HISTOIRE- OPINIONS ET POINTS
DE VUE- BENJAMIN STORA, NOV.2025
Alors que Paris et Alger
affichent affichent depuis ces dernières semaines
leur volonté de renouer un dialogue plus serein et apaisée, la voix de Benjamin
Stora retrouve une place importante. Historien reconnu des deux côtés de la
Méditerranée, figure constante de l’apaisement même au plus fort de la crise
entre les deux pays, il rappelle que la normalisation reste un objectif
possible, mais fragile. Selon lui, elle demeure « complexe en raison du poids
de l’Histoire et de la géographie », dans un entretien accordé au journal
français Le Télégramme, publié dimanche 23 novembre 2025. Il évoque les « cent
trente-deux ans de présence coloniale » et les traces profondes laissées par
l’implication de «populations diverses : immigrés
algériens, soldats français, harkis ». Il souligne également la proximité entre
les deux rives, rappelant que l’Algérie partage « une frontière maritime de
plus de 1 400 kilomètres avec l’Europe », ce qui en fait un partenaire
incontournable. Pour lui, «les relations entre les
deux pays sont à la fois indispensables et difficiles » et « l’Histoire ne
pourra sans doute jamais être entièrement apaisée ». Il insiste sur le
caractère singulier de la colonisation en affirmant que « l’Algérie n’était pas
un protectorat, mais une partie intégrante du territoire français », ce qui a
fait de l’indépendance « une perte inédite ». Interrogé sur le travail mémoriel
mené depuis plusieurs années, notamment son rapport remis au président Macron
en 2021, Stora estime que « ce n’est qu’un début ». Il juge que ces questions
ne peuvent pas être réglées par « quelques gestes symboliques et autres grands
discours ». Elles nécessitent « une série d’initiatives : l’ouverture
réciproque des archives, la poursuite des recherches, l’écoute des acteurs ».
Il rappelle que l’histoire franco-algérienne est souvent réduite à la seule
guerre d’indépendance alors qu’« elle s’étend sur un
siècle et demi». Selon lui, « un tel chantier est par essence long et délicat »
et il note avoir vu, depuis 1974, « combien les avancées et les reculs se
succèdent ». Si le travail de mémoire reste nécessaire, il précise qu’il n’est
« pas forcément un préalable absolu » à la reprise du dialogue, qui doit aussi
s’appuyer sur « l’économie, la sécurité, les questions migratoires », tout en
encourageant la poursuite de la coopération entre chercheurs des deux rives.
Concernant l’Algérie, Stora estime que « le pays n’est pas totalement figé :
des journalistes continuent de travailler, des maisons d’édition publient ».
Selon lui, les évolutions se font « par à-coups, au gré des rapports de force
internes », alors que « le souverainisme politique demeure très affirmé ». À
propos de l’arrestation puis de la libération de Boualem Sansal, il rappelle
que « les frontières de l’Algérie ont été dessinées par la France », et que
dans l’ouest du pays « le sentiment d’appartenance algérien est profondément
ancré », ce qui explique le rejet de toute idée de rattachement au Maroc. Il
mentionne Mascara, « capitale de l’émir Abdelkader », comme un lieu « au cœur
de l’Histoire nationale ». Le sentiment national, affirme-t-il, « a eu le temps
de s’enraciner et de se forger ». Alors que Paris a opté récemment pour une
diplomatie plus discrète, Stora estime que « la relation doit se construire
d’État à État, dans un rapport d’égalité ». Il met en garde contre les discours
français trop fermes qui « réactivent en Algérie l’image d’un ministère de
tutelle qui se mêle de ses affaires comme à l’époque coloniale ». Pour lui, «
la seule voie valable reste celle du respect mutuel », une formule qui résonne
avec le réchauffement actuellement recherché par les deux gouvernements. Face
aux discours politiques évoquant une « colonisation à rebours », il affirme qu’«il est crucial de sanctuariser les acquis historiques ».
Il rappelle plusieurs gestes officiels dont « restitution de la carte des mines
sous Sarkozy, reconnaissance du 17 octobre 1961 sous Hollande, reconnaissance
de l’assassinat de Maurice Audin sous Macron ». Ce
qui l’inquiète, dit-il, c’est « la possibilité d’un détricotage de ces avancées
». Pour lui, « la colonisation n’a jamais été une entreprise civilisatrice » et
le sujet reste « sensible bien audelà de l’Algérie ».
Il estime enfin que le souvenir de la conquête reste « largement méconnu » en
France et qu’« il n’a jamais été véritablement
enseigné ». Beaucoup imaginent « une conquête pacifique » et pensent que la
France aurait « créé l’Algérie en 1830 », alors que des figures comme « l’émir
Abdelkader, érudit, poète et savant entouré de milliers de livres », témoignent
d’« une société déjà structurée». S’il reconnaît que «
le poids de l’Histoire est indéniable », il rappelle que «la France actuelle
n’est plus celle de 1930». Le régime colonial reposait
sur «une classification raciale des populations», mais
« les imaginaires coloniaux persistent dans la société ». La décolonisation,
conclut-il, « n’a pas entraîné la disparition immédiate de ces représentations
profondes »