HISTOIRE-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN TAHAR DJAOUT- « LES CHERCHEURS D’OS »
Les chercheurs d’os. Roman de
Tahar Djaout. Editions Quipos, Alger 2014 (Le Seuil,
1984). 174 pages, 900 dinars
L'Algérie au lendemain
de son indépendance. Les habitants d'un petit village kabyle décident de
rechercher les dépouilles de ses combattants, tombés un peu partout au cours de
la guerre de libération, pour les réenterrer chez eux. Accompagné de Rabah
Ouali, un de ses parents, un adolescent se joint à un convoi de « chercheurs
d'os », pour tenter de retrouver les restes de son frère aîné. Il va se heurter
à un univers nouveau, découvrir la ville, la solitude au sein des foules, leur
indifférence cruelle.
C'est
la première fois qu'e ce jeune homme sort -pour la première fois - de sa
montagne kabyle. Sous ses yeux, il découvre les villages et la ville. Il
s'ouvre à un monde si proche géographiquement mais si lointain
psychologiquement, un monde parfois violent,
celui des
adultes, dans une société en mutation qui passe de la domination coloniale à la
souveraineté nationale. Quand, au terme de sa
mission, il retourne parmi les siens avec son macabre fardeau, ce voyage l'a
transformé. Il ne peut plus jeter le même regard qu'avant sur le monde adulte.
Pourquoi récupérer les os de son frère, les inhumer dans ce village que ce même
frère haïssait de son vivant ? Qu'est-ce que cette quête, sinon une façon pour
ceux qui ont survécu de se rassurer, d'en finir avec leurs propres fantômes ?
Et pour cette communauté repliée sur des coutumes et des préjugés d'un autre
âge, d'oublier qu'elle est sans doute plus morte que les morts qu'elle
ensevelit.
L’auteur, dans son roman , donne une masse d’évènements caractérisant la société de son
époque ; plus précisément le
conflit de génération ainsi que sa position vis-à-vis de ce conflit. On a , entre autres, la relation entre les personnages de
différentes générations, une relation non-dite et qui peut etre
qualifiée de « conflictuelle ». De plus, il cite des caractéristiques humaines,
des phénomènes sociaux tels que l’hypocrisie, la corruption…etc. Concernant,
l’analyse de l’espace, une comparaison est faite par le personnage narrateur
entre deux espaces opposées : l’espace citadin qui traduit le dynamisme et la
vivacité des jeunes, et l’espace rural qui symbolise la passivité et la
vieillesse. Il constate que l’atmosphère funèbre de son village (« aux
mœurs rectilignes où les gens n’osent même pas éternuer de façon inédite » ) réside dans la somnolence des vieillards enfermés dans
la « djemâa »
L’Auteur : Journaliste, poète, écrivain, né
le 11 janvier 1953 à Ighil Ibahriyen
(Oulkhou) , près de Azzefoune. Licence de maths’ et études en sciences de l’inforamtion. Auteur de plusieurs ouvrages. Grièvement blessé dans un attentat le 26
mai 1993 à la sortie de son domicile (Baïnem) , il meurt le 2 juin 1993 à Alger. Il est l'un des premiers intellectuels
victime de la « décennie noire » en
Algérie et des attentats islamo-terroristes..
Extraits : « Le
peuple tenait à ses morts comme à une preuve irréfutable à exhiber un jour
devant le parjure du temps et des
hommes » (p 10) , « La
mort, jadis, c’étaient les vieillards gagnés par la décomposition, les membres
gangrénés qui suppurent, c’étaient les malades cuvant quelque épidémie et dont
les êtres les plus chers finissaient par être lassés ou dégoûtés.Mais,
un jour la mort avait pris le visage de la vigueur et de la grâce juvénile, le
visage d’une jeunesse éternelle foudroyée soudain en plein envol » (pp
30-31), « L’avenir, mon enfant, est une immense papeterie où chaque
calepin et chaque dossier (note : à propos des attestations
communales de moudjahid ) vaudront cent fois leur pesant d’or.Malheur à qui ne figurera pas sur le bon
registre ! » p 43), « Nous sommes un peuple où la vie active
débute très tôt :berger à quatre ou cinq ans, laboureur à treize, père de
famille à dix-sept ou dix-huit.A l‘âge de trente
-cinq ans on cesse d’aller la tête découverte et de porter des pantalons
« européens ».On arbore un chèche et les vêtements amples du
pays » (p 86), « La guerre qui
vient de prendre fin constitue le noyau de la discussion, mais les
consommateurs parlent aussi du temps présent, de la manière d’avoir des biens
et des postes dans l’administration » (p 139), « L’acharnement de la
famille est plus malfaisant que toutes les légions de l’enfer. La famille vous
harcèle de votre vivant, multiplie les entraves et les baillons et, une fois
qu’elle vous a poussé vers la tombe, elle s’arroge des droits draconiens sur
votre squelette » (p 168)
Avis : Une œuvre réaliste, qui reflète la société
dans laquelle elle a été produite. À
re—découvrir pour mieux comprendre les bouleversements sociétaux et culturels
durant l’après-indépendance. Grâce à une écriture ,
claire, directe, belle, mêlant prose et poésie.....introuvée ailleurs par la
suite .Une écriture
qui révèle une grande richesse
sémantique et qui s’inscrit parfaitement dans le contexte.
Citations : « Le sujet préféré et inépuisable
des habitants de ce pays , c’est la bouffe » (p
57), « Il ne faut pas que l’écoulement de la sève nous fasse oublier
la promesse du fruit. Le sang est parfois nécessaire pour irriguer la chair du
fruit et la pourvoir de ce rouge qui en faut une chair accomplie » (pp
123-124)