CULTURE-
RELIGION- CATHOLICISME/ ÉGLISE DE CONSTANTINE HIPPONE
L'Église de
Constantine-Hippone approfondit sa filiation avec saint Augustin
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réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican
Siège
diocésain autrefois dirigé par saint Augustin lui-même, l’Église de
Constantine-Hippone en Algérie voit son nouvel évêque ordonné ce samedi 18
octobre. Mgr Michel Guillaud, en Algérie depuis 20 ans, était jusqu'à présent
administrateur de ce diocèse vacant. Avant son ordination épiscopale ce samedi
en la basilique de Saint-Augustin à Annaba, nom actuel d'Hippone, il nous
évoque toutes les particularités de cette Eglise locale. Entretien.
A quoi ressemble la vie spirituelle dans
votre diocèse?
L’état de santé spirituel est bon. Nous avons une
belle communion entre nous. D’autant plus que chaque paroisse est éloignée de
plus de 100 kilomètres l'une de l'autre. Nous avons toujours bonheur à nous
retrouver, à nous stimuler ensemble. Nous avons sept lieux dans sept villes
avec un lieu de culte et une communauté. Il y a des chrétiens dans d'autres
endroits, mais qui quelquefois font plus de 100 kilomètres pour rejoindre la
communauté chrétienne le week end. Nous avons un
grand territoire, une grande population. Nous sommes une petite Église
numériquement, très variée. La majorité des fidèles sont des
étudiants d'Afrique subsaharienne à qui l'Algérie donne généreusement
des bourses sans s'enquérir de leur religion. Elle les accueille qu'ils soient
chrétiens ou musulmans. Il y a aussi quelques enfants du pays qui ont adhéré et
qui suivent le Christ. Il y a des prêtres et religieuses qui en général
viennent de l'étranger, que ce soit du continent africain, européen, américain.
Cette variété nous amène des défis comme le défi
linguistique. Il s'agit de parler à la fois en français, qui est la langue un
peu traditionnelle de l'Église locale historiquement, mais aussi en anglais,
parce que beaucoup des étudiants sont anglophones et que l'Algérie aujourd'hui
fait le choix de l'anglais comme première langue étrangère, ce qui est une
nouveauté. Il faut parler aussi en arabe, éventuellement en tamazight, la
langue des chaoui ou des Kabyles. Il y a aussi des lusophones. Derrière les
langues, il y a aussi les différences de cultures, y compris dans les manières
de célébrer. Mais nous vivons cela avec bonheur et avec joie.
Comment l’héritage historiquement
lointain de Saint Augustin, évêque d’Hippone, demeure-t-il présentement vivant?
Plus que jamais. D'abord parce que nous avons la
basilique Saint-Augustin sur la colline d'Hippone, dans la ville aujourd'hui
d'Annaba qui est bien visible et qui est un lieu où affluent les visiteurs, à
90% ou 98% des Algériens musulmans, et heureux de ce patrimoine. Pour nous,
c'est aussi la seule église de notre diocèse. C’est à dire le seul bâtiment
construit pour être une église. Tous nos autres lieux sont des salles
aménagées, bien aménagées, mais n'ont pas été construits comme église, cela
peut être le sous-sol d'une maison.
Saint Augustin est le patron de notre diocèse, et il a
pris une actualité encore nouvelle avec notre Pape Léon XIV, dont l’une des
premières phrases a été de dire "je suis fils d'Augustin".
Tous les Algériens ont tremblé en se disant “Est ce qu'il est d'Algérie?" Ils se sont mis à chercher un
Mohamed Prevost. Et puis ils ont compris que ce n'était pas, bien qu'Américain,
fils ou petit fils de migrant, quelqu'un d'origine algérienne, mais que sa
filiation avec Augustin était d'un autre ordre.
Pour nous, comme pour les Algériens, nous nous sommes
réinterrogés sur ce que cela signifie d'être fils d'Augustin. Est-ce uniquement
par fierté, parce qu'il a grimpé presque au sommet de l'Empire romain? Est-ce parce que c'est l'Algérien le plus connu dans
le monde, au moins dans les universités de philosophie ou de théologie?
Est-ce parce qu'il y a, dans la manière dont il a vécu et dans quelques aspects
de sa pensée, quelque chose qui est toujours source d'inspiration?
Cela nous a renvoyés à tous cette interrogation.
