COMMUNICATION- ETRANGER- ROYAUME UNI/VENTE JOURNAL AUX
FONDS SOUVERAINS ÉMIRATS ARABES UNIS 2025
Au
Royaume-Uni, la vente du Telegraph ouvre la porte aux fonds
souverains dans la presse
© Par https://la-rem.eu/2025/1/ Alexandre Joux/ N°75 Automne 2025
Un fonds émirati, des
investisseurs très à gauche et très à droite… la cession du Spectator et
du Telegraph électrise le monde politique britannique qui,
après avoir interdit les investissements étrangers en lien avec des fonds
souverains, s’apprête à les autoriser de nouveau sous condition.
Le Royaume-Uni a une
tradition libérale de longue date, tant sur le plan politique qu’économique, ce
qui a garanti pendant longtemps une certaine ouverture, notamment dans le secteur
de la presse, où la diversité importante des titres ne justifiait pas une
intervention du régulateur. Profitant du marché unique européen, le
Royaume-Uni a ainsi illustré à sa manière l’internationalisation de la presse
depuis les années 1980, parfois sa financiarisation, en exportant ses
groupes en Europe, tout en accueillant sur son territoire les capitaux
étrangers. Ainsi, en 1988, Les Échos passent sous le contrôle
de Pearson ; dans les années 1990, le groupe Emap a
participé au développement de la presse magazine en France avant de céder ses
activités à Mondadori en 2006 (voir La rem n°5, p.17). Sur le territoire
national, les capitaux étrangers sont bienvenus et pas seulement en provenance
de l’Union européenne : en 1981, l’Australo-Américain Rupert Murdoch a
racheté le Times ; le Russe Alexandre Lebedev
a racheté l’Evening Standard en
2009 et The Independant en
2010 ; sans oublier la prise de contrôle du Financial Times par
le groupe japonais Nikei en 2015 (voir La rem n°36, p.22). Mais, depuis, les
choses ont changé, ce qu’illustre la longue bataille pour la reprise
du Daily Telegraph et du Spectator.Ces
deux titres, un quotidien et un magazine, sont des emblèmes. Ils font partie de
la presse de référence britannique et représentent son aile conservatrice,
pro-Brexit, le Spectator ayant notamment accueilli Boris
Johnson quand il a commencé sa carrière comme journaliste, de 1999 à 2005. Ils
étaient réunis au sein de TMG (Telegraph Media Group), contrôlé depuis 2004 par
les « jumeaux » Barclay, deux hommes d’affaires britanniques devenus
des tycoons de la presse outre-Manche. Sauf que les affaires
se sont dégradées, avec une dette de plus de 1 milliard de livres auprès
de la banque Lloyds, laquelle, pour se rembourser, a pris le contrôle des
titres avant de les mettre sur le marché en juin 2023. Las, le 20 novembre
2023, la famille Barclay revient dans le jeu grâce à une offre conjointe du
fonds américain Rebird Capital et du fonds
d’investissement dans les médias des Émirats arabes unis, IMI (International
Media Investments). Ensemble, le duo Rebird-IMI
propose de racheter la dette de TMG, mettant fin au processus de vente, ce qui
permettait alors à la famille Barclay de récupérer le contrôle du groupe, avant
que la dette détenue par Rebird-IMI soit reconvertie
en capital, conduisant ainsi les deux fonds à prendre le contrôle du Daily
Telegraph et du Spectator. Pour les fonds, il s’agit d’un
bon investissement, car la dette de la famille Barclay n’est pas due au
Telegraph Media Group, bien au contraire. Redressé depuis son rachat, le groupe
a réussi son passage au numérique avec environ 700 000 abonnés en
ligne et un chiffre d’affaires de 268 millions de livres en 2023
(320 millions d’euros).Mais les enjeux politiques
vont faire échouer le projet initial. Le contexte a, de fait, changé par
rapport aux années 1990 et 2000, lorsque le Royaume-Uni avait un marché des
médias relativement ouvert. Depuis le 1er février 2020, le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne à
la suite du vote en faveur du Brexit en 2016 – qui est d’abord le symptôme
d’une crise politique, sociale, économique sans précédent au Royaume-Uni et d’une
crise de légitimité de l’Union européenne avec sa politique d’ouverture des
frontières et des marchés. S’ajoute la montée en puissance de la
désinformation, dont la campagne référendaire ayant conduit au Brexit a été
l’une des premières manifestations. Réunies, ces circonstances ont provoqué une
levée de boucliers face au projet de Rebird-IMI.L’assemblage
Rebord-IMI est, en effet, atypique. S’il a, d’emblée, confirmé préserver la
ligne éditoriale du Telegraph et du Spectator, reste
que ses actionnaires sont loin d’être neutres. Le fonds émirati est censé
rester en retrait, mais il représente 75 % de l’investissement et il est dirigé
par le cheikh Mansour ben Zayed al-Nahyan, par ailleurs vice-président des Émirats arabes
unis. L’idée d’avoir un quotidien de référence contrôlé en grande partie par un
responsable politique d’un pays du Moyen-Orient aux traditions très éloignées
de la démocratie britannique a donc naturellement suscité quelques réticences.
