HISTOIRE
– GUERRE DE LIBÉRATION NATIONALE- ARMES CHIMIQUES FRANÇAISES/ANALYSE HISTORIEN C.
LAFAYE
L’historien
français Christophe Lafaye a dénoncé le recours de la France aux armes
chimiques pendant la Guerre de libération nationale, affirmant avoir réussi à
identifier «450 opérations militaires» ayant eu
recours à ces armes durant la période 1957-1959. Dans une interview accordée au
site d’information actu.fr (m-mars 2025), l’historien
a précisé que les opérations identifiées ont été
«principalement concentrées dans les zones montagneuses en Haute-Kabylie
et dans les Aurés». Toutefois, si ce chercheur a pu
établir l’existence de 450 opérations, «le tableau
demande à être complété par l’ouverture d’archives encore aujourd’hui
classées», affirme ce site. «Un certain nombre de
documents sont accessibles mais pas les comptes rendus d’opération, les
journaux de marche et opérations, soit le journal de bord de l’unité. La
consultation de ces documents est pourtant essentielle car ils permettraient
d’évaluer les victimes et, par recoupement, d’identifier des victimes portées
disparues. C’est important pour les familles. Et puis, ces documents
permettraient de faire une cartographie exhaustive des sites où ces armes ont
été utilisées et des lieux exposés aux retombées»,
indique Christophe Lafaye au site. Malgré ces contraintes, le travail de
Christophe Lafaye retrace de manière assez précise l’histoire de l’utilisation
des armes chimiques par l’armée française. «J’ai pu
quand même retrouver certaines décisions politiques. C’est le ministre Maurice Bourgès-Maunoury donc qui a signé l’autorisation d’utilisation
des armes chimiques. La 4e République puis la 5e République ont totalement
assumé, ordonné et organisé la conduite d’une guerre chimique»
en Algérie, ajoute-t-il. Pour cet historien, «l’un des
personnages centraux de cette histoire, c’est le général Charles Ailleret». «C’est un polytechnicien resté dans la postérité comme le
père militaire de la bombe atomique française. Mais lors de son passage au
commandement des armes spéciales, c’est lui qui va faire la promotion de
l’emploi des armes chimiques en Algérie. Il a écrit un livre en 1948 dans
lequel il décrit l’utilisation de la science dans la guerre comme étant un
élément de supériorité dans la conduite des opérations. Il a une conviction
profonde dans les vertus de la science comme arme comme pour remporter la
victoire sur le terrain», déplore-t-il. Il affirme,
dans ce contexte, avoir pu, à travers les archives,
«confirmer l’utilisation d’un gaz appelé CN2D. C’est un composé de deux
gaz : le gaz CN est un dérivé du cyanure et le gaz DM qui est une arsine, donc
un dérivé de l’arsenic, pour faire simple». «Il y a un troisième élément appelé kieselgurh:
c’est une terre siliceuse très fine, de l’ordre du micron, et qui va mutualiser
l’effet extrêmement irritant des arsines avec la rapidité d’action du CN. C’est
la combinaison de ces trois éléments qui crée un gaz mortel»,
explique Christophe Lafaye. Ces gaz, poursuit-il, «regroupés
en une seule munition et dans des quantités extrêmement importantes,
entraînaient assez rapidement la mort des gens qui se trouvaient à l’intérieur
des grottes». Selon Christophe Lafaye, docteur en histoire contemporaine de
l’université d’Aix-Marseille et chercheur associé à l’université de Bourgogne,
l’armée française décide, dès 1956, de former des équipes spéciales pour l’emploi
de ces armes chimiques. «Des groupes formés d’appelés
du contingent : on les appelait les sections +Armes spéciales+. La première
unité est créée en Algérie le 1er décembre 1956», note
l’historien qui a pu «confirmer l’activité de 119 unités de ce type entre 1957
et 1959 sur le territoire algérien». Au cours de ses recherches, Christophe
Lafaye a pu confirmer l’existence d’une opération ayant fait 116 martyrs, selon
le site d’information, soutenant même que le recours de l’armée française aux
armes chimiques en Algérie «ne tient pas du hasard mais (relève) d’une
véritable doctrine militaire ». Pour rappel, le film Algérie, sections armes
spéciales, diffusé il y a quelques jours sur Radio
Télévision suisse, a exposé les souvenirs et les archives personnelles
de soldats français et de combattants ou de civils algériens et s’est également
appuyé principalement sur les travaux de l’historien Christophe Lafaye. Malgré
de nombreux obstacles administratifs, Christophe Lafaye, spécialiste d’histoire
militaire, a exhumé plusieurs documents qui décrivent comment la décision
politique a été prise, en mars 1956, comme en atteste un courrier du commandant
supérieur interarmées de la 10e région militaire (qui couvre l’Algérie) au
secrétaire d’État aux Forces armées (terre), Maurice Bourgès-Maunoury,
intitulé : «Utilisation de moyens chimiques». «Le colonel des armes spéciales m’a rendu visite. Il m’a
annoncé qu’il avait obtenu votre accord de principe relatif à l’utilisation des
moyens chimiques en Algérie.» Le film rencontre aussi
des survivants algériens de la grotte de Ghar Ouchettouh, dans les Aurès, gazée le 22 mars 1959 avec près
de 150 villageois à l’intérieur. Seuls quelques très jeunes, désormais de vieux
messieurs, ont eu la vie sauve : «[Les soldats
français] nous ont laissés sortir puis ils ont fait exploser la grotte. On
entendait les lamentations des femmes dans toutes les maisons du village.» Les Algériens interviewés espèrent toujours une
reconnaissance française des crimes commis. Selon Christophe Lafaye, 8.000 à
10.000 gazages ont été conduits pendant toute la guerre. L’historien en a
documenté 440, qu’il a fixés sur une carte. L’inventaire complet reste à faire.
Il a fallu attendre 1993, pour que la France vote l’interdiction définitive des
armes chimiques et de leur fabrication.