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Abderrahmane Benkortbi (Agent de sécurité Sntf)

Date de création: 18-03-2025 14:16
Dernière mise à jour: 18-03-2025 14:16
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POPULATION- PERSONNALITES- ABDERRAHMANE BENKORTBI (AGENT DE SÉCURITÉ SNTF)

©  FARID AÏT SAÏDA/El Moudjahid, 17 mars 2025

F in juillet 2024. La moiteur de l’air et la chaleur en ce début d’aprèsmidi estivale n’incitent pas à mettre le nez dehors dans les rues de la Chiffa. Entourée d’un oued qui porte son nom et du massif blidéen, la ville est située dans une cuve sur l’ancienne RN1 qui mène vers le sud et à l’intersection des deux autoroutes nord-sud (A1) et ouest (A3). A la gare ferroviaire, l’activité est au ralenti. Il est vrai qu’il s’agit d’une gare de banlieue et non pas d’une gare urbaine, ce qui fait que seuls les trains de banlieue assurant la liaison entre Alger et El Affroun y effectuent des arrêts. Abderrahmane Benkortbi, l’un des agents de sécurité, déambule entre la salle d’attente et le quai. Agé de 33 ans, grand de taille, le teint clair, le visage enfantin aux traits réguliers, il assure la brigade du matin, lui qui, en compagnie de ses collègues, est soumis au système de rotation entre les trois brigades de surveillance. Rien de particulier à signaler, mais il inspecte quand même les lieux. Voilà qu’il croise, à l’entrée de la gare, un habitué de la gare qui habite la ville. «Abdou, quelqu’un a oublié son sac-à-dos dans la salle d’attente», lui dit-il négligemment. Abderrahmane se rend de suite à la petite salle d’attente et trouve effectivement un sac-à-dos entre deux sièges. Constatant que la gare était vide, il prend le sac et se rend au vestiaire des employés pour l’inspecter. «La première chose qui m’a frappé est que le sac était plutôt lourd. Je m’étais dit, sur le coup, qu’il contenait sans doute des livres et qu’il s’agissait d’un sac-à-dos appartenant à un étudiant», nous raconte-il. Mais quelle ne fut sa surprise en découvrant, une fois qu’il ouvre le sac, de grosses liasses de billets de 2 000 et 1 000 DA dans des sachets noirs. «Au vu du nombre de sachets et de l’épaisseur des liasses, j’ai vite compris qu’il s’agissait d’une grosse somme.» «Ce sac appartient à un jeune ou à une dame ?» Gardant son sang-froid, il range le sac-àdos dans son propre sac pour le mettre à l’abri des regards indiscrets et exécute le protocole prévu en pareil cas : il informe son autorité hiérarchique, la Direction de sécurité du patrimoine (DSP), relevant de la Sûreté interne, ainsi que la Sûreté nationale. Une fois revenu dans la salle d’attente, il remarque un homme qui entre précipitamment et qui demande au guichet de ventes des tickets si on n’avait pas trouvé un sac-à-dos appartenant à un jeune homme. Abderrahmane ne réagit pas, attendant de voir la suite. Ayant obtenu une réponse négative, l’homme sort, puis revient quelques minutes plus tard et demande à Abderrahmane, qu’il croise à l’entrée de la gare, s’il n’a pas trouvé un sac appartenant à une dame. «Vous avez dit, il y a quelques minutes, que vous cherchiez un sac-à-dos appartenant à un jeune homme et vous dites à présent qu’il appartient à une dame. Ce n’est pas cohérent», lui répond-il, méfiant. L’homme explique que le sac appartient à sa cousine et que c’est son fils, qui l’accompagnait, qui l’avait oublié à la gare. Puis, prenant son téléphone, il appelle une dame et demande à l’agent de sécurité de à lui parler. Abderrahmane prend le téléphone et parle à la dame. «Elle me parlait en pleurant, me suppliant de retrouver son sac-à-dos. Elle m’a expliqué qu’elle revenait d’Oran où elle avait vendu un bien immobilier pour en acheter un moins cher à la Chiffa et utiliser la somme qui restait pour soigner son fils atteint d’un cancer. Vu son intonation et ses sanglots, il était impossible qu’elle joue la comédie. Je l’ai donc rassurée en lui affirmant que son sac-à-dos a été trouvé et qu’il était entre de bonnes mains, l’enjoignant de venir en personne le récupérer, comme le stipule la réglementation «Madame, ce n’est pas à moi de vous restituer l’argent» La dame ne tarde pas à arriver, les yeux encore rougis, et réclame de suite le sac-à-dos pour être rassurée. «Non, madame. Ce n’est pas à moi de vous le restituer. Ma hiérarchie a été avertie, ainsi que la police. C’est à la police de vous rendre votre sac», lui explique-til calmement. Un quart d’heure plus tard, la police arrive à la gare ferroviaire. L’officier, en bon professionnel aguerri à ce genre de situations, pose à la dame les questions qu’il faut pour vérifier que le sac-à-dos était bien le sien : «Décrivez-moi le sac-à-dos ?» ; «De quelle couleur est-il ?» ; «Qu’y avait-il à l’intérieur ?» Abderrahmane