CULTURE- PERSONNALITES- BOUDJEMIA MERZAK (MUSIQUE)
Il y a quarante ans, le 21 novembre 1985, s’éteignait
à Paris Boudjemia Merzak
(né à Alger le 9 mai 1933), emporté par un cancer. Dans le froid
d’une banlieue parisienne, un seul critique musical assista à la levée de corps
de celui qui fut le plus grand chef d’orchestre de l’Algérie indépendante. Enterré
au cimetière musulman de Bobigny, le maestro d’Alger repose loin de sa terre natale . Boudjemia Merzak n’a jamais bénéficié d’un éditeur musical. Ses
arrangements symphoniques, ses orchestrations de la musique andalouse, ses
partitions pour le cinéma algérien dorment dans les archives de la Radio-Télévision
algérienne, absentes des conservatoires et des programmes d’enseignement.
. Ainsi, aucune partition éditée n’existe d’Ifriqiya, cette chanson interprétée
par Miriam Makeba au Festival panafricain d’Alger en
1969, composée par Lamine Bechichi, écrite par
Mustapha Toumi, arrangée et dirigée par Merzak lui-même. En novembre 1985, le médaillé d’or du
Festival panafricain de 1969 disparaissait dans l’indifférence., il a vécu les dernières années de sa vie en
France où il a travaillé au sein de l’Amicale des Algériens en Europe en
qualité de conseiller artistique du département culturel. Merzak fut victime d’une double condamnation :
celle d’une époque, balayée par la déferlante du raï qui ne jurait que par ses chebs autodidactes, et celle d’un système qui n’a jamais
considéré la musique savante comme un patrimoine à protéger.Né le 9 mai 1933 à Alger, il décroche le
premier prix d’harmonie du conservatoire municipal et le deuxième prix de
direction d’orchestre en 1966. Il entreprend alors une entreprise inédite :
l’orchestration symphonique de la musique andalouse. Virtuose éclectique, il
dirigeait avec la même exactitude les mouwachahate et
des improvisations inspirées de Charles Mingus. Il compose pour le cinéma
algérien (« L’Opium et le Bâton » d’Ahmed Rachedi
en 1969, « Patrouille à l’Est » d’Amar Laskri
en 1972), mais aucune de ces partitions n’a jamais été publiée. A la
Radio-Télévision algérienne, Merzak fonde un
orchestre symphonique sans équivalent. Il recrute les meilleurs talents :
Mahfoud Djelmani au synthétiseur, les violonistes
virtuoses comme Mohamed Mokhtari, des maîtres du naï
et du luth. Ensemble, ils accompagnent Mohamed Badji, Ahmed Wahby,
Hachemi Guerouabi, Djamel
Allam… Chaque arrangement était un dialogue entre tradition et modernité.
En janvier 1982, Merzak
accepte d’accompagner en simple bassiste Slimane Azem
à l’Olympia. Epoux de la diva Seloua, il incarnait
l’âge d’or des premières années de l’indépendance, quand l’Algérie comptait encore
sept orchestres nationaux. L’union avec Seloua permet
à Merzak, en 1975, de réaliser un geste de génie qui
dit beaucoup de la modernité algérienne des années 1970 : réunir dans un
duo son épouse blidéenne et son ami, le chanteur bedoui
Driassa, pour interpréter Shems,
l’une des plus belles ballades du répertoire algérien. Capté par la télévision
nationale, ce duo marque durablement le public du monde arabe, et
particulièrement en Irak.
Encore aujourd’hui, des centaines d’Irakiens témoignent sur YouTube de
l’empreinte indélébile laissée par Shems sur leur
jeunesse. L’un d’eux écrivait, il y a cinq ans : «Quand
ma fille est née, je lui chantais cette chanson, même si je ne la connaissais
pas bien. Un salut à l’éditeur et à nos frères d’Algérie.»
Le cancer emporte Merzak le 21 novembre 1985, juste
après qu’il eut apporté sa touche reconnaissable — chœurs de violons et
clarinette solitaire — aux derniers titres de l’album « Salimo » de Djamel Allam.