Celles-ci avaient toutefois été anticipées, confiant au seul fonds Rebird la gestion opérationnelle des titres. Sauf que Rebird est dirigé par Jeff Zucker,
dont le profil n’est pas ordinaire non plus. On lui doit le lancement de
l’émission « The Apprentice » aux
États-Unis, qui a transformé Donald Trump en vedette de télévision. Il a
ensuite dirigé CNN de 2013 à 2022, période durant laquelle CNN s’est
repositionnée face à Fox News en défendant une ligne prodémocrate
et anti-Trump. Les conservateurs britanniques n’ont pas manqué de souligner que
ce positionnement est à l’exact opposé de celui du Telegraph et
surtout du Spectator, le plus vieil hebdomadaire britannique,
certes dépositaire d’un journalisme sérieux, mais connu pour être très
conservateur, ayant pris parti pour le leave en
2016 et ne cachant pas ses affinités avec la politique menée par Donald Trump.Sans surprise, le gouvernement conservateur de Rishi Sunak (25 octobre 2022 – 5 juillet 2024) a saisi
l’Ofcom, le régulateur britannique des médias, dès le
30 novembre 2023. Au Royaume-Uni, le rachat d’entreprise dans le domaine
de la presse est soumis, au titre de l’Enterprise Act
de 2002, à un examen préalable, ou « test d’intérêt public » qui,
s’il se révèle problématique pour le pluralisme de l’information, conduit à
saisir l’autorité de la concurrence. Pour s’assurer de bloquer définitivement
l’opération, le gouvernement a, par ailleurs, modifié l’Enterprise Act de 2002 avec l’entrée en vigueur, le 13 mars 2024,
du nouveau « Foreign State Intervention (FSI) Regime » qui a interdit, non pas les investissements
étrangers dans la presse et les médias, au demeurant très nombreux,
mais les investissements impliquant la propriété, l’influence ou le
contrôle d’État étrangers. Rebird-IMI, dans
l’incapacité de convertir sa dette en capital, a donc dû remettre TMG sur le
marché. Cette fois-ci, des investisseurs plutôt positionnés à droite se sont manifestés.Le 10 septembre
2024, Paul Marshall, dirigeant d’un fonds spéculatif, qui a lancé GB News au
Royaume-Uni en 2021, a consenti à débourser 100 millions de livres
(114 millions d’euros) pour prendre le contrôle du Spectator.
Le montant est important, car la valorisation du Spectator tournait
plutôt autour de 70 ou 80 millions de livres. La prime versée par Paul
Marshall lui permet de consolider son pôle d’influence à droite de l’échiquier
politique britannique. Quant au Telegraph, dont la valorisation est
estimée à environ 600 millions de livres, il n’a pas trouvé les
investisseurs privés capables de débourser une telle somme, malgré des négociations
exclusives initiées en octobre 2024 avec Dovid Efune, le propriétaire du New York Sun, qui
n’ont finalement pas abouti. Le nouveau gouvernement britannique a donc revu la
copie de l’ancien gouvernement conservateur pour autoriser de nouveau l’investissement
de fonds étrangers dans les médias, même s’ils sont détenus par des fonds
souverains. En mai 2025, la nouvelle secrétaire à la Culture, Lise Nandy, évoquait la possibilité d’investissements étrangers
liés à des fonds souverains à hauteur de 15 % du capital des entreprises
de presse britannique afin qu’elles puissent accéder à des financements
indispensables à leur survie. Cette nouvelle modification du régime des
investissements étrangers a permis une nouvelle proposition du fonds Rebord-IMI
où le fonds émirati ne contrôlerait plus que 15 % du capital des
titres Telegraph et Chelsea Magazine, pour une
valorisation de 500 millions de livres. Si la cession aboutit, le Telegraph britannique
se retrouvera contrôlé par un fonds, Rebird, présent
au capital de grands médias américains, notamment le nouvel ensemble SkyDance-Paramount, Rebird étant
associé à David Ellison (voir infra).
Sources : Feuerstein
Ingrid, « Londres inquiet du passage du « Telegraph » sous pavillon
émirati », Les Échos, 4 décembre 2023./ Gasquet Pierre de, « La
bataille du « Telegraph » fait trembler les Anglais », Les
Échos week-end, 15 décembre 2023./ Vergara
Ingrid, « Rebord IMI pourrait s’emparer du « Telegraph » », Le
Figaro, 22 décembre 2023./ La Grange Arnaud de, « Londres veut légiférer
pour que « The Telegraph » reste britannique », Le Figaro,
19 mars 2024./ Department for Culture, Media and
Sport and The Rt Hon Lisa Nandy,
« Media law reforms to
boost press sustainability
and protect independence »,
Gov UK, May 15, 2025./ Ruhlmann Amélie, « Londres
rouvre le capital de ses journaux à des États étrangers », Le Figaro,
16 mai 2025./ Regulatory Policy Committee,
« The Enterprise Act 2002 (Mergers Involving Newspaper Enterprises and Foreign Powers) Regulations 2025: impact assessments
– RPC opinion (green-rated) », Gov
UK, May 22, 2025./ Ruhlmann Amélie, « Après deux ans de flottement, « The
Telegraph » s’ouvre de nouveaux horizons », Le Figaro, 27 mai
2025./ « GB News owner buys
Spectator magazine for £100m », BBC.com, September
10, 2024./ Ducourtieux Cécile, « Paul Marshall, le
nouveau magnat des médias conservateurs au Royaume-Uni », lemonde.fr, 11
septembre 2024.