Quelle est la teneur du dialogue
interreligieux avec les musulmans dans votre diocèse?
C'est le quotidien de nos vies. Il y a beaucoup de
journées où l’on ne rencontre que des musulmans. Que l'on soit étudiant à
l'université, que l’on soit prêtre ou religieuse. Ceux qui franchissent le
seuil de nos lieux d'Église sont d'abord des musulmans qui viennent par amitié
pour une activité, pour une visite.
Nous n'avons pas beaucoup de choses au plan
institutionnel mais ce n'est pas d'abord ce que nous cherchons. Les Algériens
ont la sensibilité spirituelle à fleur de peau. Là où dans d'autres pays, la
sécularisation prédomine, ici nous exprimons la foi qui nous habite de facon très spontanée. C’est un partage presque quotidien.
C'est très fort.
Quelles vont être vos priorités pastorales?
Elles ont déjà été fixées par le précédent évêque et demeurent: se structurer dans notre foi chrétienne, affermir
la communauté locale et creuser nos relations avec les autres, avec le monde
musulman. J'ai évoqué le défi des langues et des cultures différentes,
mais il y a aussi celui de la communauté. Nous avons des paroisses où il n'y a
pas de prêtre à demeure et qui ont la messe dominicale deux fois par mois. Mais
elles se réunissent régulièrement.
Qu'est ce qui fait une communauté?
Est-ce d'abord la présence d'un prêtre ou est-ce la présence de chrétiens qui
se réunissent, s'organisent, y compris pour partager ensemble sur la Parole de Dieu? J'étais à Béjaïa, l’une des paroisses du diocèse. Ils
ont un prêtre deux fois par mois le vendredi, puisque nous célébrons la messe
dominicale le vendredi, jour de congé. Le dimanche, tout le monde est au
travail ou aux études. Le vendredi où il n'y a pas de prêtre, ils se
réunissent, ils célèbrent, deux d'entre eux, à tour de rôle. C'est une mission.
Ce n'est pas une question de volontariat. Qui commente la Parole de Dieu? Comment retentit-elle dans leur vie?
Il faut vraiment que chaque communauté arrive à vivre cela. Quand il y a un
prêtre, c'est une grâce supplémentaire et on célèbre l'Eucharistie.
Nous avons bien sûr le défi des permanents d'Églises,
prêtres, religieuses. Nous manquons aussi de volontaires, pour animer nos
communautés, pour un certain nombre de services. L’économe doit etre renouvelé. La difficulté d'obtention de de visas nous
ralentit. Il y a un défi aussi de ressources matérielles dans une Église dont dont les fidèles sont à 90% des étudiants. On essaie de
faire face, on a confiance. Le Seigneur a fondé son Église, il a son projet.
Comme le dit Augustin, on chante "l'Alléluia de la route",
c'est-à-dire l’Alléluia de la certitude que le Seigneur nous accompagne, même
si, c'est un Alléluia quelquefois difficile, mais il nous porte.
Selon vous, quel est le témoignage de
votre Église locale au sein de l’Église universelle?
Que lui dit-elle?
L'Église universelle sait ce qu'elle reçoit et ce qui
la touche. Nous essayons d'avancer très modestement. Devant les vicissitudes,
nous essayons de continuer à aimer, chanter et avancer. Ce sont les trois mots
de la pensée d'Augustin que j'ai retenu comme devise “aime, chante et marche
et va de l'avant”. Chaque Église a ses défis. Mais là aussi, c'est signe
d'encouragement. Que l’on s’encourage mutuellement est précieux.
En cette Année sainte du Jubilé, aussi
celle de votre ordination épiscopale, quelles espérances chérissez-vous?
A
mon ordination, le 18 octobre, il va y avoir peut être
400 personnes. C'est la capacité maximale de la basilique. Parmi eux, je pense
qu'il n'y aura pas plus de la moitié, sans doute moins de la moitié, qui seront
des catholiques. Une part d'entre eux seront les étudiants d'Afrique
subsaharienne, d'autres dénominations chrétiennes. Au moins un tiers seront des
amis musulmans, peut-être plus encore. Le défi pour nous, c'est vraiment que la
bonne nouvelle que nous annonçons, dont nous sommes porteurs, soit bonne
nouvelle pour tous. Qu’elle ne soit pas ressentie comme une menace, comme une
concurrence, comme un travail pour nous, mais un travail au service de tous.
Une Bonne nouvelle pour tous.