CULTURE- PERSONNALITES- MOHAMED BOUDIA
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dimanche 29 juin 2025.Extraits
Sa trajectoire fulgurante, profondément
enracinée dans les luttes révolutionnaires du XXe siècle, continue de résonner.
Le 28 juin 1973, il est assassiné à Paris par le Mossad, avec la complicité de
services français. Cinquante-deux ans plus tard, deux livres essentiels lui
redonnent parole et densité :
l’un en français, Œuvres
(Éditions Premiers Matins de Novembre), l’autre en arabe, le roman قلب
في أقصى
اليسار (Un cœur à l’extrême gauche) de
Salim Abadou (Éditions El Amir, Marseille, 2023).
Né le 24 février 1932 dans la Casbah
d’Alger, Mohamed Boudia connaît très jeune la prison,
arrêté alors qu’il est apprenti tailleur. Il y rencontre l’injustice, et
croise, par le biais d’un bureau social, le théâtre. Dès lors, art et révolte
ne feront plus qu’un. Il intègre le Centre régional d’art dramatique d’Alger,
puis part à Dijon pour son service militaire. La révolution du 1er Novembre
1954 éclate. Il rejoint Paris et la Fédération de France du FLN, où il devient
une figure stratégique. Il participe notamment à l’opération Mourepiane (Marseille, août 1958), avant d’être arrêté,
jugé par le tribunal militaire, et incarcéré à la prison des Baumettes à
Marseille, puis à Fresnes.
C’est dans ces murs qu’il révèle pleinement
son génie créatif et sa détermination. Il monte Le Malade imaginaire de
Molière en derdja devant 1 000 détenus, rédige
Naissances et L’Olivier, fonde une troupe théâtrale derrière les barreaux. Il
est transféré à Angers, s’en évade en 1961 grâce au réseau Curiel,
et rejoint l’équipe théâtrale du FLN à Tunis. En 1962, il est nommé à la tête
du Théâtre national Algérien (TNA), puis cofonde les journaux Novembre et Alger
ce soir.Dès
1965, il s’exile en France et rejoint le Front populaire de libération de la
Palestine (FPLP), devenant un cadre actif de la résistance palestinienne en
Europe.
Le 28 juin 1973, une bombe placée sous
sa voiture par le Mossad le tue à Paris. Son nom sera même cité dans le
film Munich de Steven Spielberg, éveillant bien des curiosités
sur « l’Algérien
Mohamed Boudia ».
Deux livres pour une mémoire rebelle :
1.
Mohamed Boudia – Œuvres (1962-1973), Éditions
Premiers Matins de Novembre, 2024. Préfaces de Nils Anderson, Djilali Bencheikh, Jean-Marie Boëglin,
Rachid Boudia. Cette publication majeure rassemble
pour la première fois ses textes politiques, pièces de théâtre, poèmes et
nouvelles. Pensé comme une biographie politique par ses écrits, ce volume donne
accès à une pensée stratégique, poétique et combattante. L’homme qui écrivait
dans la clandestinité, qui portait la révolution à la scène, réapparaît dans
toute sa complexité. On y retrouve le militant de la Fédération de France du
FLN, le fondateur de la revue Novembre, le dramaturge de la prison, l’agent de
la cause palestinienne, l’intellectuel internationaliste. Ce corpus lève un
silence durable autour d’une œuvre immense, marquée par la guerre de
libération, la lutte contre l’impérialisme, mais aussi une langue vivante,
populaire, enracinée.
2. قلب في
أقصى اليسار (Un cœur à
l’extrême gauche) de Salim Abadou Éditions El Amir,
Marseille, 2023. Ce roman de Salim Abadou est une
merveille de littérature et de mémoire. Il ressuscite la voix de Boudia à travers une fresque romanesque vibrante, mêlant
récit, dialogues et fragments de pensée. On y découvre des épisodes méconnus,
comme son passage à la prison des Baumettes, où il fonde une troupe théâtrale.
L’écriture d’Abadou, fluide et cinématographique,
mériterait une adaptation pour le grand écran.
La force du livre réside dans sa
capacité à mêler les histoires croisées de la gauche révolutionnaire, de
l’Algérie à la Palestine, en passant par l’Europe et l’Amérique latine.
L’auteur tisse des liens entre Boudia, Che Guevara,
Georges Habache, les Black Panthers, Carlos, et même
des intellectuels juifs anticolonialistes. C’est un roman politique, mais aussi
un hommage vibrant à l’universel des luttes. Le cœur à l’extrême gauche y bat
encore.
Un héritage plus vivant que jamais : Grâce à ces deux
livres, Mohamed Boudia n’est plus seulement une
silhouette dans un générique de film ou une figure d’archives : il redevient un
homme en lutte, un esprit libre, un écrivain de la dignité. Il redevient celui
qui disait :« L’indépendance ne peut se limiter au drapeau ; elle doit toucher
les esprits, les corps, les imaginaires. ».
Sa vision du théâtre comme outil d’éducation
populaire, son refus des impérialismes, sa volonté d’unir les peuples opprimés
: tout cela demeure brûlant d’actualité.