désordre colonial » (2018)et d’une étude sur
« l’Histoire, mémoire et colonisation » (2024) ainsi que de
plusieurs études consacrées à la violence et aux changements induits par les
dépossessions massives au cours du XIXème siècle .A,
aussi, réalisé des émissions culturelles et des documentaires historiques
et sur le patrimoine
Extraits : « Je les vois encore, ces amis de mon Père,
ces jeunes dans la force de l’âge, impeccablement mis, sous l’épaisse fumée de
cigarette, visages rongés par le mauvais sommeil, sirotant un café, s’invectivant
à coups de citations du Coran, de Lénine, de Messali Hadj, de Mustapha
Kamel, comme si une formule bien tournée allait changer la face du monde.Et, ils en lançaient de belles ! » (p19),
« La fin de l’Os sonnait donc le glas d’un certain nationalisme algérien,bureaucratique et velléitaire, dans la mesure où
elle libérait d’extraordinaires énergies, contraintes d’agir en dehors
des cadres traditionnels et de chercher ailleurs les forces capables de porter
la lutte » (p30), « Ah ! la fierté de la Mère, à elle seule une
légende » (p 86), « Pas une maison ne fut épargnée par les tourments
de la guerre.Les adultes, les enfants, les murs, les
pierres, la terre, les arbres, chez tous et partout c’était la même désolation,
la même douleur, le même cri, la même souffrance.Des
morts, des disparus, des fous, des qui ne savaient quoi faire de leur désarroi
et de leurs désespérances » (p121), « La paix apportait avec elle
l’insouciance et la vacuité dans un décor fait de bric et de broc, où s’était
éteinte à jamais une âme » (p130)
Avis :Un grand bonhomme qui
raconte sa douleur d’enfant (et celle de sa maman) après le départ
à la guerre et la perte de son papa.Un récit terrible
d’émotion. Car, une douleur qui, on le sent avec lui, perdure encore. Texte
plus qu’émouvant car on vit, avec lui, sa douleur. Âmes sensibles, à consommer
avec modération. Note complémentaire : La photo de couverture exprime, par
ailleurs, tout l’amour et toute la fierté du père
Citations : « A
quoi sert-il de prétendre porter une grande cause et
manquer de force pour lui sacrifier ce si peu, notre égoïsme » (p 25),
« Le fameux « l’islam est ma religion, l’arabe ma langue et l’Algérie
mon pays » laissait pendante la question de l’indépendance (....).Réformer l’homme colonisé suffisait-il à le rendre
moins corvéable et le Code de l’indigénat moins injuste à son
égard ? » (p34), « Le serment sur le Coran est le geste le plus
engageant (note : dans la lutte de libération nationale) pour un musulman,
cela lui imposait un devoir de fidélité, auquel il devait souscrite toute sa
vie ; le trahir constituait le pire des sacrilèges » (p39), « La
tristesse des enfants, rien ne peut la cacher, elle reste là, à vous tourner
dans la tête, tel un mauvais présage » (p 66), « Etre
un « enfant du quartier, oulid elzanka, cette autre école infiniment plus compliquée que
la vraie car, là, il n’y avait ni maîtresse ni livres pour y apprendre ses
leçons » (p 84), « La guerre, la guerre, la guerre.....Elle s’était
immiscée en nous, partout, devenant notre vie, habitant notre respiration, nos
gestes , nos regards » (p93), ; « Les adultes oublient trop
souvent que les enfants ont des yeux et des oreilles.Qu‘ils
sentent et comprennent souvent plus vite qu’il n’y paraît « (p109)