Grâce
aux études, les filles accèdent à une nouvelle donnée sociologique : la
rue. Lorsque la fille est dans le village ou le quartier, le contrôle social
est grand, mais si elle a accès à une «rue» (ville),
elle sera dans l’anonymat et acquiert une plus grande marge de liberté.
Autrement dit, si elle échoue à l’école, elle retombe dans le schéma
traditionnel limitant ainsi son indépendance, soit se marier, avoir des enfants
et rester femme au foyer. Tous les membres de sa famille s’ingèrent, à ce
moment-là, dans sa vie ! Trois éléments soulevés par Samir Rebiaï, chercheur en anthropologie au Centre de recherche
en anthropologie sociale et culturelle (Crasc).
Premièrement,
les nouvelles mutations familiales observées font que les jeunes couples donnent de l’importance à la scolarisation de
leurs enfants, particulièrement les mères.
Deuxièmement,
les représentations sociales données à la réussite elle-même. C’est-à-dire «réussir les études est garantir un avenir, s’émanciper»,
toujours selon le même chercheur. Et enfin, le milieu rural Dz est caractérisé
par une précarité. Pour surmonter cette précarité, les filles se lancent des
défis contrairement aux garçons qui se trouvent dans la
«débrouillardise». «Cette réussite est très
révélatrice dans les wilayas classées très pauvres avec un niveau
d’analphabétisme remarquable, explique encore l’anthropologue.
Lorsque les filles accèdent aux universités, elles se
déplacent, changent même de wilayas et quittent le domicile familial. Fatima Oussedik parle «d’espace acquis»,
plus large que la houma, grâce à ces études
universitaires. Les filles, explique-t-elle, sont aujourd’hui très conscientes
de «l’autonomie relative» que leur procurent les
études.
Ce
statut se valorise encore plus lorsque ces diplômées décrochent un emploi. Même
si l’Algérienne a toujours eu de l’argent (des commerces et des
terre, mais pas un salaire), avoir un salaire est synonyme de
valorisation des compétences de la femme en tant qu’individu.
Les
enquêtes menées au Centre de recherche en économie appliquée pour le
développement (Cread) montrent que lorsqu’une femme
devient salariée, elle investit plus que ses frères dans la vie de famille.
Elle s’occupera plus des détails familiaux.
Peu
à peu avec cet argent, elle atteint d’autres objectifs. C’est-à-dire, voyager à
l’étranger, étudier et même travailler. Ces salariées demeurent toutefois peu
nombreuses, car les statistiques montrent qu’elles représentent 19% des
travailleurs.
Un
paradoxe ? C’est là qu’on met le doigt sur la question de l’emploi en
Algérie, insiste Fatma Oussedik. Les plus grands
chômeurs sont les filles et les jeunes garçons diplômés. L’université offre les
instruments pour se construire et construire une carrière.
Le
savoir est dévalorisé aujourd’hui face au business. Mme Oussedik
donne les exemples de ses étudiants qui préfèrent saisir les opportunités
commerciales au détriment des examens universitaires ! D’autres, dans
certaines disciplines, particulièrement en sciences humaines, leurs
inscriptions universitaires est seulement une couverture. Ils veulent esquiver
le Service national.
Et
en attendant, ils sont à la recherche de la moindre opportunité commerciale
pour «construire une carrière», surtout qu’ils sont
convaincus que les sciences humaines, par exemple, sont des fabriques à
chômeurs.
En
sciences humaines justement, on trouve plus de filles que de garçons, même si
leur bac leur permet d’autres spécialités technologiques ou matheuses. Une
énigme que Fatma Oussedik ne trouve pas d’explication
pédagogique. Un avis rejoint par Nabila Hamedi Siad
qui témoigne d’une forte présence des garçons en informatique ou en génie
mécanique ou d’autres spécialités technologiques.
Une
disproportion qui mériterait une étude. Les chercheurs de l’INRE expliquent
toutefois que des études ont montré que les filles sont plus capables de
maîtriser plusieurs langues et surtout ont des capacités d’apprentissage et de parcœurisme. Les garçons, expliquent les chercheurs de
l’INRE, sont plus faibles en langues comparativement à leur camarades filles,
et aussi les problèmes disciplinaires sont plus mentionnés chez eux.
Ce
différentiel observé entre les filles et les garçons a aussi des effets sur le
mariage. Il y a de plus en plus de diplômées qui épousent des jeunes non
bacheliers ou peu instruits, alors qu’une autre catégorie préfère le célibat. «Plus le niveau d’instruction augmente, plus le taux de
célibat augmente chez les femmes», observe Fatima Oussedik.
Les
diplômées se marient peu. Un fait nouveau : de plus en plus de célibat
définitif chez les femmes. Un choix. Contrairement aux années 1980, où le
mariage était le destin de toutes les filles, aujourd’hui, la fille qui devient
le bras droit de ses parents est moins encouragée au mariage. Avec les
nouvelles formules de logement, les femmes y accèdent facilement et vivent
seules. Plus d’autonomie, plus d’indépendance, meilleur statut. Le choix est
vite fait pour ne pas choisir le mariage. Si mariage il y a, ces femmes
dépensent plus.
Dans
les statistiques de budget familial, les femmes dépensent dans la scolarité des
enfants, les soins, les achats, l’ameublement…, alors que les conjoints investissent
dans le logement et le véhicule, et en cas de divorce, elles ont tout à
perdre ! Dans son étude «Mutations familiales en
milieu urbain en Algérie» où elle a géré une équipe multidisciplinaire, Fatima Oussedik affirme que les figures familiales ont en effet
changé. On observe aussi qu’il y a «des femmes
analphabètes qui militent dans des associations, d’autres qui sortent pour
apprendre la couture ou la peinture sur soie, font les courses ou emmènent les
enfants chez le médecin.
Et
même dans les familles, relativement conservatrices, composées de plusieurs
noyaux familiaux organisés autour d’un même feu, elles vont à la mosquée,
reçoivent des amies et sont 25% à sortir avec ces amies… Toutes ont changé. Des
mutations importantes ont été observées dans les rôles et statuts des femmes au
foyer. L’économie domestique est fortement marquée par le rapport des femmes au
marché. Ainsi, l’analyse de ce point a montré le poids des femmes dans la
gestion des budgets familiaux».
Ce
sont ces changements que la sociologue Oussedik
considère comme des «signaux faibles» dans la mutation
de société. Tout est en train de changer ! Une mutation importante, des
éléments qui apparaissent comme par exemple des parents qui lèguent la maison
aux filles.
Des
diplômées qui ont réussi à changer une donne historique et sociologique :
Une transmission qui se féminise. Le métier de l’enseignement se féminise
aussi. Il y a plus d’enseignantes. A Tipasa, elles représentent 85% de
l’encadrement, même état de figure à Boumerdès, El Tarf
et El Meniaâ.