COMMUNICATION- FORMATION
CONTINUE- JOURNALISME ET INTELLIGENCE ARTIFICIELLE/ENTRETIEN AHCENE DJABALLAH
BELKACEM.HORIZONS, OCT.2025
© Assia Boucetta/Horizons, jeudi 23 octobre 2025
Belkacem Ahcene
Djaballah, universitaire, auteur et journaliste indépendant,
recommande de «ne pas laisser son intelligence démissionner» face à l’IA.
Le journalisme comme tout autre
métier ne peut échapper à la révolution numérique. L’IA s’est immiscée dans
toutes les rédactions dont beaucoup étaient peu préparées à cette mutation
silencieuse. Des questions se posent et s’imposent, ainsi, sur cet outil aussi
fascinant, efficace que menaçant pour la pensée humaine, la créativité et le
sens critique du métier.Dans cet entretien, Belkacem Ahcene Djaballah, ancien professeur
associé des Universités, journaliste indépendant, auteur, ayant occupé plusieurs
hautes fonctions dans des institutions de l’État, revient sur l’importance de
la formation des journalistes à l’IA qui doit, selon lui, être un outil de
travail et non un substitut à l’intelligence humaine.
Quels sont, selon vous, les
avantages concrets de l’intelligence artificielle pour les journalistes et les
rédactions aujourd’hui?: L’intelligence artificielle peut
constituer une aide inestimable pour accumuler des connaissances et les
diffuser. Cependant, tout comme toute autre nouvelle technologie de la
communication, elle comporte aussi des aspects négatifs. Il ne faudrait pas que
l’élément artificiel occulte le rôle essentiel de l’intelligence naturelle, à
la base de toute créativité et qui a un rôle irremplaçable. Ce qui est normal
du fait que notre intelligence repose sur des perceptions, des sensations et
des sentiments, qui pèsent sur la manière dont les événements sont saisis pour
influencer directement la compréhension.L’IA
est utile dans le domaine scientifique et technologique, mais elle doit être un
outil d’appui dans le travail journalistique où l’être humain doit rester
impliqué dans l’écriture et l’analyse. L’outil est bénéfique, à condition
d’être utilisé avec précaution et de demeurer un simple assistant à la
réflexion humaine, jamais un substitut à la pensée critique et à la sensibilité
du journaliste.
Peut-elle, à votre avis, libérer
le journaliste des tâches répétitives, de relecture et de correction, pour lui
permettre de se concentrer sur l’analyse du sujet traité?: Elle facilite surtout le travail de documentation et de collecte
d’informations, notamment dans les domaines technique ou scientifique. Mais le
journaliste ne doit pas laisser son intelligence démissionner face à ce que lui
fournit la machine. L’IA commet encore de nombreuses erreurs, près de 30 à 40%,
selon les estimations, car elle repose sur ce qui a déjà été écrit ou produit.Or, tout ce qui circule
aujourd’hui n’est pas forcément fiable. Il faut donc redoubler de vigilance
et vérifier chaque donnée. L’intelligence artificielle doit rester un outil
d’assistance. Elle peut aider à gagner du temps, mais la rigueur, le sens
critique et la nuance demeurent des qualités humaines irremplaçables.
Peut-on considérer l’intelligence
artificielle comme une véritable révolution pour les médias ou une arme à redouter?: Elle accélère la circulation de
l’information et élargit le champ d’action du journaliste. Mais il faut éviter
la précipitation, source d’erreurs parfois graves. En se basant uniquement sur
les contenus existants, on risque de diffuser des informations fausses ou incomplètes,
d’où l’importance de bien vérifier les sources d’information. Il est donc
essentiel de ne pas sacraliser l’intelligence artificielle qui peut parfois
nous jouer des tours avec notamment les fake news.Cette technologie représente une évolution
majeure, certes, mais elle ne remplace ni le discernement ni la responsabilité
éditoriale. Le véritable progrès réside dans la capacité du journaliste à conjuguer
rapidité technologique et profondeur humaine dans le traitement de
l’information.
L’IA peut-elle stimuler la
créativité ou menace-t-elle d’affaiblir la dimension humaine du métier?: Les outils modernes simplifient
le travail, mais ce qui compte, c’est l’usage qu’on en fait. Le contenu prime
sur la technologie. Ce sont les questions, les idées et la manière de traiter
l’information qui font la valeur d’un travail journalistique. La technologie ne
doit jamais devenir une fin en soi, mais rester au service de la pensée et de
la créativité du journaliste. L’IA peut aider à compléter une analyse, mais
elle ne remplace pas le discernement humain. L’essentiel reste la qualité de la
réflexion. La créativité véritable naît de la sensibilité et de l’expérience,
deux dimensions que la machine ne peut ni ressentir ni reproduire.
Quel rôle doit jouer le
journaliste dans un futur dominé par l’intelligence artificielle?: Le journaliste ne sera dépassé que s’il se contente de la routine. Il doit
évoluer avec son époque, s’adapter aux outils et se former en continu. Informer
implique aussi une forme d’éducation. Le journaliste doit lui-même
s’auto-former pour rester à la hauteur des événements, qui se déroulent à un
rythme rapide. S’il ne s’adapte pas, il sera inévitablement dépassé, au
détriment de la profession et du lecteur. Le journaliste doit connaître les
outils modernes pour rester à l’avant-garde. Mais au-delà de la maîtrise
technique, son rôle reste avant tout d’interpréter, de donner du sens et de
préserver la dimension humaine de l’information. C’est cette responsabilité
éthique et intellectuelle qui garantira sa place dans un avenir dominé par
l’intelligence artificielle.
Faut-il une formation spécifique
en intelligence artificielle pour les journalistes afin d’en tirer le meilleur
parti tout en évitant les dérives?: Le journaliste doit avant tout se former par lui-même. Les institutions
peuvent l’accompagner, mais c’est à l’université d’assurer la formation de base
et de mettre à jour régulièrement leur programme de formation pour qu’il soit
adapté aux mutations technologiques. Ensuite, dans son environnement
professionnel, le journaliste doit s’adapter aux nouvelles techniques. Il ne
faut pas attendre que d’autres le fassent à sa place. Je suis personnellement
réservé sur les formations improvisées. Les journalistes doivent prendre ce
volet en charge et se former en continu pour pouvoir s’adapter à la nouvelle
donne au risque d’être dépassé par l’évolution de ce métier.
L’intelligence artificielle
peut-elle aider les petites rédactions à rivaliser avec les grands groupes de
presse, dans la mesure où elle peut remplacer l’humain dans certaines tâches? L’IA est un outil. Si on ne la maîtrise pas, elle reste sans effet, quelle
que soit la taille de l’entreprise qu’on gère. Les grands groupes disposent
certes de moyens, mais les petites rédactions ont, elles aussi, leur proximité
et leur réactivité. Tout dépend de la compétence humaine, car c’est
l’intelligence naturelle, ouverte sur le monde et la modernité, qui fait la
différence. Ce sont la créativité, l’engagement et la connaissance du terrain
qui permettent aux petites rédactions de se distinguer, bien plus que la
puissance technologique.