pense, en son for intérieur, qu’il a cru la dame instinctivement alors que l’officier est plus méthodique et plus professionnel. Les réponses de la dame sont exactes. «A présent, la dernière question : combien y avait-il dans le sac ? Je ne veux pas d’un chiffre approximatif. Il faut donner la somme exacte comme ultime preuve que vous êtes propriétaire du sac», demande l’officier: «Il y a 470 millions de centimes», affirme la vieille. ` Les policiers ouvrent le sac-à-dos, comptent les liasses de billets et trouvent effectivement la somme indiquée. Après quoi, Abderrahmane et la dame se rendent au commissariat pour les vérifications d’usage pour s’assurer que l’argent n’est pas le produit d’un vol ou d’une opération illicite et l’établissement du procès-verbal prévu par la loi, puis chacun est rentré chez soi. «Depuis, j’avais oublié cette affaire. J’avais fait ce que j’avais à faire, sans plus. «J’étais tout seul avec l’argent, avec Allah soubhanou et le chitane» Si sa famille n’a pas eu vent de l’affaire au moment des faits, c’est pour une raison bien simple : Abderrahmane n’habite pas à la Chiffa. Plus dramatique encore : il n’habite même pas dans la wilaya de Blida. Cet agent exemplaire vit dans une autre wilaya, Médéa, plus précisément au quartier Aïn Dhab (exDamiette), situé à la sortie ouest de la commune de Médéa. Ainsi, pour se rendre à la Chiffa et gagner sa vie, il effectue quotidiennement, depuis 11 ans, un trajet de 37 km. «Lorsque le transport public est disponible, cela me prend environ une heure et 15 minutes pour chaque trajet. Le problème est que le transport entre Médéa et Blida s’arrête à 17h en hiver. Alors, je fais de l’auto-stop pour me rendre à la Chiffa lorsque je travaille la nuit ou pour rentrer chez moi quand je travaille de jour», avoue-t-il avec candeur. Cela ne fait que rehausser la noblesse de son geste là où un autre aurait pu garder l’argent pour lui. «Il n’y a pas de caméra de surveillance dans la salle d’attente et dans le vestiaire, j’étais seul, mais il y avait aussi Allah soubhanou et le «chitane» (diable). El hamdoulillah, je n’ai pas faibli et j’ai fait ce qui était en conformité avec mon éducation, mes principes et la personne que je suis», révèle-t-il. «J’ai même pensé porter une bavette pour qu’on ne me reconnaisse pas» Cependant, comment se fait-il qu’une affaire qui s’était déroulée l’été dernier, donc voilà plus de sept mois, n’ait été ébruitée qu’il y a trois semaines ? «En fait, ce n’est même pas moi. Comme je vous l’ai dit, je n’ai parlé de cette affaire à personne et je l’ai presque oubliée. Il se trouve qu’à la fin de l’année dernière, la SNTF avait organisé une cérémonie pour m’honorer, mais je ne m’y étais pas rendu, car comme je le répète depuis le début, je n’ai pas fait cela pour m’en vanter ou pour me montrer. C’était entre Allah et moi. Or, comme je ne m’étais pas présenté à la cérémonie, la SNTF a envoyé le cadre d’honneur qui m’était destiné à mon domicile et je l’ai accroché dans ma chambre. C’est là que mon frère Abdelhak a appris ce que j’avais fait. Alors, par fierté pour la famille, il a pris une photo du cadre d’honneur et l’a publiée sur la page Facebook de la ville de Médéa en racontant l’histoire. C’est de là que la médiatisation est partie, alors que je suis resté volontairement anonyme durant sept mois», expliquet-il. Depuis, son quotidien a changé. «Croyez-moi : ça n’arrête pas ! On me salue dans la gare, on me congratule dans les rues de la Chiffa, on me félicite… A Médéa, n’en parlons pas ! J’ai même pensé à porter une bavette pour qu’on ne me reconnaisse pas, tellement on m’arrête à chaque coin de rue». Son geste a été tellement encensé, surtout au vu de sa situation sociale, que le ministre des Transports, Saïd Sayoud, a tenu à l’honorer. «Il s’agissait du ministre et je ne pouvais pas ne pas me rendre à la cérémonie, mais je n’ai vraiment pas cherché tout cela. Je me contente de ma vie paisible. D’ailleurs, pour l’anecdote, lorsque j’ai été honoré par le ministre, je venais de terminer ma brigade de nuit à 07h et, le soir-même, j’avais enchaîné ma seconde brigade de nuit sans m’être trop reposé Cette nouvelle notoriété a bousculé sa vie, alors que ce qu’il a accompli devrait être banal. Mais est-ce banal à une époque où il existe des cas avérés de jeunes qui ont tué, parfois même leur mère, pour de modiques sommes ne dépassant pas quelques centaines de dinars ? Quoi qu’il soit, le seul parti que Abderrahmane a tiré de son geste est d’avoir rendu ses parents fiers. «Mon père en a été ému jusqu’aux larmes. Je ne l’oublierai jamais», confesse-t-il. Cela dit, il n’a à présent qu’un souhait : que cette tempête médiatique prenne fin au plus vite. Afin de reprendre son… train-train quotidien.