.CULTURE- ENQUÊTES ET REPORTAGES- ÉMIGRATION ALGÉRIENNE EN
FRANCE (2025)
© R.Hammoudi,
Horizons, 18 octobre 2025
L’émigration algérienne qui, pour l’ »’essentiel
, s’est installée, pour des raisons historiques
et économiques, au début du siècle dernier, en France, a été, pour la culture
nationale, ce qu’est un puissant affluent
pour un fleuve.
La chanson a sans doute le plus et mieux reflété la condition de milliers
d’hommes arrachés à la terre natale, même si d’autres expressions artistiques
ont fleuri pour exprimer leur désarroi et leurs rêves. La poésie chantée a
permis d’entretenir une mémoire et s’est révélée une catharsis pour des âmes
déchirées car l’exil était assimilé à une perdition. «Rayah» (le partant) chez Dahmane
El Harrachi et d’autres vivait dans
l’attente de l’inéluctable retour. Le répertoire est riche et la liste des
chanteurs de l’exil est longue. De nombreux chercheurs (Mahfoufi,Yahi, Abdi, Mokhtari... )
se sont penchés sur le sujet et ont analysé un épais corpus. Dahmane El Harrachi, Slimane Azem, Guerouabi, El Ghalia, Akli Yahiatène, Mazouni, El Hasnaoui, Salah Sadaoui... ont, parmi des
dizaines d’autres, décrit cette «ghorba
saiba» (dur exil. Depuis les années 1940, les chants répertoriés
par Ahmed Hachelaf dans son ouvrage «Anthologie
de la musique arabe – 1906 1960» donnent la mesure de la fabuleuse richesse de
cet apport. Pour l’histoire, Hachelaf, parti faire
des études de journalisme à Paris, fut le premier à enregistrer pour la
Radio «Ya Oumi», la première
chanson de Warda El Djazairia alors âgée de 12 ans.
Cette tradition, sous d’autres formes, se perpétue avec les chebs
du Rai, dans la chanson kabyle (Ali Amrane, Kamel El Harrachi), sans rompre les liens avec nos traditions
et sonorités musicales. Toutefois, l’image de l’exilé et son décor ont changé.
Chez le regretté Kamel Messaoudi, ce n’est pas le
paysan parti pour revenir mais celui qui a abandonné sa mère et changé de
nationalité. Dans une complainte émouvante, Takfarnias
pleure la perte des enfants, l’impuissance et la résignation des parents.
S’agissant du 7e art, des cinéastes vivant ou nés à l’extérieur du pays ont
réalisé des films sur la vie de l’émigré dont la vie chantait. Lounis Aït Menguelet a interprété
une chanson qui aborde le perpétuel va-et-vient entre l’usine, le boulot et le
foyer. L’émigré est un personnage
familier dans le cinéma algérien. La liste des films où il apparaît sous les
traits du travailleur déraciné souffrant de solitude ou du harrag
désabusé ou tentant de se construire est très longue. La documentaliste Yamina Benguigui, fille d’émigré, a réalisé une série sur
l’histoire et l’évolution de l’émigration, ou le cinéaste Mahmoud Zemmouri qui, dans «Prends dix
mille balles et casse-toi», traite, sur un ton léger, de la relation avec le
pays d’origine. Rachid Bouchareb, dans l’un
de ses premiers film «Cheb», Mehdi Charef qui a débuté
comme romancier, avant d’empoigner la caméra, Ali Akika,
Abdelkrim Bahloul, Okacha Touita se
tournent vers leurs racines algériennes. Dans son film
«Cartouches gauloises», l’été 1962 est vu à travers les yeux d’un
enfant. Cette remontée des souvenirs de
la guerre est partagée par de nombreux créateurs qui, depuis quelques années, intègrent les
événements du 17 Octobre sur lesquels a travaillé Linda Amiri
et d’autres historiens comme Malika Rahal ou Karima Direche
qui ont enrichi une bibliographie déjà très dense sur la mémoire de
l’émigration algérienne. S’agissant d’arts plastiques, beaucoup de
peintres, comme Mustapha Raith, sont nés en France et
d’autres ont opté pour ce métier, par la force des exilés. Ainsi, Rachid Korichi, Ali Silem et d’autres
continuent de peindre. Par ailleurs, le Centre culturel algérien à Paris
organise régulièrement des expositions dont la dernière est celle de Sedjal Mustapha qui se déroulera du 17 au 6 novembre. Hamza
Boubekeur, installé en Belgique, se nourrit de son
attachement au pays pour chanter mais surtout peindre. Les écrivains
algériens ont beaucoup écrit sur le déracinement. Il suffit de relire «La terre et le sang» de Mouloud Feraoun pour découvrir
l’univers des mineurs durant les années 1950, et plus tard,Rachid
Boudjedra suit dans «Topographie idéale pour une
agression caractérisée» paru en 1975, raconte les tribulations d’un émigré
perdu dans les méandres du métro. L’exil physique et symbolique traverse
également les œuvres de Mohammed Dib dans sa trilogie nordique,d’Assia Djebar et de Nabil Fares. De plus jeunes romancières, comme Keltoum Staali, Amira Hassani et Meryem Belkaid,
s’inspirent beaucoup du thème du départ et de la nostalgie. Toute une
littérature qualifiée de beur avec ses noms connus (Kalouaz, Elghoul, Sebbar, Begag, Tadjer, Guene) traduit l’appartenance à une terre, à une culture
mais aussi le sentiment d’écartèlement. Théâtre Comedy
Club, «Houria yeux bleus», ils sont nombreux les
artistes qui, en solo ou collectivement, alimentent l’imaginaire des Algériens
par des comédies légères ou des pièces plus élaborées. Depuis quelques
années, les Algériens vivent dans d’autres pays d’Amérique du Nord, d’Europe,
du Moyen-Orient, ne se limitant plus à la France ou à la Belgique. Des noms
surgissent de ces contrées pour porter un regard sur les réalités et les
attentes différentes des «néo-émigrés» et éclairer la
nature de leurs relations avec le pays et la culture d’origine